Le Port : amputée du bras droit par une machine à fabriquer des pâtes, une ex-salariée face à sa patronne en appel

  • Publié le 16 octobre 2025 à 17:06
  • Actualisé le 17 octobre 2025 à 05:29
tribunal de la cour d'appel photo verticale

Amputée du bras droit après un accident survenu en mars 2022 dans un restaurant de pâtes au Port, Nacéra continue son combat judiciaire. Condamnée en première instance à 10 mois de prison avec sursis, la gérante de l'établissement a fait appel réfutant toute part de responsabilité. Ce jeudi 16 octobre 2025, la cour d’appel de Saint-Denis a examiné l’affaire dans une atmosphère tendue. Elle rendra sa décision le 4 décembre prochain (photo Sly/www.imazpress.com)

C’est une machine à fabriquer des pâtes lourde, instable, pesant 150 kilos, qui se trouve au centre d'un procès pour blessures involontaires dans le cadre du travail. Le 22 mars 2022, alors qu’elle tente de récupérer un moule coincé, la main de Nacéra, employée depuis neuf ans au restaurant L'atelier au Port, est happée par le mécanisme. Le dispositif d’arrêt d’urgence ne fonctionne pas. La machine qui devrait être retenue par un frein tombe, le bras est broyé. L’ancienne traileuse perd son membre droit. Deux ans plus tard, l’émotion reste intacte dans la salle d’audience de la cour d'appel de Saint-Denis.

À la barre, la gérante, ancienne sage-femme reconvertie dans la restauration, répète : « Elle ne devait pas ouvrir la machine pendant l’utilisation. » La cour s’interroge : « A-t-elle reçu une formation ? » – « Oui, une formation orale », assure la prévenue. Mais sur le banc des parties civiles, la victime secoue la tête : « Non », confirmera-t-elle plus tard. Aucun affichage de consignes n’était présent à proximité.

 - Une prévenue qui vacille... enfin -

Le président souligne les contradictions de Marie Gabrielle G. : « Quand on vous écoute, on entend que vous mettez en cause l’ancien gérant. Mais cela faisait deux ans qu’il était parti… » La gérante insiste longuement sur son absence de faute, mais les échanges sont serrés, parfois électriques, avec l’avocate de la victime et l’avocate générale. Elle tente de convaincre qu’elle a assumé son rôle, mais se heurte aux constats accablants de l’Inspection du travail notamment.

Puis, à la surprise générale, elle craque. En larmes, elle avoue avoir perdu toute confiance en elle, être suivie par un spécialiste depuis l’accident et avoir vendu ses deux restaurants en 2024. L’image contraste avec sa défense acharnée, où elle nie toute responsabilité. Une posture qui a donc légèrement évolué depuis l'audience correctionnelle de première instance où la patronne avait choqué l'assistance, et bien sûr la victime et ses proches, par sa froideur et son refus de se remettre en question.

 - Une victime courageuse qui brise le silence -

Contrairement à la première instance, Nacéra a eu la force et le courage de s’exprimer devant les juges de la rue Juliette Dodu. Sa voix tremble, mais ses mots sont clairs et son opiniatreté évidente : « Ce qu’elle explique n’est pas très clair et me maintient dans le flou. Je n’ai jamais eu de formation », répète-t-elle. Puis, après avoir mimé l'accident qui plonge la salle dans l'effroi, elle lâche cette phrase qui glace la salle : « Je suis une survivante. »

Son avocate, Me Sarah Daverio, retrace son parcours : neuf années passées dans l’entreprise, un investissement total, des souffrances physiques et psychologiques inimaginables. « L’ignorance n’est pas une excuse, insiste-t-elle. Si la machine avait été révisée par un professionnel, rien de tout cela ne serait arrivé". Mais ce qui est le plus insupportable dans cette tragique histoire pour la robe noire, c’est le manque de compassion. "Tout ce que la gérante a fait ensuite, comme demander à ma cliente de lui payer en deux fois les sommes qu’elle lui devait le demontre » tance le conseil.

 - Des négligences accablantes -

L’avocate générale appuie ce constat. Elle rappelle que la machine n’a pas été révisée par un professionnel agréé, mais réparée « de manière artisanale ». Le crochet censé bloquer le capot en cas d'ouverture était défectueux. Le bouton d’arrêt d’urgence n’a pas fonctionné. La machine ne s’est arrêtée que lorsqu’elle a été débranchée à l'arrivée des secours. Son frein était usé, la rendant instable : « C’est pour cela qu’elle est tombée lorsque la victime a tenté de retirer son bras. »

Elle souligne également que le contrat de travail de Nacéra ne prévoyait pas la confection de pâtes, tâche qui lui avait pourtant été confiée avant de requérir 12 mois de prison avec sursis simple et 5.000 euros d’amende contre la gérante, assortis de trois ans d’interdiction de gérer. Emmanuelle Barre propose aux juges d'appel de sanctionner la société à 15.000 euros d’amende.

- Une défense théatrale -

En face, Me Eric Bourlion a bien du mal à faire le poids. La robe noire parisienne adopte une plaidoirie théatrale, contestant méthodiquement tous les constats. Il demande la relaxe pure et simple de sa cliente, refusant de voir dans ses actes une violation manifeste des règles de sécurité.

Entre les sanglots de la prévenue, les mots de la victime, les rappels fermes du président et les passes d’armes entre avocats, le climat était lourd lors d'une audience qui a mis en lumière deux visions irréconciliables : celle d’une victime cherchant reconnaissance et compassion, et celle d’une gérante refusant d’endosser sa part de responsabilité.

La cour d’appel a mis sa décision en délibéré. Le jugement sera rendu le jeudi 4 décembre 2025.

is/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

guest
0 Commentaires