Après deux semaines de manifestations populaires orchestrées par les jeunes de la génération Z, durement réprimées par les forces de l’ordre, la situation connaît, depuis le 11 octobre, une nouvelle tournure. L’Armée, sous la conduite de certains officiers supérieurs du CAPST (Corps d’administration et des services techniques des Armées), a rejoint les manifestants suite aux appels incessants de ces derniers à sa prise de responsabilité pour cesser la répression sanglante menée par des éléments de la gendarmerie (Photo AFP)
Les manifestants, majoritairement constitués d’étudiants des universités publiques, réclamaient au début du mouvement de l’eau potable et la fin des délestages. Comme le gouvernement n’écoutait pas leurs revendications et choisissait d’y répondre par l’usage de la force, les jeunes ont reformulé leurs demandes en réclamant la démission du gouvernement et la réforme du système à Madagascar.
Ils dénoncent également la corruption qui gangrène la société malgache. Sous la pression de la rue, le président de la République a été contraint de limoger son gouvernement, qu’il a jugé incompétent. Cependant, le départ du Premier ministre et de son équipe gouvernementale n’a pas affaibli le mouvement. Les manifestants réclament désormais la démission du président de la République.
- Pourquoi les jeunes réclament-ils la réforme du système à Madagascar ? -
Dotée d’importantes ressources naturelles, la Grande Île demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète. La population malgache vit dans l’extrême pauvreté, avec plus de 80 % des Malgaches vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Face à cette paupérisation, un petit groupe d’élites politiques et quelques sociétés industrielles et commerciales profitent de la richesse du pays. Les hauts dignitaires du régime vivent dans l’opulence, alors que la majorité de la population ne mange qu’une seule fois par jour.
Le salaire minimum est de 260.000 Ariary, soit environ 52 euros. Le chômage touche de plein fouet la jeunesse. Les universités malgaches préparent des chômeurs qualifiés.
Les jeunes suivent leurs formations universitaires pendant des années pour finalement se retrouver au chômage. Dépourvus de perspectives d’avenir dans leur propre pays, des milliers de jeunes diplômés quittent Madagascar pour travailler dans les îles voisines, comme Maurice, les Seychelles et les Comores.
Devant la précarité de leur condition de vie, les jeunes, conscients de la réalité paradoxale de leur pays, décident de se faire entendre. En tant qu’intellectuels, ils savent que leur pays se dirige vers sa destruction totale.
Le récent événement népalais a réveillé la fibre patriotique chez les jeunes malgaches. Ils ont pu réaliser en quelques semaines ce que les politiciens de l’opposition échouaient à accomplir depuis des années.
En plus de leurs revendications initiales, ils réclament la fin d’un régime qu’ils qualifient de corrompu et responsable de la situation chaotique de leur pays, ainsi que la réforme du système à Madagascar.
À 65 ans de son indépendance, Madagascar est le seul pays de la planète qui n’a jamais connu de guerre, mais qui ne cesse de s’appauvrir. Les régimes se sont succédé, mais le pays continue sa descente aux enfers. Pourquoi ? Cette question mérite une réflexion. Il faut admettre que Madagascar a un problème systémique.
- Le système mis en place depuis l’indépendance ne favorise pas le développement du pays -
Madagascar a besoin de réformer ou de refonder ses systèmes politique, économique, éducatif et diplomatique.
Il faut une rupture totale avec l’ancien système. La fuite en avant des dirigeants corrompus est un signe d’encouragement pour nettoyer le système à tous les étages. Les Malgaches doivent saisir cette occasion pour en finir avec l’ancien système.
Les systèmes économique et éducatif du pays demeurent ceux de la colonisation. À l’exception des entreprises franches implantées sur le territoire, Madagascar continue d’exporter ses matières premières brutes et d’importer des produits finis.
Ce type d’exportation ne génère pas de forte valeur ajoutée pour le pays, mais les régimes successifs continuent de le maintenir. L’exploitation et la transformation sur place de ses immenses ressources pourraient créer une forte croissance économique pour le pays.
Quant au système éducatif, l’enseignement à Madagascar ne vise pas à former les Malgaches à comprendre leur pays. Elle devrait inculquer aux enfants et aux jeunes malgaches un sentiment de fierté nationale. Une révision intégrale du programme scolaire est indispensable. Les contenus de l’enseignement devraient être malgachisés.
- Sur le plan politique, le système actuel écarte les personnes honnêtes et sincères de la scène politique -
La politique est devenue un business. L’objectif en s’engageant dans la politique n’est pas de servir le pays, mais de s’enrichir. Un système aristocratique pur a été mis en place. Les véritables partis politiques, dotés de militants idéologiquement aguerris, s’affaiblissent car ils ne peuvent plus participer aux différentes instances électorales, en raison du système de caution imposé par le gouvernement aux candidats.
Cette pratique devrait être abandonnée pour que les politiciens honnêtes, sincères et patriotes puissent s’engager dans l’échiquier politique national. Il faut supprimer les avantages faramineux accordés aux dirigeants ; ainsi seuls ceux qui ont la conviction de servir le pays s’engagent dans la politique.
Les Malgaches doivent oser opter pour le changement. La situation actuelle devrait les pousser à s’engager sur la voie des réformes. Si un changement de régime se mettra en place, les futurs dirigeants ne devraient pas céder face à la pression de la communauté des pays occidentaux.
Certainement, cette dernière va exiger le respect de l’ordre constitutionnel et l’organisation immédiate des élections. Les Malgaches devront oser dire non à ce diktat. Les élections ne résolvent pas les problèmes du pays.
Les élites malgaches, les notables, les jeunes et toute force vive nationale devront discuter de la question de la refondation nationale. Faut-il encore rappeler que Madagascar est une nation en construction ? Cette situation est une opportunité pour rompre avec l’ancien système et construire la nation malgache.
- Sur le plan diplomatique, Madagascar devrait restaurer sa souveraineté -
Les menaces de sanctions et de suspension d’aides financières brandies par les puissances occidentales ne devraient pas intimider les Malgaches. Si cela venait à se produire, ces menaces devraient être considérées comme une opportunité pour se débarrasser du néocolonialisme. Ceux qui imposent le maintien de ce système corrompu peuvent être considérés comme des ennemis du peuple malgache.
Avec la nouvelle donne géopolitique, l’Occident n’est plus le seul pôle de puissance qui peut imposer sa loi au monde. Aujourd’hui, le monde devient multipolaire.
Il est temps pour le peuple malgache de mettre un terme à toute coopération paternaliste. L’époque où l’Occident contrôlait le monde est révolue.
Madagascar devrait privilégier la coopération avec les pays qui respectent sa souveraineté et exiger de tous ses partenaires la coopération mutuellement avantageuse. Les Malgaches peuvent s’inspirer des exemples de certains pays africains qui arrivent à couper leurs cordons ombilicaux avec leurs anciennes puissances coloniales.
- Le fait de maintenir le système actuel trahit les revendications de la jeunesse malgache -
Les jeunes doivent maintenir leur pression pour éviter ce scénario. Certains politiciens choisiront de se conformer aux exigences de la communauté internationale, c’est-à-dire procéder aux élections dans le délai prévu par l’actuelle constitution en cas de vacance de poste présidentiel.
Ils se contentent d’un changement de figures. Ils ne sont pas favorables à la réforme. Leur intention est de garder ce système corrompu afin de perpétuer les mêmes pratiques que celles des anciens dirigeants. Respectons la mémoire de ceux qui ont perdu la vie durant cette révolution.
Engageons-nous dans une refondation pour briser le système qui a conduit à la destruction de notre chère patrie.
Georges Radebason
Professeur à Antsiranana