Lettre ouverte d'une victime d'agression sexuelle

Une justice qui abîme

  • Publié le 30 avril 2025 à 14:28
  • Actualisé le 30 avril 2025 à 14:37

Il y a un an, dans une piscine publique, un homme m’a agressée sexuellement. Alors que je nageais, il a eu un geste d’une extrême violence, intrusif, sans équivoque. J’ai hurlé. Mon conjoint et mes enfants étaient présents. Cette agression m’a laissée une trace durable, physique et mentale (Photo d'illustration RB/www.imazpress.com)

Si je témoigne aujourd’hui, ce n’est pas pour raviver cette douleur, mais pour dire ce que la procédure judiciaire a représenté pour moi — bien au-delà du procès et du verdict. Ce parcours, censé rendre justice, a été en lui-même une épreuve traumatisante.

J’ai dû raconter les faits à la police, me soumettre à un examen médical complet. Écarter les jambes sous une lumière crue, me faire prélever selon le protocole prévu, dans un contexte brutalement impersonnel. J’ai aussi été convoquée à une expertise psychiatrique à plusieurs kilomètres de chez moi, dans une salle d’école maternelle, où j’ai dû raconter ce que j’avais vécu, assise sur une chaise d’enfant. Est-ce vraiment un cadre approprié ?

Mon maillot de bain a été saisi comme pièce à conviction, chez moi, devant mes enfants. J’ai dû justifier ce que je portais, comme si cela avait le moindre rapport avec la violence subie. Quand j’ai porté plainte pour viol, on m’a expliqué qu’il valait mieux requalifier les faits en agression sexuelle, pour que la procédure ait une chance d’aboutir. J’ai accepté, par pragmatisme.

J’ai traversé tout cela avec le sentiment que, même en étant victime, je devais être irréprochable. Et malgré tout, j’ai eu de la "chance". Je suis ce qu’on appelle une victime "idéale" : éduquée, stable, soutenue, capable de payer un avocat. Rien ne permettait objectivement de douter de ma parole.

La police m’a crue. Le personnel de la piscine a identifié mon agresseur, connu pour des faits similaires. Les professionnels — policiers, médecins — ont été respectueux. Pourtant, ce n’est pas le cas de toutes les victimes. Et même dans ces conditions, ce que j’ai vécu a été d’une extrême violence.

Le procès a été l’étape la plus dure. Non pas parce que j’y ai été contredite — cela fait partie du débat judiciaire — mais parce que j’y ai ressenti une forme d’hostilité froide, mécanique, déshumanisante. On a mis en doute ma parole, en s’appuyant sur des détails insignifiants. Mon ressenti corporel a été remis en question. La défense a usé de ses outils, mais sans jamais reconnaître ce que cette audience représentait pour moi.

Je n’attendais pas de compassion. Mais un minimum d’humanité. Pendant cette procédure, j’ai rencontré des policiers, des magistrats, des médecins qui ont fait preuve d’écoute, de respect, d’intelligence. Mais dans la salle d’audience, je me suis sentie réduite à mon statut de plaignante, comme si c’était un rôle à affaiblir, une parole à déconstruire.

Aujourd’hui, je sais que si je devais revivre cet acte, je ne porterais pas plainte. Non parce que je doute, mais parce que la procédure m’a épuisée, abîmée. J’ai été entendue. J’ai "gagné". Mon agresseur a été condamné. Mais à quel prix ?

J’ai dû me battre sur deux fronts : contre l’homme qui m’a agressée, et contre le système censé le juger.

Selon les chiffres du ministère de la Justice, à peine une victime de viol sur dix porte plainte. Et sur ces plaintes, moins de 10 % aboutissent à une condamnation. Cela signifie que, sur cent agressions, à peine une poignée donne lieu à une reconnaissance judiciaire.

Ce n’est pas un hasard. Au-delà de la violence de l’agression, c’est la procédure qui décourage. La peur d’être humiliée, mise en doute, disséquée. Le coût — émotionnel, psychique, financier. L’impression d’être, encore une fois, agressée.

Cette mise à l’épreuve permanente des victimes fait partie du système. Et tant que cela perdurera, il ne faut pas s’étonner que tant de victimes se taisent. Elles n’ont pas envie de parler. Elles n’ont pas envie de croire que justice sera rendue sans devoir se sacrifier une seconde fois.

Je témoigne aujourd’hui pour moi, mais aussi pour les autres. Celles qui ne parleront jamais. Celles qui, à l’audience, n’auront pas les "bons" codes, les "bons" mots. Celles qui n’auront pas les moyens de se défendre dans une procédure si lourde. Le système judiciaire se veut neutre, mais il peut blesser. Et parfois, il abîme plus qu’il ne répare.

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