La devinette est un recours pédagogique convenu et probant ! Mon premier c'est l'éducation des enfants tout au long de la vie ; mon second c'est la nécessaire coopération entre les hommes de peine ; mon troisième c'est la culture pour les déshérités de la Terre afin d'atténuer la laideur du monde, et mon tout c'est un homme. La réponse est Jean Jaurès. Mais il est surtout une réponse d'espérance contre la misère matérielle et morale des plus petits. Et en tous temps et en tous lieux, cette réponse de Jaurès à " la question sociale " doit être retenue : "L'Histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l'invincible espoir."
"Le continent Jaurès"
Jean Jaurès est né le 3 septembre 1859 à Castres dans une famille paysanne. L’éducation transformera sa vie. Agrégé de philosophie en 1881, il devient docteur d’université le 5 février 1892 pour son plus grand malheur. Ses deux thèses, De la réalité du monde sensible (en français) et Des premiers linéaments du socialisme allemand (en latin), consacrent une dimension européenne. Mais l’heure est à la vengeance. Dans une France germanophobe, Le Petit Journal le surnomme Herr Jaurès, autant dire " un vendu " à l’Allemagne ennemie, et Charles Maurras " Mademoiselle Jaurès " pour se moquer de celui qui ne voulait pas se battre (en homme). Quand il est élu le 4 octobre 1885 dans le Tarn, il est le plus jeune député de la Chambre à 27 ans. Quand il est réélu à Carmaux, pays noir de mineurs et de détresse, il est confronté à l’oppression ouvrière. Toute sa vie il se consumera à défendre le droit à l’éducation pour la jeunesse et le droit à une vie digne pour les ouvriers.
Orateur républicain, intellectuel paysan, journaliste engagé, parlementaire réformiste, enseignant humaniste, socialiste européen et universaliste ouvrier : il est un modèle de dignité politique. Madeleine Réberioux le désigne comme " le continent Jaurès ". Mais sa vie publique dans la IIIe République est marquée du sceau du tragique, car il passera l’essentiel de son temps à se battre contre son propre camp socialiste et à défendre la République contre elle-même.
La IIIe République est un régime de paradoxes, de reculs et de renoncements. Initiatrice de la liberté scolaire avec l’école laïque, elle résistera à la construction du syndicalisme qu’elle avait pourtant octroyée par la loi Waldeck-Rousseau (1884) ; elle renoncera définitivement au droit de vote des femmes. La gauche avait créé l’impôt sur le revenu, intégré à la loi de finance votée le 15 juillet 1914 ; Jaurès souhaitait que l’argent aille à l’école et à la culture. L’impôt servira à la guerre. Car pour la plus grande confusion de Jaurès, c’est le gouvernement de gauche, après avoir échafaudé l’impérialisme colonial, qui va entraîner la France dans la guerre en 1914.
La lecture nuit gravement à l’ignorance
L’école et l’éducation populaire sont au cœur de la question sociale. Jaurès défend l’éducation tout au long de la vie qui forme le citoyen à la vie en société en développant sa conscience et ses talents. Afin d’enrichir " la flottante pensée enfantine ", il préconise dès le primaire, l’accès à la littérature et aux grands auteurs français, parmi lesquels il tient en haute estime le fabuliste La Fontaine. Dans ses souvenirs d’enfance, Jaurès disait ressentir la cruelle douleur que lui infligea la fable Le Loup et L’Agneau. Il se remémore : " Au fond des forêts, le loup l’emporte et puis le mange ". Le destin injuste des agneaux est d’être tué par les loups.
Mais le temps passe. " La longue fourmilière des minutes emportant chacune un grain chemine silencieusement, et un beau soir le grenier est vide " (Lycée Albi, 3 août 1903, Discours à la jeunesse). Ainsi va la vie. Le vieil homme qui ne voulait pas la guerre est assassiné le 31 juillet 1914 au Café du Croissant à Paris. A ses obsèques, le 4 août 1914, la France est déjà partie en guerre " la fleur au fusil ". Il avait 80 ans. Son assassin, Raoul Villain, sera acquitté le 29 mars 1919 par un jury populaire (11 voix contre 1), " au nom de la victoire ". Mme veuve Jaurès sera condamnée aux dépens. La " victoire " avait fait près de 10 millions de morts. " La première et la plus inoubliable victime de la guerre " selon Henri Fabre, entre au Panthéon le 23 novembre 1924 au son d’un poème d’Anna de Noailles déclamé par Madeleine Roch : " L’homme a besoin d’aimer ! Jean Jaurès nul écho / Ne peut vous parvenir de ce moment auguste / Où, par vous habitée, une foule au cœur juste / Avec amour vous mène aux cendres de Hugo "
A La Réunion, les mouvements humanistes lui rendront hommage à travers une exposition d’Education populaire intitulée "Jaurès, ou la réponse espérance à la question sociale" ; elle rappellera l’itinéraire de l’homme et la justesse de l’œuvre. Entre l’idéal et le réel dans la vraie vie, Jaurès propose un théorème de l’engagement : ne jamais séparer l’action politique de sa dimension intellectuelle et morale. La leçon est universelle et intemporelle pour donner au monde la figure d’homme. C’est aux jeunes maintenant de répondre à la question éclairante : qu’allez-vous faire de vos 20 ans ? Il n’y a qu’une réponse juste : contrer la barbarie. Sinon la Terre ira aux chiens de guerre.
Mario Serviable, Inspecteur de la jeunesse et des sports
Jaurès, l'année de sa mort, n'avait point 80 ans mais il allait avoir seulement 55 ans en septembre...
Poursuivons son chemin : " Le courage, c'est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l'approfondir et de la coordonner cependant à la vie générale. Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel. C'est d'agir et de se donner aux grandes causes, sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers. Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. Ce n'est pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho..."