Lettre ouverte de Wilfrid Bertile à François Hollande

La Réunion en quête d'avenir

  • Publié le 17 août 2014 à 17:00
Wilfrid Bertile

Monsieur le président de la République, votre venue à La Réunion est un événement. Parce que vous incarnez la France, notre pays. Parce que les voyages présidentiels ont toujours compté dans l'histoire de La Réunion. Parce que les attentes sont grandes dans une île où jamais, depuis le général de Gaulle, excepté lors du scrutin atypique de 2002, un candidat à la présidence de la République n'avait fait un score comparable au vôtre.

Soyez le bienvenu, chez vous, dans la France de l’océan Indien, qui comporte tant de belles réalisations. Vous allez en inaugurer, ce qui illustre un dynamisme local reconnu. La Réunion tranche dans le sud-ouest de l’océan Indien par son niveau de développement, par la formation de ses jeunes, par son système sanitaire et social. Elle possède d’indéniables atouts. La Commission européenne elle-même a reconnu  qu’à l’instar des autres régions ultrapériphériques, elle ne constitue pas seulement une région à problèmes, mais aussi et surtout une chance pour l’Europe. La France, la première concernée, doit aussi en avoir conscience.  

Mais notre fierté de la beauté de notre île et de ses réussites ne doit pas occulter ses graves difficultés.

La Réunion doit surmonter l’insurmontable alors que ses bases vacillent, que son modèle est incompatible avec l’idéologie dominante et qu’elle a l’impression d’être livrée à elle-même.  

La Réunion doit surmonter l’insurmontable

Vous connaissez les défis de La Réunion, maintes fois analysés et même banalisés. Alors qu’en France, selon le Premier ministre, il y a "  trop de souffrance, trop peu d’espérance ", ici c’est trois fois pire. Le taux de chômage (29%) est trois fois supérieur à la moyenne nationale. Trois  fois plus de personnes (42%) vivent en dessous du seuil de pauvreté.  Trois fois plus d’adultes sont sans diplômes, trois fois plus de personnes émargent aux minimas sociaux, trois fois plus de violences conjugales déchirent les familles…

A cela s’ajoutent un revenu moyen qui ne représente que les trois cinquièmes de celui de la Métropole, la vie plus chère, donc un pouvoir d’achat amoindri d’autant, des inégalités sociales plus accentuées, un gâchis humain avec des jeunes sans avenir, des savoir faire, des intelligences et des talents en jachère, des Mozart assassinés…

Sa transition démographique traînant en longueur, la population réunionnaise continue d’augmenter pour atteindre un million d’habitants en 2025, soit 17% de plus en une dizaine d’années, ce qui aggravera encore les questions d’emploi, de logement, d’aménagement du territoire... 

Ses bases vacillent

Non seulement le modèle de développement réunionnais est à bout de souffle, mais il est détricoté.

Du fait de ses handicaps structurels, comme l’insularité, l’éloignement, l’héritage colonial,  La Réunion n’a pu se développer que grâce aux interventions publiques, aux dérogations, aux subventions… La politique néolibérale préconisée par le Fonds monétaire international et par la Commission européenne se révèle incompatible avec le modèle réunionnais.

Cette politique se fait le chantre de la compétitivité, notamment par les coûts, mais faute d’économie d’échelle une petite économie insulaire peine à être compétitive dans une mondialisation débridée. Elle prône la concurrence libre et non faussée et s’en prend aux quotas sucriers, portant atteinte à une culture patrimoniale. Elle est pour la libre circulation des marchandises et menace l’existence de l’octroi de mer, protection pour nos entreprises et ressource pour nos communes. Elle veut la diminution des dépenses publiques et remet en cause périodiquement la défiscalisation, facteur de développement des investissements outre-mer.

Le système économique et social de La Réunion s’est structuré autour des crédits publics. Quand ils diminuent, la France, dont l’économie est pourtant diversifiée, patine. A La Réunion, c’est le moteur qui s’enraye avec des conséquences dramatiques sur l’emploi, les investissements, les aides sociales…

Une impression d’abandon

Face à ses défis quasi insurmontables, à ses bases qui vacillent, à son système qui est détricoté, La Réunion a l’impression d’être livrée à elle-même, sans perspective d’avenir.

Tout se passe comme si les élites parisiennes avaient une piètre idée des Outre-mer qui, depuis une dizaine d’années, ne semblent plus faire partie des priorités. Leurs problèmes sont abordés de façon technocratique, souvent peu respectueuse de l’identité des populations et des spécificités  des territoires. Les Outre-mer sont rarement considérés en tant que tels : dans leur politique commerciale ou étrangère, ni la France, ni l’Union européenne ne tiennent compte véritablement de leurs intérêts (ce sont pourtant aussi des intérêts nationaux et communautaires). On le voit dans les accords de partenariat économique passés entre l’Europe et les pays de leur environnement géographique qui les soumettent à une concurrence exacerbée. On le voit dans les aides publiques françaises à des infrastructures étrangères qui concurrencent directement celles de La Réunion, pour ne prendre qu’un exemple. On le voit au sort qui est fait aux Réunionnais et aux Mahorais dans l’océan Indien où la recentralisation revient sur les acquis de la loi d’orientation en matière de coopération régionale.   

Devant cette situation et ces perspectives, tout le monde ou presque reconnaît que le système actuel est à bout de souffle. Chacun appelle de ses vœux un nouveau projet pour La Réunion.

La thérapeutique de la responsabilité

La situation est suffisamment grave pour que chacun dépasse les intérêts de son camp, de son parti, de sa personne pour ne retenir que l’intérêt général. Chacun doit apporter sa pierre. C’est ce que nous voulons, respectueusement et brièvement, faire ici.

Le projet réunionnais doit fixer un cap, donner du sens et de la cohérence aux actions menées, permettre de les hiérarchiser.

Il doit partir d’une vision de notre île, replacée dans une perspective historique : La Réunion a toujours fait partie de l’ensemble français dont elle constitue une périphérie. Hier colonie, elle était une périphérie exploitée ; aujourd’hui département, elle  constitue une périphérie intégrée, modernisée et assistée. Son ambition serait de devenir une périphérie comptant davantage sur ses propres forces et même de constituer un centre relais dans l’océan Indien. Car elle ne se situe pas seulement au bout d’un cordon ombilical la rattachant à l’Europe, mais aussi au milieu d’une région aux potentialités réelles.

Ce projet doit être fondé sur l’identité de la population de La Réunion (les populations d’outre-mer sont reconnues par la Constitution), les spécificités de son  territoire et la solidarité. Les résultats attendus sont un développement de l’économie de production s’appuyant sur les potentialités, les avantages comparatifs et compétitifs de l’île, une meilleure cohésion sociale et territoriale, un développement mutuellement profitable avec les îles de l’Indiaocéanie.

Il doit avoir recours à une thérapeutique de la responsabilité. Cela signifie des institutions plus efficaces : le droit commun métropolitain issu de la réforme territoriale en cours comme les dispositions spécifiques à l’Outre-mer conduisent au renforcement de la Région ou à l’assemblée unique. On peut en attendre une plus grande lisibilité et une plus grande efficacité des politiques publiques. Cela signifie aussi des moyens financiers provenant non seulement des transferts publics mais encore d’une fiscalité locale socialement plus juste, écologiquement et économiquement plus efficace. Cela signifie enfin l’adhésion de la population, en rétablissant la confiance, en la mobilisant et en lui faisant partager une vision pour l’avenir de La Réunion.

Monsieur le président de la République, ce projet réunionnais, qu’il s’agit d’élaborer ensemble, Etat, élus locaux, société civile, doit faire  l’objet d’un contrat politique à passer avec le Gouvernement pour sa mise en œuvre.  C’est vous, Monsieur le Président, qui lors d’un meeting à Saint-Joseph en 2012, avez lancé cette idée. Nous y avons applaudi car nous pensons qu’un contrat global permettrait non seulement d’éviter l’improvisation coutumière des politiques nationales à l’égard des Outre-mer, mais surtout  ouvrirait la voie à un nouveau départ.

Il y a eu des moments dans notre histoire où l’outre-mer a connu de grandes avancées, le plus souvent quand les forces de progrès sont arrivées au pouvoir. Ce fut le cas en 1848 avec l’abolition de l’esclavage qui offrit la liberté à plus de 60% de la population. Ce fut le cas en 1946 avec la départementalisation qui instaura progressivement l’égalité sociale. Ce fut le cas en 1982  avec la reconnaissance des identités locales, gage de fraternité.

Après la liberté, après l’égalité, après la fraternité, pour cesser de tourner en rond et pour affronter des problèmes  apparemment insolubles, le temps est venu de la responsabilité.

Ce serait, à n’en pas douter, Monsieur le Président, une grande avancée démocratique qui marquera l’histoire des Outre-mer.

Wilfrid Bertile

1er député socialiste de La Réunion

Ancien secrétaire général de la Commission de l’océan Indien

guest
2 Commentaires
Martinebonbois
Martinebonbois
11 ans

ce qui nuit à La Réunion c'est ce genre d'élu alimentaire comme Wilfrid Bertile qui s'accroche à toutes ses retraites de prof, de député et d'élus en tout genre tout en continuant à être en poste de chargé de mission auprès de la présidente du conseil général et les avantages qui vont avec...

kulu
kulu
11 ans

Vous avez tout a fait raison mais malheureusement il ne faut rien espérer du gouvernement actuel qui est totalement incapable pour prendre les décision et encore moins de les appliquer.
Bonne chance