Le 9 avril 2024, le préfet de La Réunion, l'Agence régionale de santé et plusieurs acteurs de la filière alcool de La Réunion ont signé une charte pour lutter contre ce fléau qui touche notre île. Parmi les nouvelles mesures annoncées : l'encadrement de la publicité avant la fête des pères et des mères ainsi que l'arrêt de la vente d'alcool réfrigéré dans les enseignes de grande distribution (déjà interdite dans les stations-service). Cela est-il réellement suffisant pour renforcer les "interdits protecteurs" ? Alors qu'à La Réunion, l'alcool tue presque 500 personnes par an, cette charte n'est qu'un petit pas face à ce fléau. (Photo photo Sly/www.imazpress.com)
Le préfet, par ses mesures et avec l'appui de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), souhaite un programme visant à renforcer l'application des "interdits protecteurs" en matière de vente et de publicité pour l'alcool.
Pour les professionnels de santé, "cette charte est non-contraignante", lance le Docteur David Mété, chef du service addictologie au CHU Nord. "Ce n'est pas une loi, un décret ou un arrêté, c'est un engagement de bonne volonté avec les limites que cela comporte", ajoute-t-il.
Certes "il faut saluer la démarche et s'en réjouir, même s'il faut regretter que les professionnels de l'addictologie n'y aient pas été associés".
La crainte pour le professionnel de santé, "c'est en effet qu'une fois Monsieur Filippini parti, on l'oublie. Un phénomène déjà observé par le passé".
"Elle tient au dynamisme de l'équipe préfectorale actuelle qui travaille en phase avec l'ARS aussi davantage investie sur les questions d'addictions que par le passé. Malheureusement, en observateur de ce sujet depuis plus de 20 ans, c'est loin d'avoir toujours été le cas. Comme dit le proverbe : "Chassez le naturel et il revient au galop".
"Nous serons donc, comme toujours, avec les acteurs de l'addictologie, vigilants pour rappeler aux uns et aux autres l'importance du respect de ses engagements et la nécessité d'aller plus loin afin que les Réunionnaises et Réunionnais soient mieux préservés du risque alcool, comme pour ceux des autres pratiques addictives", précise le Docteur David Mété.
- Une charte nécessaire dans la lutte... -
Une charte qui vise à interdire la vente d'alcool dans les frigos réfrigérés des supermarchés – et à interdire la pub 4X3 pour de l'alcool, une semaine avant la fête des pères et la fête des mères, est-ce vraiment révolutionnaire ?
Pour la préfecture : "il s'agit d'une mesure importante qui va au-delà des obligations légales et réglementaires des professionnels." "Avec cette nouvelle charte d'engagement, signée par les fédérations de la grande distribution, l’interdiction de la vente d'alcool réfrigéré dans ces établissements constitue une nouvelle avancée pour les publics vulnérables et un signal fort d’engagement sociétal."
Sur la question des publicités, la préfecture explique que "l'encadrement de la publicité sur l'alcool est régi par la loi Évin de 1991 qui définit, entre autres, les supports ainsi que les contenus autorisés en matière de publicité pour l'alcool".
"À La Réunion en particulier, cette publicité pour l'alcool est davantage encadrée depuis la mise en place de périmètres de protection de 200 mètres autour des établissements dits "protégés" (établissements scolaires, équipements sportifs, établissements de loisirs de la jeunesse) dans lesquels la publicité pour l'alcool est totalement interdite."
"La charte signée consacre un axe important à ce volet en matière de formation des professionnels au respect de ces règles et d’accompagnement des afficheurs par l'édition d'une liste des établissements dits "protégés", afin d'en faciliter l'application sur le terrain", ajoutent les services de l'État.
"Concernant les jeunes en particulier, les études en santé publique démontrent que les jeunes sont particulièrement exposés aux effets de la publicité, d'où la nécessité de mieux l'encadrer. Selon une étude de l'office français des drogues et des tendances addictives (OFDT), 86% des adolescents se souviennent avoir vu ou entendu une publicité pour l'alcool et près de 23% disent avoir ressenti l'envie de consommer la boisson mise en valeur."
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Mais alors pourquoi limiter cette publicité à la seule période de la fête des mères et des pères ?
"La limitation de la publicité pour l'alcool, sur une période donnée, constitue une action inédite qu'il faut souligner. Les négociations engagées avec les professionnels de l'alcool, tenant compte du principe de proportionnalité et de la liberté du commerce et de l'industrie, ont permis de déboucher sur cette action de réduction de la publicité avant les fêtes des pères et des mères, avec un arrêt des publicités pour l'alcool sur les panneaux d'affichage publics 4X3 et sur les premières de couvertures des prospectus publicitaires" a répondu la préfecture, interrogée par Imaz Press.
"Dans le contexte réunionnais où les violences intrafamiliales (VIF) ainsi que les troubles du spectre liés à l'alcoolisation fœtale (TSAF) sont des problématiques majeures, la baisse de la pression publicitaire en amont de ces fêtes populaires est une avancée importante et un engagement fort de la part des professionnels locaux."
- ... mais largement insuffisante face à un tel fléau -
Au cœur de son service d'addictologie, le Docteur Mété voit chaque jour des patients hospitalisés pour dépendance à l'alcool.
"Des personnes et leurs familles qui nous manifestent leur étonnement face à la facilité d'accéder à des boissons alcoolisées très bon marché, disponible partout et dont on fait même la promotion partout sur les 4X3 au bord des routes, dans les catalogues publicitaires, à l'entrée des magasins, avec des dégustations gratuites", dit-il.
La phrase qui est : "Pourquoi l'État le permet-il ?".
Le chef de service œuvre avec l'ORS sur une étude nommée ACMA974 "qui a pour objectif de comprendre mieux ce phénomène de la consommation d'alcool à La Réunion".
"Il faut se rendre compte que près de 10% des Réunionnais consomment près de 70% de l'alcool vendu en valeur absolue. Ce sont eux qui paient de leur vie, ce que je qualifie de véritable système organisé d'alcoolisation des plus vulnérables, sans compter les dommages collatéraux." "Un système malheureusement pérenne à La Réunion", ajoute le Docteur David Mété.
- Des publicités et des prix pas suffisamment encadrés -
La publicité pour l'alcool, ne devrait-elle pas être encore plus encadrée – comme cela a été demandé par les élus à plusieurs reprises ?
"Il le faudrait", répond le Docteur David Mété. "C'est le sens de l'action que nous menons avec l'ensemble des députés et sénateurs afin que l'on puisse interdire ces publicités pour une substance addictive, toxique, tératogène et cancérigène : des affichages qui favorisent l'alcoolisation précoce des jeunes, l'augmentation en fréquence et en intensité de leurs ivresses."
"Et à côté des supports traditionnels (4x3, catalogues...), il faut aussi réguler la pub sur les réseaux sociaux destinés à ces jeunes."
"L'alcool, produit réservé aux majeurs, ne devrait pas être accessible aux mineurs comme c'est le cas chez nous, il devrait, comme dans de nombreux pays le font, être vendu dans des magasins ou espaces spécialisés réservés aux adultes ; comme les sex-shops !", conclut le chef du service addictologie au CHU Nord.
Reçu par les syndicats de la filière, le député Frédéric Maillot n'a pas pu se retenir de se saisir de l'occasion "pour insister sur l'aspect santé publique". "Je me suis même engagé à écrire au Président pour interdire de façon totale les publicités via l'alcool", dit-il.
Pour Philippe Naillet, "cette charte, que j’avais notamment suggérée au Préfet le 26 octobre 2022, est un pas supplémentaire dans la lutte contre l’alcoolisation excessive". Toutefois, "il est important que nous avancions collectivement sur la suppression de la publicité que nous pourrions mener à titre expérimental à La Réunion. La loi Évin n’est pas satisfaisante en l’état. Des campagnes de sensibilisation doivent être menées. Ce travail nécessaire de prévention pourrait être alimenté par des taxes sur certains alcools".
Le député Jean-Hugues Ratenon le dit, "l’achat des boissons alcoolisées dans les réfrigérateurs ne représente qu’à peine 1% de la consommation". "Renforcer les contrôles pourrait être une solution."
Concernant les publicités, "j'ai présenté, en juillet 2019 avec plusieurs collègues de la France Insoumise, une proposition de loi intitulée "Interdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées". Cette proposition, comportait un article unique, suggérant au deuxième alinéa l'interdiction de toute propagande et distribution gratuite de publicités de boissons alcoolisées, visant ainsi à limiter leur promotion et à protéger nos jeunes et la santé publique. Malheureusement, cette proposition n’a pas été retenue par le Gouvernement."
"Revoir les prix de l'alcool est une piste à explorer en effet", ajoute-t-il. "Toutefois, il est primordial, à mon sens, d'axer les efforts sur les campagnes de sensibilisation aux effets néfastes de l'alcoolisme. En effet, pour les individus déjà dépendants, une hausse des prix, même significative, pourrait ne pas décourager leur consommation. La clé réside donc dans l'éducation et la prévention", ajoute le député.
- L'alcool, responsable de près de 500 morts par an à La Réunion -
Dans notre département, l'alcool tue. Sur les routes ou dans la vie quotidienne, ce petit liquide est la raison pour laquelle près de 500 personnes perdent la vie chaque année.
"On estime à 250 le nombre de décès liés directement à l’alcool (cause directe) par an à La Réunion, et plus de 450 décès au moins en partie imputables à l’alcool", précise l'ARS.
"On dénombre également 5.000 passages aux urgences en lien direct avec l'alcool", ajoute l'Observatoire régional de santé (ORS).
Ajouté à cela, les problématiques liées au spectre de l'alcoolisation fœtale en lien avec la consommation d'alcool par les femmes enceintes. Un trouble qui concerne environ 150 nouveau-nés par an à La Réunion.
En matière de sécurité routière, on compte "presque un accident avec alcool tous les deux jours en moyenne", indique la préfecture. "La moitié des accidents mortels sont liés à une consommation d'alcool."
En 2023, l’alcool était la cause principale de 157 accidents de la route sur 882 et, en 2022, de 146 accidents sur 748. L'alcool est responsable de 53% des accidents mortels (16 accidents) en 2023 et de 50% des accidents mortels en 2022 (21 accidents). "L'alcool reste donc la cause principale des accidents mortels à La Réunion", confirme la préfecture.
L'alcool qui – selon les forces de l'ordre – représente près de 80% des faits de violences intra-familiales commis.
Afin de s’assurer de la bonne mise en œuvre de cette charte, des comités de suivi seront mis en place, notamment avec les partenaires et les signataires de la charte pour effectuer des points de situation réguliers sur les actions déployées.
Les signataires participeront au comité de suivi pour mesurer les impacts de la charte.
Sous l'égide de l'ARS, une étude régionale relative à l'alcoolisation chronique massive à La Réunion sera également réalisée auprès des personnes prises en charge dans la filière de soins addictologiques.
Les résultats de cette étude seront présentés début 2025 et permettront à l’ARS de mieux orienter les actions de prévention et d’accompagnement de ces publics.
ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com
les pays qui ont légalisés le cannabis ont enregistrés une baisse significative de la consommation d alcool et de drogues fortes. A bon entendeurs ;salut!