Concurrence (actualisé)

Lorsque les locations saisonnières grignotent l'offre de logement et font grimper les prix

  • Publié le 15 juillet 2024 à 11:07
  • Actualisé le 15 juillet 2024 à 13:34

À La Réunion comme dans tous les hauts lieux touristiques, les locations saisonnières grignotent petit à petit l'offre de logement pour la population locale. Aujourd'hui, environ 25% touristes se tournent vers une location saisonnière. Une situation délicate, alors que la crise du logement s'intensifie toujours plus. La hausse des loyers et la raréfaction de l'offre se heurtent cependant à un problème majeur : le poids du tourisme dans l'économie réunionnaise (Photo www.imazpress.com)

La suppression de la niche fiscale pour les logements type AirBnb sera-t-elle suffisante pour ralentir la crise du logement qui empire chaque année un peu plus dans l'île ? Si c'est un pas dans la bonne direction, il reste beaucoup à faire.

"C'est une bonne mesure pour les villes où il n'y a pas de crise majeure comme celle que nous vivons, mais ici ce n'est absolument pas suffisant" estime Erick Fontaine, administrateur de la Confédération nationale du logement (CNL) à La Réunion. "Ce sont des mesurettes. Je pense qu'on ne mesure pas la gravité de la situation dans l'île" déplore-t-il.

Une niche fiscale que le gouvernement a par ailleurs tenté de maintenir par tous les moyens. "Cela fait des années que nous nous battons pour que cette niche fiscale soit supprimée. La prétendue "erreur" du gouvernement de maintenir cet abattement disproportionné en 2024 alors même que le Parlement avait acté sa suppression était un déni démocratique de plus auquel il nous a habitué depuis 7 ans" réagir la députée Karine Lebon.

Pour l'élue, la suppression de cette niche aura "inévitablement" des effets positifs sur l'offre de logement sur l'île.

"Cette niche créait une incitation explicite à la location saisonnière au détriment de la location longue durée pour les résidents de notre île. Dès aujourd'hui, les propriétaires pourront renouer avec la location conventionnelle qui est un fondement essentiel de la lutte contre la crise du logement que nous traversons" estime-t-elle.

Mais pour Erick Fontaine, il aurait fallu aller beaucoup plus loin. "Au-delà de la niche fiscale, il aurait fallu augmenter la taxe des locations meublées" dit-il. En effet, il est aujourd'hui plus avantageux pour les propriétaires de louer un appartement meublé plutôt que vide grâce à un abattage fiscal allant jusqu'à 50% sur les loyers perçus.

La durée du bail est aussi beaucoup plus courte : un an, voire neuf mois pour les locations étudiantes, contre trois ans obligatoires pour les logements vides. Les loyers sont aussi plus élevés.

" Quand on loue un logement vide, on paie plus d'impôt que s'il est meublé, il faut inverser cette logique. Dans ce département, on ne peut pas prendre un train pour déménager dans un lieu moins cher. La crise du logement est une crise sociale, qui va devenir majeure" martèle Erick Fontaine.

"On demande au gouvernement de revoir à la hausse les impôts des meublés de tourisme et des locations meublées."

- Inciter les propriétaires à louer -

Si les propriétaires se tournent vers le saisonnier, c'est parce qu'ils y trouvent leur compte. Les députés veulent mettre en place des garanties pour les inciter à revenir vers la location classique.

"Si les propriétaires se tournaient principalement vers la location saisonnière ou meublée, c'est que l'Etat les y incitait. La manne financière était importante et la vie de nos concitoyens était reléguée au second plan" déplore Karine Lebon.

"Malgré la suppression de cette niche fiscale, certains propriétaires pourront rester réticents à l'idée de proposer leurs logements en location longue durée. Il nous faut les y encourager par différents dispositifs" argue la députée.

"Il nous faut assurer aux propriétaires la garantie que la mise en location conventionnelle de leurs logements se passera bien. Pour redonner confiance aux propriétaires, le programme du Nouveau Front populaire prévoit notamment une garantie universelle d'Etat pour chaque contrat de location longue durée, quel que soit le niveau de revenu des locataires" rappelle-t-elle.

"Nous allons également augmenter d'au moins 10% les APL. En d'autres termes, tout doit être fait pour lever les réticences des petits propriétaires."

Les difficultés financières de nombreux Réunionnais peuvent aussi être un frein. "Pour les propriétaires, les difficultés financières des locataires peuvent dissuader. Les APL n'ont pas été revalorisées malgré l'inflation et la population se paupérise, les expulsions sont compliquées, donc beaucoup de propriétaires préfèrent louer en saisonnier" analyse Emeline K/Bidi.

- Renforcer l'implication des maires -

La piste la plus crédible aujourd'hui est l'instauration d'un quota dans les communes où l'offre est la plus sous tension.

Emeline K/Bidi plaide en effet pour la "limitation du nombre de locations sur certaines communes. "Aujourd'hui, les maires peuvent contrôler et limiter à certaines zones ces locations, mais pas les limiter."

"La loi dit déjà que les locations saisonnières doivent être signalées à la commune. La plupart ne le font pas, cela rend donc difficile le travail des maires" rappelle la députée.

"Les communes ont déjà des pouvoirs de contrôle, il faut donc le renforcer pour leur permettre d'avoir la main sur la gestion du logement. Les maires doivent être en première ligne dans l'aménagement du territoire" estime-t-elle. "On a trop écarté les maires au profit des intercommunalités, de la Région et de l'Etat."

Une proposition avancée aussi par Erick Fontaine. "Il faudrait limiter les locations saisonnières par territoire, et opérer un contrôle extrêmement strict pour s'assurer que l'offre et la demande s'alignent. On peut par exemple imaginer un permis de louer, comme cela existe déjà, pour permettre de savoir à qui les propriétaires louent leur bien, et à la collectivité de statuer sur la délivrance, ou non, de ce permis" propose-t-il.

Le député Frédéric Maillot temporise cependant : "les propriétaires doivent aussi un trouver leur intérêt."

"Evidemment, dans les zones tendues, il faut qu'il y ait une solidarité en place, le logement social ne pouvant pas répondre à toute la demande. Toutes les maisons secondaires ne peuvent pas être louées en location saisonnière" dit-il.

Dans la 2ème circonscription, Karine Lebon dit travailler "main dans la main avec les maires (...)qui font effectivement face à une recrudescence de ces locations saisonnières engendrant ainsi la colère légitime des Réunionnais" .

"Plusieurs idées propres à chaque commune sont sur la table, mon rôle est de faire pression auprès des services des différents ministères pour que la mise en oeuvre des dispositifs imaginés sur le plan local se fassent en toute légalité" déclare la députée.

"Le cadre légal permet à certaines collectivités de mettre en place des mesures particulières sur leur territoire et les exemples sont nombreux. Je pense notamment à certaines communes qui obligent les propriétaires à compenser la mise en location saisonnière d'un logement à la mise en location de longue durée d'un autre logement" cite-t-elle.

"Ainsi, les propriétaires qui ont un seul logement à louer sont dans l'obligation de le mettre en location conventionnelle."

- Allier tourisme et logement -

D’après les études de l’Observatoire régional du tourisme, 556.089 visiteurs extérieurs sont venus en 2023 à La Réunion soit une hausse de 12% par rapport à 2022. A cela s'ajoute la clientèle locale, qui pèse pour 63% des recettes dans le secteur du tourisme.

Il faut donc être en capacité d'héberger ces touristes, surtout dans un contexte où la Région aspire à rendre toujours plus attractive l'île.

"Beaucoup de ces locations saisonnières font de la concurrence aux gîtes, et sont en réalité une filière parallèle parce qu'ils ne déclarent pas correctement leur bien. Il faut mieux réguler" avance Emeline K/Bidi.

"L'idée n'est pas d'interdire, mais il faut que ça se complète entre les hôtels, les gîtes, les chambres d'hôtes…Il en faut pour toutes les bourses pour tous les profils de vacanciers" dit -elle.

Pour Karine Lebon, il est par ailleurs important de "bien distinguer les petits propriétaires qui souhaitent arrondir leurs fins de mois en louant occasionnellement une de leurs chambres et les grands investisseurs qui achètent des logements par lots uniquement pour de la location saisonnière".

"C'est bien à cette deuxième catégorie de personnes que nous nous attaquons."

- "Concurrence déloyale -

Karine Lebon souligne par ailleurs une "concurrence déloyale" entre professionnels et particuliers. "Certains particuliers sur le marché du tourisme mettent en difficulté les acteurs de l'hôtellerie qui peinent à remplir leurs établissements".

"L'économie engendrée par l'activité touristique doit d'abord revenir aux professionnels du tourisme, puis par ricochets à l'ensemble de l'île" dit-elle.  

"J'ai reçu il y a quelques mois le président de l'association Gîtes de France - Réunion qui m'a dressé un constat sans appel : la plupart de nos gîtes qui font partie de notre savoir-accueillir et de notre patrimoine touristique risquent de disparaître face à AirBnB et Booking" alerte la députée.

"C'est aussi en parvenant à rediriger les touristes vers les établissements professionnels que nous parviendrons à désengorger le marché privé de la location pour les habitants de notre île" assure-t-elle.

Emeline K/Bidi abonde : "il y a dans ma circonscription un véritable problème de fausses locations saisonnières, qui fonctionnent en-dehors de toute régulation".

"En tant qu'avocate, je vois beaucoup de gens qui se retrouvent à habiter à l'année dans des locations saisonnières, et qui paient donc deux fois plus chers en n'ayant pas les mêmes droits que les locataires classiques. Ces gens-là n'osent pas aller en justice, et vivent parfois dans conditions déplorables" témoigne-t-elle.

"Cela devient une façon détournée de louer un logement pour les propriétaires peu scrupuleux. Tout cela nécessite davantage de régulation."

- Logements vacants et construction au ralenti -

Mais la crise du logement est, malheureusement, multifactorielle. Le manque de nouveaux logements, par exemple, est aussi pointé du doigt.

"Il y 46.000 demandes de logements à La Réunion, pour 1.600 livraisons de logements neufs par an, et 5.000 réponses positives. C'est trop peu" alerte, une nouvelle fois, Erick Fontaine.

Karine Lebon appelle également à "lancer un audit national sur les 1,3 millions de logements vacants afin de déterminer ceux qui nécessitent des rénovations, ceux qui peuvent être remis sur le marché ou ceux qui peuvent être réquisitionnés".

D'après les chiffres de l'Insee qui datent de 2020, près de 35.000 logements sont vacants, soit 8,9 % de l’ensemble des logements de l’île, une part proche du niveau national. Neuf communes de l’île sont concernées, dont les trois plus peuplées (Saint-Denis, Saint-Paul, Saint-Pierre).

La part de logements vacants y est un peu supérieure à la moyenne régionale. Toutefois, elle est plus élevée encore dans les communes des cirques (Cilaos et Salazie), dans les communes du Sud-Est (Sainte-Rose et Saint-Philippe), à Saint-Benoît et Trois-Bassins. Dans ces zones, les propriétaires de logements vacants sont soumis à une taxe.

Erick Fontaine temporise cependant sur des chiffres à "prendre avec des pincettes". "La CINOR a lancé enquête pour les logements vacants, qui étaient estimés à 10.000. Des rencontres sont en cours avec les propriétaires pour identifier si les logements sont vraiment vacants ou pas, car il y a un décalage entre les chiffres de l'Insee et la réalité : il y a derrière des problèmes de succession, certains ont été loués entre-temps…Il n'y en a pas autant que ce qu'on pensait" annonce l'administrateur de la CNL. Une centaine de logements ont été réellement identifiés pour l'heure sur l'intercommunalité.

La multiplication des colocations pose par ailleurs aussi un énorme problème. "Nous n'avons de données sur les colocations, mais cela fait exploser les prix. Quand on loue une maison à 500 euros la chambre, les propriétaires préfèrent faire de la colocation plutôt que louer à une famille" déplore-t-il. Un problème sans réelle solution, les élus ne pouvant pas interdire ces colocations.

L'unique moyen de freiner ces ardeurs seraient un plafonnement du loyer. Pour l'heure, dans les neuf communes placées en zone tendue, les propriétaires ne peuvent plus augmenter les loyers entre chaque locataires. "Mécaniquement, cela va avancer vers un plafonnement, les prix ne pouvant plus augmenter" estime Emeline K/Bidi.

Enfin, Karine Lebon appelle à "tout mettre en oeuvre pour que l'Etat respecte certaines obligations qu'il ne respectait pas jusqu'à maintenant.". "Je pense particulièrement à la loi Dalo, à l'hébergement d'urgence ou encore aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale. L'Etat a été condamné à plusieurs reprises pour des manquements envers ces obligations légales, nous devons lui redonner les moyens de les mettre en œuvre" dénonce-t-elle.

Une remise en question de l'amendement Virapoullé, qui est "un frein sur le logement" selon Erick Fontaine, peut aussi être une piste de réflexion.

Alors qu'à l'horizon 2037, La Réunion pourrait atteindre le million d'habitants, le problème, s'il n'est pas traité, ne va que s'empirer. Les élus appellent à une relance des constructions, mais aussi à une meilleure régulation des locations saisonnières.

Lire aussi - Les logements vacants et résidences secondaires (largement) plus taxés en 2024

Lire aussi - Hausse des loyers, peu de logements sociaux, insalubrité : la CNL alerte (encore) sur la situation

* article modifié à 11h30

as/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

guest
8 Commentaires
lolo
lolo
8 mois

c'est normal que les propriétaires bailleurs préférent louer en saisonnier ,quand vous avez des locataires lambda qui vous paient au lance pierre ou qui détruisent l'intérieur de la maison comme l'extérieur je les comprends tout a fait

Papang
Papang
8 mois

Plusieurs mesures sont possibles :
- diminuer la fiscalité sur les logements vides sous condition de plafonner les loyers
- exiger une licence pour louer en saisonnier, révisable annuellement, et limiter le nombre de licences par communes, et surtout contrôler !!!
- avoir du courage politique

Budy
Budy
8 mois

L'article démontre parfaitement que nos "élus" sont totalement déconnectés de la réalité d'un propriétaire bailleur. Peut être qu'il faudrait mettre des abattement plus intéressant sur les locations non meublées pour inciter les bailleurs à louer en classique. La réponse des politiques est digne d'eux même: taxer à tous va, limiter, augmenter les aides et j'en passe. Si ces mêmes "politiques" avaient des locations saisonnières, le discours serai bien différent

Isarun
Isarun
8 mois

Depuis quand c'est aux privés de répondre à une absence de politique publique ? faites votre boulot d'élus pour commencer, le logement c'est votre responsabilité !

marius
marius
8 mois

Manque de logements ? commencez par mettre de l'ordre dans la manière de construire : le résultat fait que des logements neufs dans le "social" qui sont inhabitables peu après les livraisons (toits qui s'envolent, inondation etc etc). Aucun coupable donc tout va bien, continuons..............................

Reese
Reese
8 mois

Je vais louer en longue durée mon logement en meublé… et désolé si ça ne plaît pas à Monsieur mais il y a des locataires qui recherchent ce type de logement. Et être taxé à 70% sur ses loyers est-ce normal ? Surtout ces messieurs dames semblent oublier que la plupart des gens font un crédit et que le loyer va payer ce crédit (pour ma part sur 20 ans).

Il aurait fallu
Il aurait fallu
8 mois

Erick, avec vos "il aurait fallu", ne pensez vous pas qu'il aurait aussi fallu donner une consigne de vote ???

Hhhh
Hhhh
8 mois

25% des habitations de l'île sont des logements touristiques? Sérieusement ? D’où sort ce chiffre ? (Bonjour, toutes nos excuses il s'agit d'une mauvaise interprétation de chiffres de notre part, c'est corrigé. Bonne journée - modérateur)