Chacun a dans sa poche, dans son sac une carte de couleur verte qui nous assure des soins nécessaires liés aux aléas de la vie. Le 80ème anniversaire des ordonnances du 4 et 19 octobre 1945 qui créent la sécurité sociale ne doit pas être un enterrement, ni même une commémoration, mais une prise de conscience que ce zarlor doit être défendu, et même étendu à d’autres domaines que ceux de la santé et de la retraite. L’ambition du Conseil National de la Résistance « un plan complet de Sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État » ne doit pas être oublié car il contient tout ce qui fait société : solidarité, universalité, démocratie.
La sécurité sociale qui fait partie de notre vie, n’a pourtant pas été créé dans le consensus. Les forces patronales, cléricales, mutualistes, ont combattu l’idée d’une sécurité sociale unique et générale regroupant tous les risques ( maladie, maternité, accidents du travail, vieillesse) et en regroupant tous les secteurs d’activité.
Ce regroupement a été vivement contesté par le patronat qui, depuis 1917 dans le public et 1930 dans le privé gérait les allocations familiales et utilisait son pouvoir de fixation des taux de cotisation comme un outil de politique salariale.Les fortes oppositions obligent le ministre du travail à des négociations qui aboutissent à la loi Morice en 1947 qui satisfait la mutualité en lui permettant, notamment pour les fonctionnaires, la possibilité de gérer des caisses à l’exemple de la MGEN, pour l’éducation nationale. Et pour le patronat de garder la gestion des allocations familiales... L’hostilité au régime général ira grandissant et se traduira par la création de régimes particuliers plutôt que par son extension.
Il a fallu toute la détermination d’un ministre communiste, Ambroise Croizat, et l’action des militants de la CGT pour mettre en « vie » cette organisation que le monde nous envie. En moins de 9 mois les syndicalistes ont réussi l’exploit de mettre en place plus de 138 caisses primaires, régionales et nationale. Ces « hussards rouges »* prennent sur leur temps libre pour trouver des locaux, immatriculer les nouveaux assurés, percevoir les cotisations, le tout coordonné par la Fédération Nationale des Organismes de Sécurité Sociale ( FNOSS) créée à l’initiative de la CGT. Cette construction, maintes fois entravée, nous montre qu’il est possible de construire un système solidaire,
fonctionnant de façon démocratique et durable Démocratique parce que ces caisses seront administrées par des représentants des travailleurs ( 75 % des sièges) et du patronat (25%). Cette autogestion des salariés quant à leur couverture santé, vieillesse, est insupportable pour le patronat. La collecte des cotisations ne dépend ni de l’État, ni du patronat, mais d’une caisse gérée par des représentants syndicaux. La puissance du régime général est redoutable : selon l’estimation de l’Assemblée consultative provisoire en août 1945, il socialise dès le départ le tiers de la masse totale des salaires.
Est-il nécessaire de re-citer (réciter?) les propos publiés dans le magazine Challenges, en octobre 2007, par Denis Kessler alors numéro 2 du CNPF, ancêtre du MEDEF : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) » Pour le patronat ce n’est pas aux cotisations d’abonder les caisses de la sécu mais à l’impôt (notamment par la CSG, TVA) s’exonérant ainsi de sa participation au financement d’un système qui a pour objet de soigner les travailleurs...
Aujourd’hui, le discours récurrent sur le prétendu trou de la sécu s’explique, pour partie, par les exonérations et allègements de cotisations patronales, 91,3 milliards d’euros en 2024 (PLFSS 2025).L’équation semble simple et le moyen de réduire le déficit de la sécu de 13 milliards d’euros, aussi...Pour un salarié payé au SMIC, en 1993, les cotisations patronales représentaient près de 45% du salaire brut puis 26,6% en 1998, 10,7% en 2019 et atteigne un niveau historiquement bas en 2024 à 6,9% Et pourtant le gouvernement, poussé par le patronat, étrangle financièrement la Sécurité sociale au prétexte d’une dette artificiellement construite.
Ni capitalisation, , ni assurance dépendance obligatoire, ni TVA sociale, ni augmentation de la CSG, le financement de la Sécurité sociale doit venir des cotisations.Les cotisations sont du salaire et représentent un prélèvement sur la richesse créée par les travailleurs dans les entreprises. Quoi de plus cohérent que la valeur ajoutée issue de la production créée par le travail soit utilisée pour financer un système qui réponde à l’ambition du CNR.
Les moyens financiers existent pour répondre aux besoins, en diminuant les allègements de cotisations sociales patronales, et en soumettant à cotisations les revenus financiers des entreprises.
La protection sociale, gérée par les intéressé.es a montré toute sont efficacité lors de ces 80 vingt années quant à la couverture santé, au développement des structures de soins, et aussi en sortant les retraités de la pauvreté.
Alors il est temps, non seulement de renforcer la Sécurité sociale mais aussi d’étendre ce système à d’autres domaines en créant, par exemple, la Sécurité sociale de l’alimentation.
Luttons pour que reviennent les jours heureux, développons cette idée qui conjugue solidarité, universalité et démocratie.
Eric Ducroux
* Bernard FRIOT et Christine Jakse, «Une autre histoire de la Sécurité sociale » Monde Diplomatique
décembre 2015