La carotte plutôt que le bâton. Avec près d'une femme enceinte sur cinq qui ne parvient pas à arrêter la cigarette, la France détient un triste record européen. Pour aider les futures mamans tentées de s'en griller une à se sevrer, seize maternités françaises* testent une nouvelle méthode depuis le 7 avril 2016 : récompenser celles qui s'abstiennent avec des bons d'achats. Lors de leurs consultations habituelles, les mères abstinentes pourront recevoir des tickets d'une valeur de 20 euros, après des analyses d'urine attestant de l'absence de nicotine dans leur organisme. Au total, si les futures mères ne fument plus pendant toute leur grossesse, elles pourront recevoir environ 300 euros de bons d'achat. Cette expérience n'est pas encore testée à La Réunion, où les professionnels de la santé tentent pour l'instant d'autres approches, comme l'hypnose ou l'homéopathie.
"Plusieurs études montrent que donner quelque chose aux patients peut augmenter l’adhésion à un traitement et avoir un impact positif sur la motivation, notamment quand il s’agit de lutter contre les addictions", commente David Mété, chef du service addictologie au CHU Félix Guyon. A La Réunion, on ne prévoit pas encore de récompenser les abstinentes, mais l’Agence régionale de santé finance la gratuité du sevrage tabagique pour les femmes enceintes (ainsi que pour les titulaires des minimas sociaux), alors que les substituts nicotiniques ne sont financés qu’à hauteur de 150 euros en métropole.
Une prise en charge insuffisante
Mais pour le médecin, l’enjeu est d’abord de repérer et d’accompagner les femmes enceintes qui continuent à fumer. Elles seraient environ 17,8% en France, "pourtant, nous en recevons à peine une dizaine par an dans nos services", regrette David Mété. Pour l’addictologue, le corps médical ne serait pas suffisamment formé à la prise en charge de la dépendance tabagique. "Encore trop peu de professionnels de santé nous envoient leurs patientes, souvent parce qu’ils ne sont pas à l’aise quand il s’agit de questionner les femmes sur leurs addictions. Or ces patientes ont besoin d’être accompagnées d’urgence".
En effet, le tabagisme chez la femme enceinte est un facteur de risque avéré de retard de croissance intra-utérin (RCIU), entraînant un déficit pondéral de 200 grammes en moyenne. Il existe également un risque accru de naissances prématurées et de mortalité périnatale ou néonatale.
Quelques cigarettes, pour limiter le stress ?
Malgré ces conséquences connues, certains médecins continueraient à dédramatiser le fait de fumer quelques cigarettes, estimant que le stress lié à l'arrêt du tabac pourrait être plus nocif que la consommation de tabac elle-même. "C’est le discours qu’a tenu le médecin lors de ma première grossesse, explique A., fumeuse et enceinte de son deuxième enfant. Une position qui hérisse les addictologues et les associations de lutte contre le tabagisme. “C’est une idée reçue, qu’on entend également au sujet des patients en soins palliatifs. Or, il y a toujours une manière de répondre à la problématique de stress autrement que par la consommation de substances addictives", défend David Mété.
Pour Nelly Le Bon, sage femme à Saint-Denis, "la préconisation reste de ne pas fumer. En revanche, je ne juge pas et j’essaye plutôt d’apporter des outils, comme l’homéopathie ou l’hypnose. Généralement, les mamans fumeuses culpabilisent déjà beaucoup, ça ne sert à rien d’en rajouter". Le docteur Mété regrette d’ailleurs que la croyance populaire véhicule l’idée qu’il serait plus facile d’arrêter quand on est enceinte, comme par magie. "Au contraire, la grossesse est souvent une période compliquée pour les femmes, et un sevrage tabagique est une contrainte supplémentaire à gérer", pointe le médecin.
“Je me dis que je ne mérite pas d’être mère”
"J’ai honte de ne pas arriver à arrêter, je me dis même que je ne mérite pas d’être mère”, confirme A. Après avoir fumé une à deux cigarettes par jour pendant sa première grossesse, elle était pourtant sûre d’y arriver pour son deuxième. Pour se faire aider, A. dit pourtant avoir tout essayé : l’acupuncture, l’hypnose, et elle a même acheté le livre spécial grossesse d’Alan Carr, l'auteur de plusieurs best-sellers sur l'arrêt du tabac. Si elle trouve l'idée des bons d'achats bonne, elle doute de sa capacité à arrêter, même avec une incitation financière."Je ne comprends pas pourquoi je n'y arrive pas. J’arrête un mois, et puis je m’en fume 4 ou 5 d’affilée, et je culpabilise. Les gens ne se gênent pas pour faire des remarques, par contre ça ne les gêne pas de fumer à côté d’une femme enceinte", rage-t-elle.
Dans tous les cas, le docteur Mété insiste sur la nécessité de préparer l'après-grossesse. “Les mamans qui arrivent à arrêter ou diminuer leur consommation de tabac le font souvent pour leur bébé, pas pour elles. Du coup, elles sont très nombreuses à retomber dans l'addiction juste après l’accouchement. Ce sont autant de victimes potentielles du tabac, qui reste la première cause de mortalité évitable à La Réunion”, regrette David Mété. Chaque année, près de 600 décès seraient directement liés au tabagisme, soit 14% de l’ensemble des décès sur l’île, et le tabagisme est la première cause de mortalité par cancer.
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*L'Assistance publique des hopitaux de Paris étudie l'impact de ce dispositif sur le sevrage des femmes dans seize maternités françaises: l'Hôpital Universitaire de la Pitié Salpêtrière de Paris (le Centre de coordination), les CHU d'Angers, de Brest, de Nord Bressuire, de Caen, de Lille, de Lyon, de Marmande Tonneins, de Martigues, de Montpellier, de Nantes, de Caremeau Nîmes, de Pau, de Cochin Port Royal (Paris), de Saint-Etienne, de Valenciennes et la Polyclinique de la Clarence (Divion).