Tribune libre de Patrice Sadeyen

Prix Agnès Gueneau 2025 : Patrice Threutard, la voix du créole honorée

  • Publié le 5 octobre 2025 à 19:17
  • Actualisé le 5 octobre 2025 à 19:37
Prix Agnès Gueneau 2025 : Patrice Threutard, la voix du créole honorée

Sous la présidence éclairée de Monique Séverin, le prix Agnès Gueneau 2025 a été attribué à Patrice Threutard, figure essentielle de la défense et de la transmission de la langue créole réunionnaise. Ce prix, remis en direct sur Capital FM, dépasse le simple cadre littéraire : il marque une reconnaissance, une réhabilitation et une continuité dans la longue marche des porteurs de parole de ce pays.

Patrice Threutard appartient à cette lignée d’artisans du verbe qui ont su comprendre que la langue créole n’est pas qu’un outil de communication, mais une terre, un refuge, une arme. Par ses contes, ses proverbes, ses écrits, il a nourri l’âme d’un peuple trop souvent privé de miroir. Son combat ne s’est pas fait dans les salons, mais dans les quartiers, dans les écoles, dans la parole vivante qui circule entre les générations.

Son œuvre, souvent traversée par l’humour et la sagesse populaire, a cette particularité rare : elle restitue la dignité d’une langue longtemps méprisée, la langue créole, que tant d’élites ont tenté de réduire au silence.

Et il faut se souvenir que Patrice Threutard fut aussi parolier et créateur, dès les premières années, pour le groupe Ziskakan, lorsque celui-ci posait les fondations d’un maloya moderne et poétique, mêlant tambour et parole, mémoire et invention. Ces chansons, aujourd’hui patrimoniales, portaient déjà ce souffle : le créole n’a pas besoin de permission pour exister.

Recevoir aujourd’hui le prix Agnès Gueneau, c’est donc bien plus qu’un honneur : c’est l’aboutissement d’une fidélité, celle d’un homme qui a compris que le mot créole est un acte de résistance.

À travers ce prix, il faut aussi saluer Monique Séverin, présidente du jury. Son travail dépasse les frontières de l’île. Par ses interventions, ses conférences, ses livres, elle a su rendre visible la littérature réunionnaise là où on ne l’attendait pas comme en France hexagonale ou en Belgique...

Elle incarne cette volonté de faire entendre une parole plurielle, ancrée dans l’histoire, mais ouverte au monde.

Monique Séverin, c’est la rigueur de la chercheuse et la ferveur de la poétesse. Son engagement auprès des auteurs, ses participations à des salons et festivals, son souci constant de transmission font d’elle l’un des piliers contemporains de la scène littéraire réunionnaise. En acceptant de présider ce jury, elle a confirmé que ce prix n’est pas un simple trophée : c’est une chaîne de mémoire, une reconnaissance entre générations d’écrivains, un geste de continuité.

Le prix porte le nom d’Agnès Gueneau, autrice réunionnaise disparue trop tôt, dont la mémoire continue d’inspirer les nouvelles générations. On se souvient d’elle pour la délicatesse de son écriture, sa sensibilité aux vies modestes, sa défense des femmes et des anonymes. À travers ce prix, son nom devient une étoile fixe, rappelant à chacun que la littérature réunionnaise est un héritage vivant, fait de combats, de douleurs et de beauté.

Agnès Gueneau fut de ces voix qui écrivent avec pudeur, mais qui laissent derrière elles une empreinte indélébile. Son nom, désormais attaché à un prix qui célèbre la création créole, prolonge sa mission : dire La Réunion depuis l’intérieur, depuis sa chair et ses blessures.

Ce prix 2025 unit trois résistances : celle de l’auteur, Patrice Threutard, qui fait vivre la langue créole dans ses expressions les plus profondes ; celle de la passeuse, Monique Séverin, qui ouvre les portes de la visibilité et du respect ; et celle de la disparue, Agnès Gueneau, dont le nom rappelle la fragilité et la force de nos mémoires.

Dans une île où tant de talents restent dans l’ombre, où la création locale peine encore à trouver reconnaissance et soutien, cette distinction agit comme une réparation symbolique. Elle nous rappelle que la littérature réunionnaise n’a jamais attendu d’autorisation pour exister, et que les mots créoles continueront d’éclairer les chemins du peuple.

Pour conclure, Il y a dans ce prix quelque chose de profondément juste : la célébration d’un homme de parole, d’une femme de transmission, et d’une autre femme de mémoire. C’est une victoire discrète mais immense pour la culture réunionnaise : une preuve que la dignité du créole, quand elle se dit dans la beauté du verbe, n’a pas d’équivalent.

Et si La Réunion veut encore rêver d’un avenir libre, elle devra toujours se souvenir de ceux qui, comme Patrice Threutard, Monique Séverin et Agnès Gueneau, ont choisi la langue comme drapeau.

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