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Vidéos d'espoir et de désespoir de Sud-Coréens pour leurs parents du Nord

  • Publié le 22 septembre 2015 à 16:08

L'émotion est telle que le vidéaste de la Croix-Rouge doit couper sa caméra, le temps pour Kim Ik-Je, 70 ans, de reprendre ses esprits : "Tu me manques tellement", finit par lâcher ce libraire de Séoul dans un message à son frère qu'il ne reverra sans doute jamais.


Kim a en effet peu d'espoir que cette vidéo parvienne de son vivant à ce frère dont il est séparé depuis le début de la guerre de Corée (1950-1953). Mais il s'est quand même laissé tenter par l'initiative de la Croix-Rouge.
Ses chances de participer aux très épisodiques réunions de famille organisées par les deux Corées sont tellement infimes qu'il s'est résigné à ce pis-aller : enregistrer une vidéo que son frère, un jour, ou d'autres parents du Nord, verront peut-être. Qui sait ?
Des millions de personnes ont été séparées depuis la division de la péninsule coréenne et bon nombre d'entre elles sont mortes sans avoir pu revoir ou parler à des êtres chers, toute communication civile interfrontalière étant interdite.
Environ 65.000 Sud-Coréens, dont beaucoup d'octogénaires et de nonagénaires, sont sur liste d'attente pour participer à une éventuelle rencontre. Mais les élus seront rares, les déçus nombreux et pour ceux-là, la Croix-Rouge espère que les autorités nord-coréennes accepteront un jour d'échanger des videos.
Les réunions des familles avaient véritablement commencé après un sommet historique Nord-Sud en 2000. A l'origine, il y avait une rencontre par an mais les tensions qui surgissent régulièrement dans la péninsule avaient eu raison de ce rythme. Et plusieurs réunions ont été annulées par Pyongyang à la dernière minute.
Si la prochaine réunion a lieu comme prévu fin octobre, ce ne sera que la seconde en cinq ans.
"J'ai accepté d'enregistrer la vidéo car c'est le seul moyen de tenter de faire passer un message de l'autre côté", explique-t-il. "C'est si difficile d'être choisi pour une réunion de famille."
Deuxième enfant du patron d'une entreprise de transport, Kim n'avait que cinq ans quand il a quitté le Nord en 1950 avec sa mère et ses trois petits frères, laissant derrière lui son père et le frère aîné qu'il souhaite aujourd'hui désespérément revoir.

- Les contentieux d'une réunification -

Kim a entendu dire que son père, persécuté car "bourgeois", serait mort rapidement, mais que son frère, désormais âgé de 74 ans, a survécu.
"Je ne peux pas décrire la tristesse que je ressens quand je pense que nous avons vécu séparés si longtemps", dit-il à la caméra.
La moitié des personnes sur les listes d'attente des réunions de famille avaient répondu favorablement en 2012 à un grand sondage sur l'idée d'enregistrer ce genre de messages.
Depuis, les équipes de l'ONG ont mis en boîte environ 4.000 vidéos et ont pour objectif d'en tourner encore 10.000 d'ici la fin de l'année.
Car vu l'âge des personnes séparées, il y a urgence. "Nous sommes pressés par le temps", explique Jung Jae-Eun, un responsable de la Croix-Rouge. "Nombreux sont ceux qui seront morts dans dix ans."
Dans le cadre d'un projet mené parallèlement, des centaines de Sud-Coréens ont accepté de donner des échantillons de leur ADN à la Croix-Rouge.
"Ces données seront très utiles pour vérifier les relations familiales et éventuellement régler certains contentieux familiaux", explique Jung.
De nombreux juristes estiment en effet qu'une réunification des deux Corées, pour autant qu'elle ait lieu, risque de générer de complexes conflits d'héritage de part et d'autre de la frontière.
En 2013, la Cour suprême sud-coréenne a confirmé les droits de succession des enfants nord-coréens d'un citoyen sud-coréen, bien que les premiers vivent toujours au Nord.
L'affaire concernait un homme qui avait fui au Sud pendant la guerre, laissant femme et enfants au Nord. Il avait refait sa vie au Sud et laissé à sa mort en 1987 un patrimoine de près de neuf millions de dollars.
Une de ses filles nées en Corée du Nord avait saisi la justice sud-coréenne pour demander que ses demi-frères vivant en Corée du Sud partagent l'héritage avec leur famille restée au Nord.


Par Lim Chang-Won - © 2015 AFP
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