Trafic de drogue

Mules par appât du gain ou détresse psychologique et pour le bonheur des trafiquants

  • Publié le 9 août 2023 à 12:08

À La Réunion, le trafic de stupéfiants est en hausse. Il y a quelque temps nous évoquions les transits de marchandises illégales par bateau, c'est également par avion que la drogue entre sur le territoire réunionnais, grâce aux mules (passeurs transportant des stupéfiants). Le phénomène s'amplifie. En l'espace de six mois, dix de ces personnes ont été arrêtées contre neuf sur l'ensemble de l'année 2022. Dernière interpellation en date, ce vendredi 4 août 2023 à Gillot. Mais qui sont ces mules qui, par appât du gain ou en détresse psychologique, font le bonheur des trafiquants (Photo : sly/www.imazpress.com)

Parmi ces mules, des hommes, des femmes, jeunes ou moins jeunes, pour la plupart "en détresse financière et/ou psychologique, attirées par le gain facile malgré les dangers", a indiqué lors d'une conférence de presse à Gillot, Véronique Denizot, procureure de Saint-Denis.

Des mules prêtes à tout pour réussir à faire passer la drogue à l'aéroport, quitte à mettre leur vie en danger et leur avenir en péril.

Pour rappel, les mules, sont des passeurs de drogues, en l'occurrence ici de cocaïne, qui transportent la marchandise sur eux, dans leurs valises ou même dans leur corps en l'ingérant à l'aide d'ovules.

La dernière interceptée, l'a été ce vendredi 4 août à l'aéroport de Gillot. Selon nos confrères de la presse locale, le jeune homme âgé d'une vingtaine d'années et originaire de Reims a été intercepté avec 64 ovules de cocaïne dans le corps pour une valeur marchande de 85.000 euros.

Le lundi 7 août 2023, il a été présenté à la barre du tribunal de Saint-Denis en comparution immédiate. Si, selon son avocat, il aurait "servi d'appât", le procureur lui a déclaré "les faits ont été commis en connaissance de cause", note la presse locale.

À l'issue de l'audience, il a été condamné à trois ans de détention.

Les deux précédentes affaires en date, une jeune femme en provenance de l'Hexagone avec 120 doses de cocaïne dans le corps. Le lendemain, c'est un homme qui a été intercepté avec 40 doses. Deux personnes hospitalisées et placées en garde à vue le temps d'évacuer ces doses.

Peu avant, le 3 mai, une élue de métropole, mère de famille, a elle aussi été arrêtée à Gillot avec 10 kg de hachich, 1 kg de cocaïne et 2.000 buvards de LSD. La tête du réseau, un homme basé à Créteil mais venant plusieurs fois à La Réunion a lui aussi été interpellé.

Les risques d'une telle pratique sont parfois mortels. Car si le sac se rompt dans le corps, le risque majeur est l'overdose. Les complications médicales dues au transport de drogue dans le système digestif ont un nom, on parle du "body packer syndrom", qu'on pourrait traduire par le "syndrome de la mule". 

Parmi les complications "mécaniques", on peut citer l'occlusion intestinale, si un ou plusieurs paquets de drogue obstruent  l'intestin grêle ou le côlon. Dans ce cas, une chirurgie pratiquée en urgence permet de récupérer les boulettes de drogues pour libérer le système digestif.

- L'appât du gain comme moteur -

Et pourtant, malgré les risques, l'overdose ou la prison, le voyage souvent bien rémunéré attire. "Les trafiquants utilisent tous les moyens possibles pour apporter des produits et donc le fait d'utiliser les mules c'est utiliser la misère humaine de gens en difficulté financière qui ont besoin d'argent rapide. On leur propose de mettre leur vie en danger pour 4.000/5.000 euros", explique le directeur régional des douanes.

"Ce qui les pousse c'est l'argent", confirme l'avocat Jean-Jacques Morel. "Qu'est-ce qui pourrait les pousser à part l'appât du gain ?" "Mais ces gens n'ont pas conscience du risque sinon ils ne le feraient pas", ajoute-t-il. "Ce sont des gens paumés, qui ont des dettes, ce ne sont pas des trafiquants", précise l'avocat. "Ce sont des acteurs et surtout des victimes d'un système", note le magistrat.

Il nous l'explique, "ces personnes ne savent pas dans quoi elles s'embarquent, elles sont contactées par des personnes dans un bar ou à une gare", conclut Maître Jean-Jacques Morel.

Des jeunes gens "entre 20 et 50 ans qui gâchent leur vie pour un voyage et écopent d'une peine lourde".

À La Réunion, depuis le début de l'année, dix personnes ont été interceptées. Mais certaines ont pu passer les contrôles des douanes. "Plus il y a de passagers plus il est facile de s'insérer en essayant de passer au milieu des touristes" a ajouté Jean-Pierre Deleage, responsable des douanes à Gillot.

Mais que risquent-elles ? "Certaines passent en comparution immédiate. Les mules risquent des peines de dix ans d'emprisonnement."

"Jusqu'à présent, les personnes interpellées ont été condamnées à un an d'emprisonnement minimum par le tribunal judiciaire de Saint-Denis", ajoute la procureure.

- Remonter les réseaux -

Mais si les mules sont interceptées, quid des têtes du réseau ou du moins de la ou les personnes à qui cette drogue était destinée ?

"Notre objectif à la douane est de saisir les produits, empêcher qu'ils soient consommés et ensuite démanteler les réseaux", notait Nicolas Le Gall, directeur régional des douanes.

"Les mules sont remises au service judiciaire qui fait une enquête derrière pour essayer d'identifier les personnes qui les attendaient, qui allaient les récupérer et les exploiter pour d'autres voyages", ajoute-t-il.

La procureure a poursuivi en disant : "une affaire de mule a récemment permis de tirer des fils par des échanges de renseignements et des exploitations téléphoniques. On a celui ou celle qui emmène les produits mais on peut aussi remonter à ceux qui tirent les commandes".

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- Les chiffres à La Réunion -

En 2022, 137 kg de cannabis (+384 % par rapport à 2021), 16 kg de cocaïne (+274 % par rapport à 2021), 90 000 comprimés d’ecstasy saisis.

Le recours à l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) est en augmentation de 83% à La Réunion, de 321 en 2021 à 589 en 2022.

En 2023, les infractions à la législation sur les stupéfiants sont de +95% (comparaison des faits commis entre les 5 premiers mois de l’année 2022 et les 5 premiers mois de l’année 2023).

La tendance à la hausse se confirme pour 2023 : 167 AFD au premier semestre 2022 contre 558 au premier semestre 2023, soit une évolution de 234%.

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ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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