Lucas, Lindsay, Marion… Voici quelques-uns des noms de ces jeunes adolescents qui se sont ôtés la vie, détruits par le harcèlement scolaire. Derrière ces trois prénoms, les victimes sont bien plus nombreuses. Et même si à La Réunion les derniers chiffres évoquent un enfant sur huit victime… combien n'osent pas en parler. Face à ce fléau, une marche est organisée ce samedi 1er juillet à Saint-Denis (Photos : sly/www.imazpress.com)
Aux Avirons, c'est un petit garçon de cinq ans qui, depuis plus d'un an, est victime de harcèlement. Sa maman a accepté de se confier à Imaz Press.
"Depuis l'an dernier, dans sa classe, un petit garçon a de l'emprise sur lui. C'était un nouvel élève et il avait pris mon fils pour son meilleur ami." Si jusque-là tout semblait aller pour le mieux, ce n'était pas le cas pour le petit de cinq ans. "Mon fils voulait tout le temps jouer avec lui et mon garçon ne pouvait rien faire d'autre. Pendant la récréation c'était vient jouer avec moi. Et si mon fils disait non il le poussait, le frappait et ça… tous les jours", confie la maman.
Une maman qui a rapidement constaté le changement de comportement chez son garçon. "Mon fils qui adorait aller à l'école me disait maman je n'ai pas envie d'y aller." En le questionnant, le jeune écolier avoue à sa maman et à ses proches qu'un garçon l'embête tout le temps.
À ce moment précis, la maman des Avirons s'inquiète. "Je suis allée voir la maîtresse pour voir ce qu'il se passait mais au départ elle ne voyait pas trop le problème." Mais comme ça perdurait, "l'enseignante est partie voir la directrice". Aucun changement…
Les problèmes se poursuivent pour ce garçon. "Au départ il le poussait, le frappait et puis après il le forçait à l'embrasser sur la bouche. Mon fils disait non." "J'étais démunie parce que mon fils ne voulait plus aller à l'école et quand il arrivait à la maison il ne me parlait que de cet enfant."
Sentant que le changement de la part de l'éducation nationale ne serait pas de suite, la maman s'est rendue sur la page Me too harcèlement 974 de l'association Écoute-moi, protège-moi, aide-moi. "J'ai pris contact avec l'association et là on m'a expliqué qu'il fallait tout mettre par écrit, expliquer la situation et faire un courrier à destination de la directrice, du rectorat et de l'inspection académique du secteur", nous explique la maman.
Et là surprise. "J'ai été convoquée avec la maman du petit. Là ça commençait à bouger. Si l'autre maman me dit mon fils veut juste jouer, je lui ai expliqué que le mien ne se sentait pas bien, il fallait faire quelque chose."
C'est seulement après ce parcours que le changement est apparu. "Le garçon a arrêté d'embrasser et de pousser mon fils", et ce, "même si ce garçon le colle toujours."
Un répit qui devrait se poursuivre l'année prochaine, lorsque le petit garçon montera de classe et ne se trouvera donc plus dans la même enceinte que l'autre élève. "Ça me rassure car je sens bien que mon fils subissait des pressions psychologiques. C'était difficile pour moi en tant que maman." Une maman qui se souvient même de la seule fois où son fils a été heureux en rentrant de l'école. "De suite il m'a dit maman, j'ai passé une super journée parce qu'il n'était pas là."
Une maman pour qui la marche de samedi est très importante. "Il faut faire bouger les choses, pour que l'on entende plus parler du harcèlement." "Avec cette marche les parents auront moins peur d'en parler", espère-t-elle.
Des parents pour qui, si elle avait un conseil, c'est "d'être à l'écoute de son enfant et de déceler chaque changement de comportement envers l'école et lui-même". "Il ne faut pas prendre ces signes à la légère."
- Une marche pour dire "stop" au harcèlement scolaire -
Rendez-vous a donc été donc donné ce samedi 1er juillet à 13 heures devant le Jardin de l'État à, Saint-Denis. C'est d'ailleurs la première mobilisation de ce type et sur ce sujet à La Réunion.
"Avant qu'un autre malheur nous frappe, marchons pour demander un renforcement de moyens pour plus de sécurité et d'accompagnement de nos enfants au sein des écoles", déclare Stop VIF Protégeons nos enfants.
Le cortège a descendu la rue de Paris pour rejoindre le Barachois, pour rejoindre symboliquement l'école de la bienveillance. À cette occasion, plusieurs familles et victimes prendront la parole.
Le rassemblement se terminera autour d'un goûter-partage. Plateau musical, stands de prévention, consultations juridiques gratuites sont également prévus.
Pour Audrey Coridon, représentante du collectif Stop Vif Protégeons nos enfants, le "harcèlement ce n'est plus possible. Il faut des moyens et une meilleure coordination pour pouvoir lutter contre le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire".
Au travers de cette mobilisation, elle explique "que le harcèlement commence dès la petite enfance et continue de se perpétrer jusqu'au lycée". "L'idée c'est prendre à la racines et mobiliser plus de moyens sur le premier degré." El ajoute, "il faut que les parents prennent conscience".
"Venez soutenir nos enfants, porter leur voix et rappeler que nous les adultes, nous avons un devoir de les protéger."
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- Un enfant sur huit touché à La Réunion -
À La Réunion, on estime qu’un enfant sur huit en serait victime. Un chiffre malheureusement bien loin de la réalité, d’après les associations. Derrière ce nombre, se cachent d’autres familles, d’autres enfants qui n’osent pas en parler. Et pourtant ces enfants sont victimes et doivent être protégés.
Jessy Yong-Peng, qui gère la page Facebook Me Too harcèlement scolaire 974, voit chaque jour des appels de parents se succéder.
"Sur cette page, on a deux à trois familles par jour qui viennent prendre des renseignements. On sent bien là la souffrance", dit-elle. C'est d'ailleurs sur cette page que la maman des Avirons a trouvé du soutien.
"Des familles perdues qui ont vu des portes restées fermées, sans réponses." Des pères et mères qui, depuis l'affaire Lindsay ont peur.
Des harcèlements verbaux, psychologiques mais également physiques.
- Mais que fait l'école ? -
"L’École se fonde sur le respect de l’autre. Respect des élèves, dans toutes leurs différences et leur diversité, dans le cadre des lois et principes de la République. Respect des élèves et des familles envers les professeurs, l’autorité de leur savoir, ainsi qu’à l’égard de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale", indique l'Académie de La Réunion dans un communiqué.
Pour ce faire, et pour lutter contre le harcèlement scolaire, plusieurs dispositifs sont mis en place.
Au premier rang desquels, le programme pHARe. Un programme de prévention du harcèlement qui dote les écoles et les établissements scolaires d’une stratégie globale d’intervention.
Débuté à la rentrée 2021 dans l’académie, le programme pHARe poursuit son déploiement cette année dans les collèges avec quatre dernières journées de formation. Le pivot du programme est la formation d’une équipe ressource de cinq personnes dans chaque circonscription ou collège.
Il existe également le dispositif des élèves ambassadeurs. Le rôle des ambassadeurs contre le harcèlement est de mettre en place un projet de sensibilisa- tion à la problématique du harcèlement entre pairs.
Outre la lutte contre le harcèlement, ce dispositif permet de valoriser le rôle des élèves et de leur donner des responsabilités au sein de leur établissement.
Dernier axe, la sensibilisation. "Avec l’utilisation permanente des nouvelles technologies de communication (téléphones, réseaux sociaux numériques), le harcèlement entre élèves se poursuit en dehors de l’enceinte des établissements scolaires", note le Rectorat.
L’éducation nationale a un rôle fondamental à jouer dans la transmission des valeurs liées à un usage responsable d’internet, et s’engage donc à informer les élèves sur l’importance de parler des problèmes rencontrés avec les adultes de l’établissement et de venir en aide aux victimes, mais également de les mettre en garde sur les risques liés à l’utilisation des nouveaux médias la protection de leurs données personnelles et de leur vie privée.
Outre ces trois grands axes, "de nombreux projets sont menés dans les établissements scolaires comme des affiches de sensibilisation au collège Bourbon (Saint-Denis), le projet Colibris dans des écoles et collèges du nord et de l'est ou encore le banc de l'amitié au collège Paul Hermann (Saint-Pierre).
- Le harcèlement, un problème à prendre à bras-le-corps -
La Première ministre, Élisabeth Borne, a promis de faire "de la lutte contre le harcèlement la priorité absolue de la rentrée 2023".
Nous devons aller plus loin dans la lutte contre le harcèlement scolaire. C’est une priorité du Gouvernement.
— Élisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) June 22, 2023
Afin d’amplifier notre action et nous doter d’une stratégie complète, un plan sera présenté à la rentrée 2023 avec tous les ministères concernés. pic.twitter.com/l208WygIeW
Pap Ndiaye a lui estimé devant la presse que "l'école peut et doit faire son travail, mais l'école ne peut pas tout faire".
"Il faut aussi une mobilisation des parents sur la question du cyberharcèlement, parce que nous ne pouvons pas surveiller ce que font les élèves le soir quand ils sont rentrés chez eux, ou bien pendant les vacances", a-t-il ajouté.
Lors d’un échange en visioconférence avec les chefs d’établissements et les inspecteurs de l’éducation nationale, mardi 13 juin, Pap NDiaye a fait savoir que le harcèlement scolaire ferait l’objet d’une "grande campagne nationale de prévention" à la rentrée de septembre.
Cette campagne sera menée à la télévision, sur les réseaux sociaux et par voie d’affichage, a précisé l’entourage du ministre à l’Agence France-Presse.
Témoignages, écoute, échanges : heure de sensibilisation à la lutte contre le harcèlement cet après-midi au collège Watteau, à Nogent-sur-Marne. Merci aux élèves et aux équipes pour leur engagement. C’est ensemble que nous améliorerons la prise en charge de ce fléau. pic.twitter.com/ySBA6INhMT
— Pap Ndiaye (@PapNdiaye) June 15, 2023
D’autres mesures sont censées prendre effet à la rentrée, notamment la désignation d’un "référent harcèlement" dans chaque établissement et l’extension du programme de lutte contre le harcèlement (pHARe) à l’ensemble des écoles, collèges et lycées.
Les élèves harceleurs, qui font peser une menace grave et immédiate sur la sécurité des autres élèves pourront être plus facilement changés d’école.
Il sera également demandé aux chefs d’établissement de saisir de manière immédiate et systématique le procureur de la République, pour tout signalement d’une situation préoccupante.
"Nous déploierons un programme de formation sur 4 ans, de l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale", poursuit le ministère de l'Éducation nationale.
Le ministère ajoutant : "nous allouerons davantage de moyens aux plateformes d’écoute et de signalement du 30 18 et 30 20 pour renforcer les équipes d’écoutants".
- Quels numéros contacter en cas de harcèlement ou cyberharcèlement scolaire ? -
Pour ne plus connaître de nouveaux drames après le suicide de Lindsay, plusieurs numéros d'appel sont à connaître contre le harcèlement et le cyberharcèlement scolaire.
Parents, élèves et professionnels peuvent contacter le 3020 et 3018 pour déclarer des situations de harcèlement et recevoir un soutien pour les combattre.
L'Éducation nationale promet de renforcer leurs moyens à la rentrée prochaine.
Le 3020 est à disposition des parents, des élèves et des professionnels pour déclarer une situation de harcèlement. Il est possible de joindre le 3020 du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9h à 20h du lundi au vendredi et de 9h à 18h le samedi.
En cas de cyberharcèlement, il faut appeler le 3018. Il s'agit d'un numéro vert national de prise en charge des victimes de cyberharcèlement à l’école. 100% anonyme, gratuit et confidentiel, il est ouvert du lundi au samedi de 9h à 20h. Il peut obtenir le retrait de contenus illicites en ligne.
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