Une manifestation prévue ce samedi

Mayotte : santé, éducation, conditions de vie, budget, la crise de l'eau impacte tous les secteurs

  • Publié le 9 septembre 2023 à 11:20

Depuis ce lundi 4 septembre 2023, Mayotte subit des restrictions d'eau draconiennes. De nombreux habitants n'ont accès à l'eau qu'un jour sur trois, et les conséquences de ces restrictions se font déjà ressentir. Ecoles qui ferment une partie de la semaine, tensions autour des camions-citernes, apparition de deux cas de typhoïde…Le manque d'eau est loin d'être un simple désagrément du quotidien. Un rassemblement est prévu ce samedi devant le siège de la Société mahoraise des eaux (SMAE), alors que les factures d'eau continuent de tomber…contrairement à l'eau.

A Koungou, le maire a opté pour une fermeture alternée des écoles basée sur le calendrier des coupures. A Mamoudzou, un lycée a dû fermer ses portes en raison du manque d'eau. A Kangani, une école primaire a fermé pendant 48 heures, faute d'eau. A Sada, les parents d'élèves d'un collège ont été informés par SMS que leurs enfants quitteraient l'école à 11h20, cette fois-ci en raison de la qualité de l'eau.

Des situations qui sont vouées à se répéter, dans un département où les élèves connaissent déjà de grandes difficultés.

"Le contexte était déjà complexe, puisqu'on n'apprend pas leur langue maternelle à l'école. Les élèves apprennent déjà tardivement à lire et écrire, le fait de perdre des journées entières de cours à l'année va encore plus les handicaper" regrette une enseignante de Kaweni.

"En plus, on ne peut pas faire de cours visioconférence puisque la plupart des élèves n'ont ni wifi ni ordinateur à la maison" ajoute-t-elle.

"Les élèves les plus précaires viennent à l'école pour avoir de l'eau et manger le midi, pour eux c'est une double punition" souligne-t-elle par ailleurs. "L'année dernière, on avait déjà des problèmes de coupures et on fermait de temps en temps, essentiellement l'après-midi. Cette fois-ci ce sera des journées entières."

"Même si l’établissement scolaire de mon fils n’est pas à proprement impacté par les coupures d’eau, l’école demande à ce que les parents ramènent des packs d’eau pour les élèves" témoigne par ailleurs Echati Insuffo, maman d’un petit garçon de 9 ans scolarisé dans une école primaire privée à Dzaoudzi. "Le secteur où est scolarisé mon fils n’est pas impacté par les coupures d’eau car il se situe sur le site du Préfet de Mayotte au Rochet" précise-t-elle par ailleurs.

Une coupure de plus dans une scolarité déjà semée d'embuches. A Mayotte, des milliers de mineurs sont déscolarisés, ont d'ailleurs alerté la Défenseures des droits et une étude de l’université de Nanterre. Plus de 15 000 mineurs seraient concernés, d'après la Défenseures des droits. Une étude menée par un chercheur de l'université Paris-Nanterre les évalue entre 5.000 et 10.000.

Le système scolaire mahorais ploie déjà sous l'accroissement démographique, dû notamment à l'immigration. Le centre hospitalier de Mayotte a ainsi enregistré en 2022 un nouveau record de naissances, avec plus de 10.700 nouveau-nés.

Lire aussi : Pas d'eau, pas ou peu de profs, violences… : à Mayotte, une rentrée sur fond de crise

- Des engagements non tenus -  

Ces coupures interviennent malgré l'engagement de la préfecture à continuer d'alimenter les écoles en eau. "On s’est aperçu qu’une quarantaine (d'écoles du premier degré ; ndlr) ne sont pas encore équipées de cuves " a constaté le recteur de l'académie, Jacques Mikulovic. "Il nous faut rester sereins car ce n’est que le début" a-t-il par ailleurs déclaré, selon Mayotte Hebdo.

Et il ne s'agit pas du seul engagement qui n'est pas tenu. Alors que les coupures sont censées débuter à 16 heures dans les quartiers concernés, les habitants ont eu le déplaisir de découvrir qu'ils n'avaient plus d'eau…dès 14 heures.

"Il y a quelques semaines on nous a annoncé que sur Petite-Terre (ainsi que d’autre ville) les coupures d’eau allaient se faire à partir de 16h sauf qu’il s’agit d’une note mensongère, parfois les coupures ont lieu beaucoup plus tôt. Cela ne nous laisse pas le temps de nous préparer à vivre sans eau pendant plusieurs jours d'affilée" se plaint Echati Insuffo.

"A titre d’exemple, récemment j’ai voulu faire une machine et j’ai mis trois jours à la faire tourner parce qu’ils avaient coupé l’eau beaucoup plus tôt que prévu. C’est au bout du troisième jour que j’ai pu étendre mon linge. Maintenant je suis dans l’obligation de réduire mes cycles de machines à 15 min, pour avoir du linge plus au moins propre et surtout pour réduire la tonne de linge qui s’accumule dans le bac à linge sale" raconte-t-elle.

Même son de cloche pour la journaliste Abby Said Adinani. "Je suis choquée, énervée, tout ce que vous voulez ! Il est 14h…  POURQUOI ON NOUS COUPE L’EAU 2h AVANT CE QUI ÉTAIT PRÉVU ! Donc là on est parti pour 48h sans eau !" s'indigne-t-elle sur X (ancien Twitter).
 



Une situation qui crée énormément de tensions. "Aux abords des camions-citernes de la SMAE qui viennent approvisionner les quartiers de Cavani qui sont privés d'eau depuis de longues semaines montent chaque jour un peu plus, les bagarres sont à 2 doigts d’éclater" rapporte France Mayotte Matin.

"Il n'existe aucun planning de mise à disposition des citernes, les abonnés l'apprennent parce que certains voient le camion arriver dans la rue et informent leurs connaissances. Nombreux sont ceux qui ont besoin d'eau mais qui ne sont pas chez eux" détaille le quotidien mahorais.

Il faut aussi noter que le prix des bouteilles d'eau s'est envolé, avant que la préfecture n'ordonne un blocage. "L’eau est devenue un gros budget pour les Mahorais. C’est un budget qui a été intégré dans les dépenses par tous les foyers, qu’ils aient les moyens ou pas, car l’eau qui s’écoule dans nos robinets après coupure, n’est pas potable" raconte Echati Insuffo.
 
En plus de ce budget, la population continue de régler cette facture d'eau, que celle-ci soit présente ou pas. "Malgré les coupures d’eau incessantes, les facteurs d’eau sont toujours aussi salés. Ma facture d’eau était à 136 euros le mois dernier, et ce mois-ci je crains qu’elle ne soit toujours aussi élevée alors que nous ne sommes que deux adultes et un enfant" dénonce cette mère de famille.

- Des risques pour la santé -

Enfin, cette crise de l'eau – qui peut être qualifiée de catastrophe naturelle – inquiète sérieusement en termes de santé publique.

Deux cas de typhoïde ont été confirmés à Mayotte la semaine dernière. Il s'agit d'une infection potentiellement mortelle due à la bactérie Salmonella typhi, qui se propage habituellement par l'intermédiaire de l'eau ou des aliments contaminés. Ici, donc, en raison de l'eau contaminée.

La fièvre typhoïde est extrêmement rare en France…Sauf à Mayotte. 23 cas avaient déjà été recensés en 2022, et 11 cas ont été confirmés depuis le début de l'année. " Les médecins de l'ARS expliquent avoir procédé à des vaccinations préventives dans les familles des 2 personnes concernées" indique France Mayotte Matin.

L'ARS, pour l'heure, ne parle pas d'épidémie. Mais les inquiétudes sont bien présentes, alors que l'eau se fait toujours plus rare.

Les cas de gastro-entérite explosent aussi, mais l'ARS relativise : cette période de l'année est toujours propice à la multiplication des cas. Si 25% des passages aux Urgences fin août concernent des enfants de moins de 5 ans atteints de gastro, ils étaient 39% en 2019 lors du pic épidémique. Une situation qui reste surveillée de très près, le manque d'hygiène étant un facteur important dans la transmission du virus.

Une manifestation se tiendra ce samedi devant les locaux de la SMAE, pour dénoncer cette situation, et demander "l'accès à l'eau potable pour tous à Mayotte de façon immédiate, pour la régulation du prix des packs d'eau, l'arrêt des paiements et abonnements des factures d'eaux, la mise à disposition de pastilles dépuration de l'eau... le respect des heures de coupures et une plus grande réactivité pour régler les anomalies du réseau, une plus grande transparence au niveau des actions entreprises, pour l'aboutissement des promesses non tenues de 2017; une vraie punition des abus d'utilisation excessive d'eau du réseau, et le déploiement d'un plan ORSEC".

En attendant, le ministre délégué aux Outre-mer Philippe Vigier a annoncé une enveloppe de 2 millions d'euros pour une station de traitement d'eau. 15 citernes et un camion avitailleur ont été envoyés sur place afin "de distribuer de l'eau en tout point du département en cas de défaillance ponctuelle du réseau".

Le député européen Younous Omarjee a quant à lui interpellé la Commission européenne "pour des mesures européennes d’urgence de distribution massive et gratuite de packs d’eau potable a toute la population". Il dénonce par ailleurs ce "scandale de l'eau". "Il révèle l'impréparation de l'Etat" a-t-il estimé auprès de Mayotte la 1ère.

Une impréparation et une gestion fumeuse des fonds européens alloués pour les infrastructures, dont les Mahorais paient aujourd'hui le prix.

as/www.imazpress.com avec l'AFP

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Lutte ouvrière
Lutte ouvrière
11 mois

Mayotte : un manque d'eau dramatique

Depuis le 4 septembre, sur décision préfectorale, les habitants de Mayotte n’ont accès à l’eau courante qu’un jour sur trois à cause de la grave pénurie d’eau que traverse le département depuis plusieurs mois, la plus importante depuis 1997.

Ces « tours d’eau »décidés par le préfet, sont un tour de vis supplémentaire pour la population qui pâtit déjà depuis des mois des coupures très fréquentes, contrainte de stocker l’eau comme elle peut dès qu’elle coule au robinet, pour ses usages forcément limités.

Face à cette situation d’urgence, le ministre délégué à l’Outremer, Philippe Vigier, en déplacement sur l’île début septembre, a présenté son « Plan Marshall pour Mayotte » qui est bien dérisoire au regard des besoins des habitants. En effet, Vigier a promis de distribuer chaque jour 70 000 bouteilles d’eau aux personnes vulnérables, identifiées par l’ARS, telles que les femmes enceintes et les enfants, soit deux litres par personne. À qui ces bouteilles seront-elles achetées ? Aux grandes surfaces à Mayotte ? À 46 centimes le litre vendu actuellement en magasin, elles ont de quoi...mettre l’eau à la bouche !

Le reste de la population devra se contenter de quinze futures citernes avec des rampes d’approvisionnement (des fontaines) qui seront installées sur tout le territoire. Elles seront remplies grâce à des stations de traitement de l’eau pour qu’il y ait « zéro risque sanitaire » selon le ministre. Mais d’où l’eau sera-t-elle acheminée ? Les deux retenues collinaires existantes de Dzoumogné et de Combani sont presque à sec et l’usine de dessalement tourne au ralenti… Voilà pour ce qui est de l’urgence.

Mais les solutions à long terme avancées par Vigier restent tout aussi hypothétiques. Il a parlé de travaux « considérables à faire sur les fuites, sur l’interconnexion », de la construction d’une troisième bassine et de la hausse de la capacité de l’usine de dessalement pour fin 2023.

Or, cela fait des années qu’il est question de réparer les fuites qui provoquent une déperdition d’un tiers de l’eau consommée. Pour ce qui est de la troisième bassine, elle était déjà prévue depuis 2020 mais les travaux n’ont toujours pas commencé. Quant à l’extension de l’usine de dessalement, démarrée en 2017, elle n’est toujours pas achevée ! La faute en serait à des imbroglios administratifs, notamment dus au Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (SIEAM) qui fait l’objet d’une enquête pour délit de favoritisme, détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts. Il n’y a donc pas que l’eau qui fuit !

À l’instar de toutes les autres infrastructures (écoles, hôpitaux, logements, routes…) nécessaires à la population, l’adduction en eau potable est le cadet des soucis des gouvernements qui passent. Leur seule véritable préoccupation est de satisfaire les exigences des capitalistes de Mayotte comme la SMaE
( Société Mahoraise des Eaux) filiale de Vinci, pour qui le robinet à fric du gouvernement n’est jamais à sec.