René Paul Victoria, député de La Réunion, nous a fait parvenir une tribune libre - que nous publions intégralement ci-dessous -, intitulée "Pour une île créole durable, appel pour le vivre ensemble".
La Réunion est le modèle le plus achevé au monde de la vie commune d'hommes et de femmes de croyances, de couleurs et de cultures différentes dans la République. Ce modèle est né d'un processus historique de partage et d'appropriation par des hommes venus de partout pour travailler dans une île déserte . Il a été mis en ?uvre dans une géographie insulaire, tropicale et lointaine marquée par le système de plantation, par l'engagisme et par l'esclavage .Ce modèle repose sur le métissage des corps et des imaginaires et sur l'éthique.
Ce double métissage, appelé créolisation, considère que toutes les cultures et toutes les croyances sont égales en dignité et en vérité ; il considère que tout ce qui appartient à l'un des éléments du creuset, appartient à l'ensemble du groupe en partage. Cette richesse exceptionnelle doit être protégée.
Ce modèle est basé sur l'éthique. Selon Emmanuel Levinas, avant le souci de soi que nous avons légitimement, l'éthique nous invite au souci des autres ; elle exige que nous soyons responsables des autres. Il est utile de rappeler que le terme vivre ensemble, dans son acceptation contemporaine, a été inventé à La Réunion en 1841 par Baudelaire.
Les modèles de bonheur ne sont pas donnés de toute éternité sur la Terre des hommes. Seule, en effet, la mort est durable ; et la vie est un combat de chaque jour jamais définitivement gagné. Aujourd'hui ,ce modèle réunionnais semble menacé. Peut-il résister aux grands vents de la mondialisation et des migrations ? Quels comportements adopter face au déferlement des modes et des hommes étrangers à la culture créole et qui peuvent mettre en péril l'héritage constitué par près de 4 siècles de vie commune ? Que faut-il faire ?
Il faut redoubler de générosité pour accueillir dans l'espace créole moderne, sans dénaturer notre nature environnementale et notre nature profonde. Il faut résister à ceux qui défendent les cultures de la supériorité, de la séparation et de la mort de l'autre dans sa différence.
Vivre dans une île créole permet à chacun de conserver sa façon particulière d'être dans sa vie privée, et de partager des choses communes dans l'espace public. Cette liberté se vit pleinement dans le respect de la loi républicaine, de l'ordre et de la responsabilité.
Vivre dans une île créole, c'est s'enrichir de nos mutuelles différences, car, rien de ce qui est humain ne nous est étranger. Chaque Créole est en même temps Cafre, Zarab, Zoreil, Yab, Malabar, Chinois et l'humanité entière. Comme l'affirment les jeunes de Slam-Lakour, " Tous nos ailleurs sont ici ".
J'appelle la jeunesse réunionnaise à ce combat afin de préserver l'identité réunionnaise. Il faut résister aux marchands de haine et de mort, pour maintenir à La Réunion un biotope créole ouvert à la biodiversité du monde. Il faut résister tant pour nous que pour le monde. Car demain sera créole ou il n'y aura pas de demain.
René-Paul Victoria,
Député de La Réunion.
18 Juin 2010
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