MOBILISATION DES TAXIS Le Barachois est rouvert dans les deux sens

GRÈVE DES TAXIS Le Barachois fermé à la circulation

voir plus

Tribune libre d'Huguette Bello

18ème Congrès des régions de France : "les Outre-mer se déclinent au pluriel"

  • Publié le 15 septembre 2022 à 18:45
Huguette Bello

Je souhaite pour commencer remercier vivement Véronique Bertile  d’avoir su en peu de temps montrer que si les Outre-mer se  conjuguent désormais au pluriel ce n’est pas seulement du fait de  leur appartenance géographique ou de leurs développements historiques, mais aussi, désormais, en raison de la diversité de leurs  configurations institutionnelles et statutaires. Depuis la première  décennie du 21e siècle, nous sommes passés d’une logique  d’uniformité, de moins en moins crédible, à l’ambition du «sur  mesure», certes plus exigeant mais tellement plus en phase avec les  attentes légitimes des citoyens vis-à-vis des politiques publiques.  

Les Outre-mer se déclinent donc au pluriel. Comme le démontrent  nos collègues ici présents, aucun de nos territoires n’est réductible à un autre et les préconisations valables pour l’un ne le sont pas  forcément pour l’autre. Elles ne sont pas interchangeables. La  refondation des relations entre l’État et les Outre-mer n’aura de sens et de portée véritable que si elle est pensée et mise en œuvre de  manière différenciée. 

Cette refondation devra être déclinée territoire par territoire si elle  ne veut pas être mort-née. Oui, c’est un changement complet de  logiciel pour l’État mais aussi parfois pour nous-mêmes si j’en crois  certaines réactions ; j’allais dire certains réflexes automatiques ; à  l’Appel de Fort-de-France.  

En ce qui concerne la Réunion, cette déclinaison a un nom : c’est  l’optimisation des potentialités constitutionnelles. Qu’il s’agisse de  l’adaptation, ce vieux principe rénové et élargi, ou de  l’expérimentation de droit commun dans sa toute nouvelle version,  les marges de manœuvre existent encore.  

Cette déclinaison a aussi un objectif : celui de lever les obstacles  normatifs, qui du fait de leur inadéquation ou encore de leur  carence, entravent les politiques de développement et découragent  les initiatives.  

Vous le voyez, on ne parle pas ici de changement statutaire qui,  notons-le, est, assorti de solides garanties démocratiques, en  premier lieu le vote des citoyens par voie référendaire. Il ne s’agit  pas non plus de modifier l’architecture institutionnelle. Nous  voulons ouvrir une nouvelle dynamique de développement à partir  de la valorisation de nos atouts qui, vous le savez, sont nombreux.  Et cette nouvelle approche est fédératrice. 

C’est dans cet esprit que la Région Réunion vient de lancer le projet  de la «Nouvelle Économie» dans le cadre du schéma Régional de  Développement de l’Économie, de l’Internationalisation et  d’Innovation (SRDEII).  

Prenons par exemple l’objectif de souveraineté alimentaire qui fait  l’unanimité. La Réunion produit déjà plus de 75% des fruits et  légumes frais consommés localement. Mais on peut aller beaucoup  plus loin, notamment dans la filière animale. Nos filières agricoles  sont performantes. Mais en raison d’un cadre normatif inadapté, les  productions agricoles ne peuvent pas bénéficier d’une protection  phytosanitaire efficace en milieu tropical où pour le dire vite la  nature ne s’arrête jamais. Ici preuve est faite dans les champs  comme au Parlement que la transposition des normes et des  procédures élaborées pour des climats tempérés ne suffira pas pour  une agriculture performante et répondant aux besoins locaux.  

Autre exemple qui concerne cette fois l’insertion de la Réunion dans son environnement géo-économique. Notre île est sur l’axe  d’échanges Afrique-Asie qui est en forte expansion économique et  en plein dynamisme démographique. L’Indo-Pacifique c’est 60% de  la richesse mondiale et la moitié de la population de la planète.

Devons-nous, et pour quelles raisons, nous résigner à demeurer les  spectateurs passifs de ce mouvement mondial qui se déroule à nos  portes ? Le temps n’est-il pas venu de mobiliser mais aussi  d’élaborer les règles et moyens juridiques nous permettant de  déployer nos stratégies de codéveloppement régional ? Il y va de la  création d’emplois particulièrement pour notre jeunesse, de la  diversification de nos sources d’approvisionnement, du coût du fret,  de l’empreinte carbone.  

Autant de perspectives qui doivent nous donner le courage et la  ténacité nécessaires pour plaider et obtenir la capacité de conclure  des accords commerciaux avec des pays de notre voisinage, et aussi  d’être pleinement associés aux accords conclus par l’Union  européenne ou la France. Et pour celles et ceux qui, à ce stade, ne  seraient pas encore tout à fait convaincus de cette évolution, je  rappellerai seulement que plus de 98% des prises dans notre bassin  maritime sont le fait de flottes extérieures à notre île et que notre  droit de regard est égal à zéro. 

Le mandat que les Réunionnais nous ont confié lors des dernières  régionales est clair : c’est de produire l’avenir. C’est créer les  conditions pour bâtir notre développement durable. Cette responsabilité nous oblige à une attention soutenue à l’égard  de la question de l’énergie, cruciale à plus d’un titre. 

Notre ambition est claire et rencontre l’objectif de la France d’être à  l’échelle mondiale le premier grand pays à sortir de la dépendance  énergétique d’ici 2050. La Réunion souhaite être la première région  neutre en carbone et autonome énergétiquement en 2035. Avec la  mer, le soleil, le vent, le volcan, la biomasse et l’eau, la nature a  généreusement doté la Réunion de potentialités considérables dans  la marche vers les énergies renouvelables. Nous avons recensé les  différentes filières à développer. Nous savons œuvrer pour mobiliser les moyens financiers correspondants. Les compétences sont  disponibles grâce à une jeunesse de mieux en mieux formée.  L’adaptation des normes et de la réglementation est indispensable  pour atteindre l’autonomie énergétique.  

Alors, au nom de quels dogmes, les normes juridiques seraient-elles  destinées à rester intouchables ? Pour quelles raisons, à l’abri de  quels prétextes, devrions-nous tourner le dos à la différenciation  normative et contrarier notre grand objectif stratégique de  l’autonomie énergétique ?  

Ces exemples illustrent notre méthode, celle du pragmatisme, où  partant des contenus, nous sollicitons les voies et moyens  correspondants parmi lesquelles la formation et les règles juridiques ne sont pas les moindres. 

Aborder les aspects normatifs, c’est donner toutes ses chances aux  stratégies de développement, c’est élargir l’espace des possibles,  c’est reconnaître pleinement toutes nos particularités.  

La procédure des habilitations a 15 ans. Nous ne méconnaissons ni  ses limites, ni sa lourdeur, ni les améliorations souhaitées et  souhaitables. Mais les modalités qui encadrent strictement les  différentes étapes du processus sont aussi de solides garanties  constitutionnelles. C’est pourquoi optimiser les potentialités de  l’article 73 passe nécessairement à la Réunion par la suppression de  l’alinéa 5 ; l’alinéa pa Kapab ; cet alinéa prohibitif qui nous empêche  de fixer localement des règles normatives que notre développement exige. 

Tout le monde connaît les fantasmes et épouvantails qui ont été  agités pour justifier cet alinéa et tromper les Réunionnais. Force est  de constater qu’aucun des scénarios catastrophes annoncés ne s’est  réalisé dans les Antilles ou en Guyane où l’article 73 s’applique  pourtant in extenso.  

Forger des menaces imaginaires contre lesquelles on échafaude les  moyens d’y échapper a engendré de grandes œuvres littéraires.  Mais dans la vie «en vrai», c’est construire un écran qui masque la  réalité, avec ses inégalités de plus en plus insupportables, ses  nouvelles vulnérabilités, ses colères de moins en moins silencieuses. 

La suppression de cet alinéa 5 ne résoudra pas d’un seul coup tous  

nos problèmes pas plus que n’importe quelle autre évolution. Mais,  outre qu’elle permettrait d’ouvrir de nouvelles possibilités, elle serait d’une grande portée symbolique. Elle signifierait que nous faisons  

confiance en nous-mêmes, que nous croyons en notre capacité  

collective d’agir pour les intérêts propres de la Réunion et des  

Réunionnais. Dans la démarche pragmatique que nous préconisons,  cet acquis se révélera une pièce maîtresse.  

Je vous remercie.

guest
0 Commentaires