Série de mesures

Lutte contre les violences intrafamiliales : le gouvernement fait des annonces, les associations attendent de voir

  • Publié le 22 novembre 2023 à 15:47

De bonnes mesures qui restent à concrétiser, de possibles effets d'annonces, un certain manque d'ambition, voire des "mesurettes" : ce lundi, plusieurs dispositifs ont été annoncés pour lutter contre les violences intrafamiliales. Des annonces attendues depuis longtemps par les associations, qui sont en partie perplexes, voire déçues des engagements pris par le gouvernement (Photo : rb/www.imazpress.com)

"C'est un bon début, mais c'est une goutte d'eau face aux besoins des victimes de violences" estime Frédéric Rousset, président du Collectif pour l'élimination des violences intrafamiliales (CEVIF).

Enquêteurs spécialisés supplémentaires, un "coup de pouce" de 1.500 euros à 18 ans pour les jeunes sortants de l'Aide sociale à l'enfance, aide financière d'urgence de 600 euros en moyenne pour permettre aux victimes de violences conjugales de quitter leur domicile…Plusieurs mesures ont été annoncées par le gouvernement ce lundi, mais celles-ci semblent faibles face à l'urgence de la situation.

"600 euros, c'est bien parce que sortir d'un cycle de violence est long et cher. Le premier poste de dépense est le logement, et les victimes que nous accompagnons peinent souvent à réunir la somme pour rentrer dans un logement" indique Frédéric Rousset. "Cependant, quand on sait que les femmes victimes font plusieurs allers-retours avant de quitter définitivement leur conjoint violent, je m'interroge sur les capacités de la CAF à gérer cette dynamique" souligne-t-il.

Face aux nombreuses dépenses que doivent affronter les victimes de violences conjugales, notamment quand elles ont des enfants, cette aide peut sembler dérisoire face aux besoins réels. "Il y a encore du travail à faire."

"On passe enfin des injonctions à la réalité, car pour partir il faut des moyens financiers" se réjouit de son côté Evelyne Corbière, sénatrice et présidente de l'Union des femmes réunionnaises (UFR). "On commence enfin à faire le lien entre l'emprise, les violences conjugales, et la réalité des moyens mis à leur disposition."

Elle s'interroge tout de même sur les moyens réels qui existent et qui sont à la disposition de ces femmes. "Si on continue à être dans une crise du logement à La Réunion, quelle solution concrète peut-on leur proposer ? Dans quel délai ces victimes vont-elles être aidées ? Il y a une enveloppe dédiée, mais elle reste insuffisante" estime la sénatrice.  

- Des aides trop faibles -


"Au-delà de la question du logement, il y a le problème de transport, de nourriture, les moyens dans la luttre contre les VIF sont constants alors que les bénéficiaires sont en augmentation" ajoute par ailleurs Evelyne Corbière.

On peut aussi s'interroger sur l'efficacité de la CAF pour faire face à l'urgence de ces situations. N'importe qui ayant déjà eu affaire à leurs services peut témoigner de la lenteur de l'administration…Comment s'assurer que les victimes seront prises en charge correctement ? Aurore Bergé a souligné qu'"il y a des agents quand même et qui sont heureusement compétents et efficaces" dans les CAF et qu'il "y a différents moyens de joindre la CAF, il y a les appeler, il y a aller sur place, il y a aller sur Internet". De quoi rassurer, donc.

Le montant alloué pose aussi question : que faire véritablement avec 600 euros ? Car si cette somme n'est pas fixe, dépendant de la situation et du nombre d'enfants, il est difficile d'imaginer que cette somme permette réellement de sortir la tête de l'eau, particulièrement dans les cas où les victimes ont connu des années de violences économiques.

"C'est une mesure intéressante, mais pour prétendre à cette aide il faut un justificatif (plainte ou ordonnance d'éloignement), ce qui réduit encore le champs des possibles" critique Evelyne Corbière. "Toutes les victimes ne déposent pas plainte et toutes les procédures n'aboutissent pas" rappelle-t-elle.

"Il faut trouver des solutions pour celles qui n'émargent pas à ces critères, et penser aux femmes qui s'en sortent mais se retrouvent dans des procédures longues et coûteuses."

- "Coup de communication" ou réelles mesures ? -

Côté lutte contre les violences faites aux enfants, certaines associations redoutent "un coup de communication" et dénoncent certaines mesures déjà existantes, bien que certaines annonces semblent satisfaisantes.

"Il y a de bonnes mesures grâce à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), c'est intéressant pour les associations car on voit enfin que notre travail n'a pas été vain" se réjouit Audrey Coridon, du collectif Stop VIF.

"Il y a eu beaucoup d'enquêtes ministérielles, mais ça n'aboutissait jamais. Ici, ce n'est pas resté lettre morte" dit-elle. "Après tous les échanges qu'on a pu avoir avec le ministère, on voit aujourd'hui la résonnance de nos propositions."

"Ces annonces sont timides" estime cependant Frédéric Rousset. "Il faut plus de moyens, mieux hiérarchiser la chaine de prise en charge. On doit assurer une immunité disciplinaire aux médecins, qui subissent aujourd'hui des sanctions de la part de l'Ordre des médecins quand ils signalent des violences. Il faut former tout le monde, la police, les gendarmes, les enseignants…Il faut aller les chercher les enfants, on sait qu'il y a en moyenne trois victimes par classe" liste-t-il.

Jessy Yongpen, de l'association Ecoute moi, protège moi, aide moi (EPA), dénonce elle des "mesures annoncées qui sont déjà existantes". "On nous annonce des mesurettes : le renforcement des effectifs n'est pas suffisant, la justice doit se remettre en question, il faut plus de moyens humains et financiers, plus de coordination entre les services, un parcours fléché pour les familles d'enfants victimes…" liste-t-elle.

"Il faut déjà que les lois existantes soient appliquées : quand une plainte est déposée contre un parent, le droit de visite et d'hébergement doit être réellement levé en attendant les conclusions de l'enquête" insiste Jessy Yongpen. "La réalité sur le terrain, c'est que les mères se voient conseiller de respecter la décision initiale du juge aux affaires familiales, et remettent leur enfant au parent contre lequel elles ont déposé plainte" regrette-t-elle.

- Une justice à la traîne -


Et là où le bât blesse, comme dans toutes les affaires de violence, c'est la lenteur de la justice. Si La Réunion a accueilli plusieurs nouveaux magistrats en septembre, les moyens restent largement insuffisants pour traiter rapidement les affaires les plus urgentes. Plusieurs années se déroulent entre les plaintes pour VIF et les condamnations – quand il y en a…

"Il y a un vrai bémol, c'est qu'il n'y a toujours pas les moyens humains dans les tribunaux" abonde Audrey Coridon. "S'il n'y a pas de magistrats pour traiter tous les éléments recueillis, que se passe-t-il ?"

"Il faut continuer à être très vigilant. Le gouvernement a annoncé la reconduction de la Ciivise, mais il y a une volonté à écarter le juge Edouard Durant en charge de la Ciivise, qui dérange" dénonce Frédéric Rousset.

"C'est la première fois qu'on a un plan aussi abouti, c'est un plan essentiel et porteur de beaucoup d'espoirs. Il faut désormais s'assurer que les moyens soient mis en place, et on y veillera au grain" conclut Audrey Coridon.

Si le gouvernement semble – enfin – prendre sérieusement ces responsabilités dans ces violences systémiques, il reste beaucoup de chemin à faire avant une vraie élimination des VIF. Et un véritable investissement humain, et financier,  tarde toujours à arriver. Et ce, malgré la place de "lutte du quinquennat" que tient la lutte contre les violences faites aux femmes, et aux enfants.  

Dans un département où les violences intrafamiliales sont un véritable fléau, des mesures rapides et adaptées sont impératives. La Réunion est aujourd'hui le 4ème territoire le plus violent envers les femmes, et deux à trois enfants par classe en moyenne sont victimes d'inceste. En 2022, ce sont 5.348 informations préoccupantes pour violences sur enfant qui ont été relevées.

Dans ce contexte, le réveil du gouvernement n'arrive que trop tard, et est loin d'être assez brutal.

as/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

guest
0 Commentaires