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PORT DE LA BURQA À LA REUNION

Le voile de la discorde

  • Publié le 7 juillet 2010 à 04:00
Femmes voilées

Le texte de loi "interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public" a été présenté ce mardi 6 juillet 2010 devant les députés. Environ 2 000 femmes concernées en Métropole contre une centaine à la Réunion. Même si elle ne fait pas rage comme dans l'Hexagone, la polémique autour du projet de loi d'interdiction du voile intégral n'épargne pas notre île. Enquête.

"Ne plus porter le voile serait comme sortir nue dans la rue", témoigne Myriam*, quadragénaire du Sud. Depuis l'annonce de Jean-François Copé du projet de loi interdisant le port de la burqa dans l'espace public, les musulmanes réunionnaises qui se couvrent entièrement le corps et le visage sont inquiètes. "Je ne comprends pas l'intérêt d'une telle loi, notre société connaît des problèmes beaucoup plus graves", poursuit-elle.

"Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage". Tel serait le premier article du projet de loi, selon le Figaro. Les sanctions iraient de l'amende de 150 euros au "stage de citoyenneté", et une amende de 15 000 euros serait prévue pour les personnes obligeant une femme à porter le voile intégral. Elles n'entreront en vigueur que six mois après la promulgation du texte, afin de favoriser "une démarche de dialogue et de persuasion auprès des femmes portant volontairement le voile intégral", indique le gouvernement.

Mais au sein de la communauté musulmane, la discussion autour de la future interdiction du port de la burqa semble taboue. Par peur de représailles, beaucoup de femmes ont refusé d'être interviewées.

Si Myriam se tait sur les auteurs de ces intimidations et pressions, elle explique aisément son choix de porter le parda, voile couvrant tout le corps laissant à découvert seuls les yeux, les mains et les pieds. Mère de deux enfants, Myriam se voile depuis dix ans. "J'y pensais depuis un certain temps, mais je n'osais pas le faire par rapport à mes enfants. J'ai attendu qu'ils soient plus autonomes et au retour d'un pèlerinage à la Mecque j'ai franchi le pas". C'est alors une surprise pour son mari, Ibrahim*. "On en avait déjà discuté mais jamais je n'aurais pensé qu'elle le porterait", confie-t-il. Annie*, ancienne catholique et convertie à l'islam, est voilée depuis plus de vingt ans. "Catholique, j'ai toujours été fascinée par les Carmélites. En me convertissant et en faisant le choix de porter le parda, j'ai voulu retrouver un peu ce mode de vie".

- Une communauté stigmatisée

Mohammad Bhagatte, imam de la Grande Mosquée de Saint-Denis, s'emporte lorsqu'on lui fait remarquer que la burqa ou le parda sont des symboles de soumission. "Nous avons été la première religion à reconnaître les droits des femmes au sixième siècle, pourquoi est-ce que cela changerait?". Roger Sermohamed, vice-président de l'association chiite, Khoja Shia Isna Asheri, confirme "porter le voile doit être le choix de la femme". "Dans la religion catholique, des femmes renoncent au mariage, aux enfants, et s'enferment dans des couvents par dévotion. Dans l'Islam, au lieu de se retirer, la femme décide de porter le voile. C'est un acte d'amour envers Dieu", renchérit Mohammad Bhagatte.

Le Coran n'impose pas aux femmes le port de la burqa. Mais Mohammad Bhagatte rappelle : "Se couvrir les cheveux est une obligation. Mais libre à chacune de choisir". Le Coran recommande seulement aux femmes la pudeur et "la nécessité de rabattre le voile sur leur poitrine".

Mohammad Bhagatte parle de "stigmatisation" de la communauté musulmane. "Là où le curé a le droit de mettre sa soutane, et la bonne s?ur de revêtir son voile, je ne vois pas pourquoi au nom de la laïcité le musulman français n'aurait pas les mêmes droits que les autres". Annie a cette même impression de "stigmatisation". Elle évoque "un changement de regard à La Réunion" depuis peu. "On a le sentiment d'être pointée du doigt", déplore-t-elle. Myriam, qui travaille comme commerçante, est moins tranchée, "je n'ai jamais rencontrée de problème là où j'habite, ni sur mon lieu de travail".

- Le port du voile, un combat féministe ?

Interrogées si elles continueront à se couvrir après la promulgation de la loi, les deux croyantes se montrent résignées. "Je refuse de croire qu'au pays des Droits de l'Homme, on puisse interdire les libertés individuelles, mais si la loi était votée, je me plierai à la réglementation", commente Annie. Myriam ajoute: "Nous ne sommes pas dans un pays musulman, et nous devons respecter les lois de la République. Mais s'il le faut, je serai prête à ne plus sortir dans la rue". Situation paradoxale pour une loi qui se veut libératrice pour les femmes...

Pour les associations de défense des droits de la femme, le voile est synonyme de soumission, car il remet en cause le principe d'égalité homme-femme. Thérèse Baillif, présidente du Cevif (Collectif des violences intra-familiales) parle de "régression sociale", "on demande aux femmes de se cacher et non aux hommes".

Au sein de l'association Ni Putes Ni Soumises, les points de vue diffèrent. Sihem Habchi, présidente nationale, estime qu'une loi créerait "les conditions d'émancipation des femmes". Sophia Castaingt, présidente du comité 974 se montre plus modérée. "Nous refusons de nous positionner, et ne voulons pas de polémique sur ce sujet brûlant. Toutes les femmes voilées ne sont pas battues", commente-t-elle.

Une manière de se demander si cette loi ne contribuera pas à créer des tensions là où il n'y a en pas. Notamment à La Réunion où religions, ethnies et traditions différentes ont appris à cohabiter en toute sérénité.

Emilie Sorres pour

*prénoms d'emprunt
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