Depuis le 1er janvier, le challenge Dry January est lancé. La mission, si on l’accepte, est de ne pas consommer d’alcool durant tout un mois. Un concept qui séduit et qui attire (pas beaucoup) de personnes. A l'arrivée, ce défi doit vous procurer de nombreux bienfaits mais pas que. La route est longue mais le jeu en vaut la chandelle quand on sait que La Réunion est l'un des départements le plus touché par la consommation d'alcool. (Photo Illustration alcool photo RB imazpress )
Pendant trente et un jours, oubliez le whisky, le vin, le champagne, la bière, le rhum ou encore le petit digestif à la fin du repas. C’est Dry January (ndlr un janvier sec) jusqu’au 31 janvier. Un concept venu tout droit du Royaume-Uni, presque à l'identique du mois sans tabac sauf qu'à la place de la cigarette, c'est l'alcool qu'il ne faut pas consommer. Et cette année, cet évènement fête ses 10 ans.
Comme nous le rappelle le chef du service d'addictologie du CHU Félix Guyon, le docteur David Mété, « le Dry January consiste à s’abstenir de boissons alcoolisées pendant tout le mois de janvier après la période des fêtes souvent marquée par les excès. » Car oui, terminé les festivités de Noël et du nouvel an. Une période où on a eu tendance à acheter (pour quelques uns d’entre nous) plus que de raison des spiritueux.
Vous êtes nombreux à vouloir les consommer dans le courant du mois, pour ne pas gaspiller (ou pour continuer sur cet effet des vacances), comme Alice. La Dionysienne est consciente de sa surconsommation d’alcool pendant les fêtes. « Durant cette période, je ne compte pas ma consommation. Mais après dès que le travail reprend, c’est fini. »
Et pourtant, si vous arrêtez d’en boire, même sur une courte période, votre vie, votre quotidien vous semblera plus clair. Au sens propre comme au sens figuré. Par exemple, si vous avez l’habitude de boire en soirée avec des amis vous pouvez rire de tout et de rien. Imaginez si vous ne touchez pas une goût d’alcool… la fête est toujours aussi bien mais les mêmes blagues ne vous feront pas toujours autant rire.
Si le concept est plus connu dans l'Hexagone, il peine à réunir des adeptes à La Réunion. Ne plus boire d'alcool ne fait pas partie des bonnes résolutions pour tout le monde et encore moins pour le mois de janvier. C'est le cas de Frédérique, qui n'a pas prévu dans ses résolutions de ne plus consommer de l'alcool. "C'est un concept intéressant ; dans quelques années je le ferai peut-être".
Carla, espère, elle, qy'une fois les 31 jours écoulés, elle aura une plus grande énergie. "Je serai déjà moins fatiguée et puis mon foie ira sûrement mieux", ajoute-t-elle.
Outre les bienfaits physique de la privation d'alcool, ne pas boire va déjà permettre à votre porte-monnaie de souffler un peu après les périodes de fêtes. Les cadeaux, les gâteaux, le fois gras, le ti carry langouste, le champagne, etc...Tout cela a un coût. Les comptes de certains Réunionnais sont parfois à sec, alors même que nous sommes dans une période d'inflation. Se priver d'alcool peut permettre de garder de l'argent en poche. Ou d'éviter les gueules de bois et les lendemains de soirées difficiles....
- Le corps vous dit merci -
Comme l'indique David Mété, "l’alcool, même à petites doses, est une substance toxique, cancérigène. L’arrêt de l’alcool entraîne donc un mieux être physique et mental rapide et très appréciable pour toute personne qui a l’habitude de boire." C'est dans cette optique que par exemple, Carla, employée d'un établissement de restauration à Saint-Denis à décider de se lancer ce défi. "Je me rends compte que je bois beaucoup, régulièrement, ça ne peut pas me faire de mal de m'arrêter pendant un mois. Je consomme en moyenne tous les deux trois jours et puis plus que deux, trois verres". C'est long mais ça en vaut la peine.
D'autres consommateurs ne comptent pas forcément observer cette période de sevrage comme Laurence. "La consommation d’alcool moi c’est très peu, on va dire que c’est occasionnel. C'est le week-end ou pour un moment festif, mais en semaine comme je travaille je ne ressens pas l’envie d’aller boire de l’alcool. Je peux consommer entre un et deux verres par semaine, pas plus". Elle estime que l'on peut effectivement s’amuser sans alcool, boire un jus de fruit ou des boissons gazeuses, tout en passant un bon moment
L'addictologue explique que ce défi est toujours aussi important puisqu'il "offre une occasion de se rendre compte du mieux être apporté par une période d’abstinence. Sortir de sa zone de confort, de ses habitudes". Pour lui, comme le mois sans tabac, "c’est une excellente initiative. Les études montrent un bénéfice avec une diminution de l’usage problématique de l’alcool, une augmentation de notre capacité à affirmer notre refus de consommer."
En faisant ce challenge, on change ainsi sa relation à l'alcool, en adoptant un principe de consommation modérée et occasionnelle, nous explique David Mété. Il estime également que les moyens pour endiguer la problématique de l'alcool sont nettement insuffisants. "Nous faisons partie des pays au monde où, l’on boit le plus : cela se solde par plus de 45.000 décès annuels (en France) et d’innombrables drames que notre société semble accepter."
- Des professionnels peu impactés -
Du côté des vendeurs de bouteille d'alcool et des restaurateurs, l'impact du Dry January ne se fait pas (du tout) ressentir. "Bien au contraire", note Jean, responsable d'un restaurant dans le chef lieu de l'île. "L'ironie de la situation : on a encore plus de clients qui consomment qu'à la normale. Il y a beaucoup plus de cocktail, c'est plus festif cette période. Là, on a un bon petit 15 -20 % de vente en plus que d'habitude", analyse le restaurateur. Selon lui, cela peut s'expliquer avec la sortie du covid-19. "On en a mangé pendant trois ans, donc finalement les personnes ont peut-être envie de ressortir, de re-bouger un peu maintenant que les restrictions sont tombées et qu'il n'y a plus d'état d'urgence". Comme le soutiennent d'autres professionnels du secteur de la restauration et de la vente, le Dry January n'a aucune conséquence sur leur chiffre d'affaires. Ecoutez :
Jhoti Tacoun, vendeur et conseiller dans un magasin de spiritueux, ajoute que "certains clients qui le font, sont déjà venu faire un tour et voir les bouteilles qu'ils choisiront pour fêter la fin du Dry January". Valentin, également restaurateur complète que "même si les gens adhèrent à ce concept, ils vont prendre autre chose, comme du jus ou des cocktails sans alcool. Notre enseigne va continuer de tourner."
- Les publicités qui ne rendent pas toujours la tâche facile -
Si nous sommes remplie de bonnes volontés dès le début du challenge, des signes peuvent nous décourager. Lorsque l'on passe en voiture ou en bus dans certaines rues, on retrouve des publicités pour des boissons alcoolisées. Comme du rhum, du whisky ou encore de la bière. Pour notre addictologue engagé, "la publicité pour l’alcool est une aberration au regard de la santé publique. Les études montrent que la publicité favorise le démarrage plus précoce des consommations à l’adolescence, une augmentation des ivresses en fréquence et en intensité. Certaines d’entre elles établissent aussi un lien avec l’accidentologie routière et les actes de violence sous l’effet de l’alcool."
Pour encadrer la publicité autour de l'alcool, il existe la loi Evin, une loi du 10 janvier 1991. Elle ne prohibe pas la publicité en faveur des boissons alcoolisées. Comme elle le stipule "la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites sont autorisées" et selon certaines conditions. Il est notamment possible d'en faire la publicité "sous forme d'affiches et d'enseignes, sous réserve de l'article L. 3323-5-1 ; sous forme d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat".
Comme le note David Mété, "le gouvernement actuel "est particulièrement attentif au lobby alcoolier dont l’influence est considérable en France. Le Président Emmanuel Macron a clairement exprimé son opposition à revenir vers l’esprit initial de la loi Evin qui interdisait la publicité pour l’alcool."
- 400 à 450 décès par an , dû à l'alcool -
Au-delà du défi, c'est une question de santé. Le chef du service d'addictologie nous indique et rappelle qu'à La Réunion, on estime entre 400 et 450 décès par an, dû à l'alcool. "Le niveau de consommation moyen est paradoxalement proche de la moyenne nationale mais avec une vraisemblance des consommations chez des personnes vulnérables ainsi qu’un plus haut niveau de personnes abstinentes." L'île est la troisième région la plus touchée par l'alcool, après les Hauts-de-France et la Bretagne. Pour expliquer ce résultat, il faut se pencher sur l'habitude de consommation de spiritueux qui est proportionnellement deux fois plus importante chez nous mais aussi à des facteurs sociaux et culturels, aiguille le docteur.
L'alcool entraîne aussi des accidents, notamment sur la route. Le 1er janvier 2023, deux passagers d'une voiture ont perdu la vie, à Sainte-Rose. Le conducteur du véhicule a été mis en examen pour homicides involontaires aggravés et laissé libre sous contrôle judiciaire. L'alcool pourrait être à l'origine de cet accident, alors que ce dernier a été contrôlé positif au test d'alcoolémie.
Par ailleurs, en 2021, la part des personnes tuées à La Réunion dans des accidents mortels impliquant au moins un conducteur alcoolisé était de 38%, contre 40% en 2020. Parmi les accidents corporels dont l’alcoolémie des conducteurs est connue, 14% d’entre eux ont un conducteur dont l’alcoolémie était supérieure à la réglementation en vigueur.
Lire aussi - Alcool : ce fléau tue plus de 450 personnes tous les ans à La Réunion
Pour rappel, il est recommandé de ne pas consommer plus de deux verres par jour et pas tous les jours. Encore une fois, l’alcool est non seulement addictif, toxique mais aussi cancérigène en raison de la présence de la molécule éthanol dans sa composition.
Pour les personnes qui sont intéressées par le défi, vous pouvez encore le faire. Et ainsi rejoindre les 35% de Français qui pensaient participer au Dry January, selon un sondage BVA de 2022.
Ou alors faites comme Leïla, une jeune étudiante réunionnaise : ne buvez pas d'alcool, "c'est dégueulasse", comme elle le prône. Et puis voici un dernier message, que vous entendez, voyez et lisez régulièrement : "L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
A noter que s'il n'y a que du positif à travers cette démarche, l'addictologue David Mété avertit malgré tout que le Dry January peut représenter un risque les personnes fortement dépendantes ,chez lesquelles un arrêt brutal de l’alcool en dehors d’une supervision médicale "peut entraîner des accidents de sevrage (crise d’épilepsie, delirium tremens)." Comme le suggère le professionnel de santé, troquez votre verre d'alcool contre des mocktails (ndlr cocktail sans alcool). Ils "peuvent être source de plaisirs et aussi de bien-être (vitamines, etc). Cela peut interpeller nos relations et du coup constituer une occasion de s’interroger sur nos habitudes et d’en discuter."
Pour les personnes qui souhaitent en savoir plus sur le Dry January, rendez-vous sur une page internet spécialement dédiée pour l'occasion par La Fédération Addiction.
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