Malgré une aide de 10 millions d'euros

Situation financière tendue : l’Université de La Réunion est (gravement) en crise

  • Publié le 25 novembre 2022 à 14:38
  • Actualisé le 25 novembre 2022 à 14:39
Université de la Réunion

L’Université de La Réunion se trouve actuellement dans une situation financière particulièrement délicate. Elle connaît un déficit budgétaire marqué. Si la Région et l’État ont débloqué la somme de 10,27 millions d’euros pour aider l’établissement, cette somme n’est qu’une petite goutte d’eau afin de soulager la trésorerie. (Photo : rb/www.imazpress.com)

Le mercredi 23 novembre 2022, la Région et l’État ont annoncé débloquer un fonds de 10,27 millions d’euros pour l’Université de La Réunion. L’État a débloqué 1,993 million d’euros en octobre et la Région deux millions d’euros. Des sommes qui seront complétées d’ici la fin décembre par 1,277 million d’euros de l’État et cinq millions d’euros de la Région.

Selon le Rectorat, « les difficultés financières auxquelles elle fait face sont dues à des recouvrements tardifs des fonds européens et du plan de relance qui nécessitent des avances importantes de trésorerie de l’établissement ».

Afin de faire l’entière lumière sur la situation financière de l’Université de La Réunion, une mission de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sera déployée en guise d’accompagnement.

Cette avance faite par l’État et la Région n’est pas négligeable, notamment pour les agents de l’Université. « L’objectif est de pouvoir honorer la rémunération des agents au mois de décembre et le paiement de plus de trois millions d’euros à destination de nombreux fournisseurs (plus de 500) », déclare l’Université dans un communiqué.

- La trésorerie à sec -

Pour bien comprendre la situation financière de l’Université de La Réunion, nous avons contacté Frédéric Miranville, son président.

« Là où cela devient compliqué, c’est sur la situation de la trésorerie, soit ce qu’on peut payer », nous explique-t-il. « Nous avons des projets qui font l’objet de conventions de partenariat avec l’État et la Région pour mobiliser les fonds Feder. Ces conventions fonctionnent sous forme d’avance de financement de l’Université, contre remboursement. » Sur ce sujet-là, et le retard des remboursements, l’Université avait alerté les autorités et les financeurs pour éviter les tensions.

Le premier problème, comme l’explique Frédérique Miranville, « c’est que l’on a un certain nombre de charges à payer, notamment le coût du fret, de l’énergie, le coût des matériaux ».

Ces problèmes s’ajoutant au non remboursement des sommes, « cela rend la situation trésorière critique », souligne le président de l’Université de La Réunion.

La situation ne date pas d’hier. Depuis fin 2021 l’Université de La Réunion avait tiré la sonnette d’alarme. « On a expliqué que si la situation continuait comme cela, on risquerait d’avoir un paiement partiel des salaires des 1.600 agents de l’Université et des 1.000 enseignants vacataires. » L’Université a dû par ailleurs freiner les paiements des prestataires en raison de l’absence de trésorerie. « Il y a 2,9 millions d’euros d’attente de paiement auprès de nos 550 fournisseurs, il faut vraiment que ça bouge », dit-il.

- Des fonds à débloquer rapidement -

Face à cette situation, Frédéric Miranville a contacté la ministre de l’Enseignement supérieur. « Juste après on a eu le communiqué de presse évoquant les 10 millions d’euros de la part de l’État et de la Région », explique-t-il.

Mais cette prise de conscience des finances n’est-elle pas trop tardive face à la situation critique de l’Université ? « Elle n’est pas tardive s’il y a une réaction urgente et le débloquement réel des fonds et le versement sur nos comptes », souligne le président de l’Université.

10 millions ont été annoncés, mais l’Université n’attend pas que cette somme-là. « Sur le volet immobilier géré par l’État et donc le Rectorat, l’Université avait décaissé 16 millions d’euros. L’État avait remboursé 9,3 millions d’euros mais il reste encore 7 millions dont la plus grande partie doit être versée dans les prochains jours », explique-t-il. « Côté Région c’est différent, nous avons des projets scientifiques à hauteur de 32 millions. Sur ces 32 millions, l’établissement a produit l’équivalent de 16 millions et a produit les pièces justificatives », ajoute le président de l’Université. « Au moment où l’on se parle, le remboursement est de 4 millions. »

Une absence de trésorerie qui impacte le quotidien des enseignants et des étudiants. « Sur le projet immobilier, on a dû freiner certaines opérations, notamment pour la livraison du site santé sur le campus de Terre Sainte », précise Frédéric Miranville. Pour ce qui est des projets scientifiques, « il y a eu un non renouvellement de 31 agents contractuels ».

Ce qu’espère Frédéric Miranville pour l’Université et son personnel, c’est que ces sommes annoncées dans la presse seront véritablement versées. « Pour le moment nous avons reçu que 1,9 million sur le compte de l’Université mais pas le reste », indique-t-il. « On essaye d’avoir un discours rassurant mais on est à la limite de nos capacités, la solution n’est pas chez nous, c’est comme si on avait une trésorerie déportée et si le remboursement est fait ça va », ajoute le président.

- Pour le Rectorat, l'Université n'a pas suffisamment anticipé -

Du côté du Rectorat, l’heure est également aux explications.

« L’Université sollicite et est sélectionnée pour recevoir des financements dans le cadre de programmes nationaux et européens d’investissement pour des opérations spécifiques portées par l’État », nous dit-on. « Le bénéficiaire, en l’occurrence l’université, doit dans un premier temps produire une série d’expertises, présentant des besoins définis et justifiés au titre de l’opération concernée. Son dossier doit être accompagné d’un budget précis et équilibré ainsi que d’un calendrier de réalisation des travaux. »

« Une fois cette étape validée par l’État, représenté par le rectorat, une convention est signée, qui précise les différentes étapes de financement du projet : les avances de la part de l’université, le paiement d’acomptes au fur et à mesure de l’avancée des travaux sur établissement de pièces justificatives présentées par l’université jusqu’à l’achèvement des travaux », précise le Rectorat.

« L’inscription dans ce type de démarche qui mobilise des sommes élevées sur plusieurs années implique des avances importantes, donc une trésorerie suffisante, ainsi qu’un suivi administratif et financier rigoureux pour supporter les dépenses liées aux travaux et des décaissements/encaissements décalés. Plus le nombre d’opérations de ce type est important, plus ces exigences sont fortes. »

Mais alors, où cela a-t-il coincé, pêché ? Pourquoi un retard dans les recouvrements et comment solutionner cela ? 

« L’engagement de telles opérations nécessite un suivi budgétaire rigoureux et des avances de trésorerie importantes, des processus de vérification complexes, qui ont mis en difficulté l’Université faute d’avoir anticipé suffisamment les mesures à prendre et le volume des opérations qu’elle pouvait absorber », indique le Rectorat.

« Elle s’est engagée ces dernières années dans de nombreuses opérations immobilières et de recherche sans prendre toutes les précautions nécessaires. Elle s’est donc en cette fin d’année 2022 retrouvée avec une trésorerie très faible, au point de susciter des inquiétudes sur sa capacité à assurer ses dépenses de fonctionnement courant et le paiement de ses fournisseurs », ajoute l’Académie de La Réunion.

« Elle a alerté les financeurs, dont l’État, en leur demandant d’accélérer les versements relatifs aux dossiers en cours. L’État a travaillé avec les services de l’Université pour obtenir la totalité des pièces justificatives encore manquantes. »

« Le Président a par ailleurs sollicité le ministère afin d’obtenir un versement anticipé de la subvention de fonctionnement de 2023, ce qui lui a été accordé sous réserve qu’il présente un Plan pluriannuel visant à sécuriser sa situation budgétaire et financière. Pour ce faire, le ministère a jugé nécessaire de mettre en œuvre une mesure spécifique d’accompagnement sous la forme d’une mission de l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche », conclut le Rectorat.

- Une situation plus alarmante qu’il n'y paraît -

Toutefois, pour les syndicats, si cette somme est la bienvenue, la situation financière dans laquelle se trouve l’Université de La Réunion est bien plus alarmante. Pour Joël de Palmas de la CGTR Educ’Action, « cela fait deux ans que la situation se dégrade lentement mais sûrement ». "Cependant, même si la Cgtr Educ’Action est très satisfaite que ses alertes et revendications ont été entendues (trop tardivement ?) et que le Rectorat, la Région et le ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche prennent enfin la mesure des difficultés de l’Université, notre organisation syndicale estime qu’un soutien à court terme est insuffisant car il ne s’agit pas simplement de boucler l’année 2022-2023 mais de préparer l’avenir", ajoute-t-il.

« Nous avons alerté depuis très longtemps sur les difficultés de trésorerie de l’Université », déclare le SGEN/CFDT de l’Université. « Il y a des conventions signées avec des partenaires et pour lesquelles les reversements ne sont pas fait. » "Ce sont près de sept millions d’euros que le rectorat doit encore verser à l’université de La Réunion. Cette situation a pour conséquence de mettre en grande difficulté l’Université de La Réunion, acteur majeur du territoire et qui vient de fêter ses 40 ans au service de la population", déclare le syndicat dans un communiqué.

"En effet l’argent a bien été décaissé par l’établissement pour payer les acomptes aux entreprises. Mais faute de versements par le rectorat, l’université ne dispose plus dans sa trésorerie des moyens suffisants pour payer les entreprises mais également pour assurer les rémunérations des 1.600 agents pour le mois de décembre. 31 agents en contrats à durée déterminée vont être remerciés faute de financement pour assurer le paiement de leur rémunération. Une quarantaine d’autres pourraient l’être prochainement. Cela alors que la situation budgétaire de l’université est saine. C’est toute l’économie du territoire qui se trouve menacée."

Une situation qui impacte les finances mais également les projets de recherche « L’Université se restreint sur un tas d’activités », déclare Katia Angué, du SGEN/CFDT. « Et les activités d’enseignement peuvent être mises en péril par absence de trésorerie », ajoute-t-elle.

Pour la CGTR Educ’Action, difficile de n’évoquer que les manques de recouvrement. « L’Université a une gestion autonome. Elle a engagé des dépenses alors qu’elle n’était pas sûre d’avoir l’argent. » « L’Université a sous-estimé certaines dépenses », estime Joël de Palmas.

Ce que déplore le syndicaliste, c’est « qu’au lieu de trouver des solutions pérennes, on continue de recourir à des demandes de rallonge et laisser courir la situation ». S’il devait imager ses propos, il dirait, « on a confié à un très bon pilote d’ULM un avion de ligne avec des passagers et il n’arrive pas à le gérer ».

- Quel avenir pour l'Université de La Réunion ? -

La situation financière de l'Université de La Réunion a de quoi inquiéter. D’autant qu’en 2023, cela risque de se répéter. « Si on est confronté sans arrêt à des difficultés, c’est difficile de faire face », explique Katia Angué.

Ce que souhaite Joël de Palmas, outre le souci financier, c’est de sécuriser le paiement des collaborateurs, des personnels à la fin du mois. Mais également permettre aux enseignants et aux étudiants de travailler dans de bonnes conditions.

Malgré cette somme de plus de 10 millions d’euros, les syndicats le savent, « on ne trouvera pas de solution comme ça ». « Il faut une mise à plat globale en espérant que cela ne soit pas trop tard », conclut Joël de Palmas.

Alors comment redresser la barre ? Comment éviter une mise sous tutelle de l’Université ? Ce qui est certain, c’est qu’il faut que l’éducation reste au cœur des priorités.

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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