Santé publique

Derrière l'explosion des saisies de drogue, une augmentation de la consommation

  • Publié le 19 février 2024 à 09:38

Ce vendredi 16 février 2024, les autorités ont dressé le bilan sur la sécurité à La Réunion en 2023. On y apprend que des records ont été battus en termes de saisies de drogues. 130.000 cachets d'ecstasy, 30 kg de cocaïne, 230 kg de cannabis interceptés…les quantités saisies sont chaque année plus importantes. Et derrière ces quantités astronomiques saisies, se cachent forcément une explosion de la consommation de drogue sur le territoire. Un fait qui inquiète les professionnels de santé (Photo d'illustration : rb/www.imazpress.com)

"Ces dernières années c'est tout à fait flagrant. Ce qui était exceptionnel est devenu banal aujourd'hui" regrette le Dr David Mété, chef du service d'addictologie du CHU Félix Guyon.

En l'espace de seulement un an, les saisies ont augmenté de 45 à 88% dépendant de la drogue. "Et il faut garder en tête que les saisies représentent 10 à 30% de ce qui circule sur le territoire. Cela permet de se faire une idée des quantités présentes à La Réunion" souligne l'addictologue.

Il est en effet particulièrement difficile d'intercepter toutes les drogues importées sur le territoire, qui arrivent soit par voie postale, soit via des "mules" qui ingèrent ou s'introduisent les substances dans le corps.

"C'est un travail extrêmement minutieux, les mules par exemple se font le plus discrètes possibles pour passer sous nos radars" détaille Laurent Chavane, directeur territorial de la police nationale. Un travail rendu d'autant plus difficile par les milliers de voyageurs qui arrivent quotidiennement dans l'île.

Parmi ces mules, des hommes, des femmes, jeunes ou moins jeunes, pour la plupart "en détresse financière et/ou psychologique, attirées par le gain facile malgré les dangers", indiquait en août dernier lors d'une conférence de presse à Gillot, Véronique Denizot, procureure de Saint-Denis.

Les colis sont aussi privilégiés par les revendeurs. C'est par exemple par voie postale que le Protonitazen, une drogue qui a causée trois décès à La Réunion en 2023, est arrivée. Si les forces de l'ordre ont réussi à intercepter un colis et remonter jusqu'aux personnes impliquées dans ce trafic, elles expliquent n'avoir peut-être "fermé le robinet que temporairement".

- La répression comme premier outil -

Dans ce contexte, les autorités ont déployé plusieurs dispositifs pour endiguer la vente de stupéfiants.

En 2023, 153 opérations de "harcèlement" ont été réalisées sur le territoire, et huit points de deal ont été démantelés.

Les amendes forfaitaires, qui pénalisent les usagers contrôlés avec de petites quantités de drogues, ont aussi augmenté de 91% en 2023, avec 2.618 amendes dressées.

A la demande du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, la préfecture a aussi commencé à déployer le dispositif "Place nette" en début d'année 2024. "C'est une stratégie en deux axes : renforcer les moyens d’enquête et occuper le terrain, pour ne laisser aucun répit aux délinquants" expliquent les autorités.

2.600 infractions à la législation sur les stupéfiants ont été enregistrées en 2023, soit une hausse de 89% en un an.

"Il ne fait pas bon vivre pour les trafiquants à La Réunion, et vu les performances qui ont été atteintes par les douaniers, les policiers et les gendarmes, on envoie un message. Ce sont des centaines de kilos de stupéfiants qui ont été saisis" rappelle le préfet Jérôme Filippini.

Comme fait marquant, les autorités rappellent que le 17 décembre, 2 kg de cocaïne ont été découverts sur un passager, pour une valeur marchande de 200 à 300.000 euros.

En septembre, un homme a été interpellé avec 800 grammes de cocaïne sur lui à l'aéroport Roland Garros. Il avait ingéré 86 ovules, chargé de cocaïne.

Le 4 août, un jeune homme âgé d'une vingtaine d'années et originaire de Reims a été intercepté avec 64 ovules de cocaïne dans le corps pour une valeur marchande de 85.000 euros.

En juin, une jeune femme en provenance de l'Hexagone avec 120 doses de cocaïne dans le corps a été interceptée. Le lendemain, c'est un homme qui a été interpellé avec 40 doses. Deux personnes hospitalisées et placées en garde à vue le temps d'évacuer ces doses.

Peu avant, le 3 mai, une élue de l'Hexagone, mère de famille, a elle aussi été arrêtée à Gillot avec 10 kg de hachich, 1 kg de cocaïne et 2.000 buvards de LSD. La tête du réseau, un homme basé à Créteil mais venant plusieurs fois à La Réunion a lui aussi été interpellé.

"Les marins des FAZSOI ont aussi détruit sept tonnes de stupéfiants en 2023" précise-t-il, pour un montant d'environ 383 millions d'euros. "Ces drogues, principalement de l'héroïne et de la métamphétamine et provenant de pays comme l'Iran, ne sont pas à destination de La Réunion. Mais en luttant contre ces trafics on empêche aussi qu'elles n'arrivent un jour sur le territoire" explique le préfet.

- Quid de la santé publique ? –

Si le trafic de drogue est une des priorités des autorités, on parle peu des risques encourus par les usagers en matière de santé.

Le préfet martèle qu'il n'y a pas de "drogues douces". "Si vous consommez un peu de zamal à 13, 14 ans, vous risquez de vous détruire le cerveau, de la même façon que si vous consommez trop d'alcool" rappelle-t-il.

Et, "si la drogue arrive à La Réunion, c'est qu'il y a des consommateurs". "Si vous consommez de la drogue, vous êtes des complices de criminels" assène-t-il.

Interrogé sur les risques de santé encourus, il répond uniquement que "la consommation des stupéfiants s’est banalisée, et cela concerne tout type de drogue". "Il faut qu'il y ait une responsabilisation des jeunes, cela fait partie des préoccupations de la préfecture" assure-t-il.

Cependant, d'après le Dr David Mété, "il n'y a pas beaucoup de réactions de la part des autorités" sur le sujet. "On est dépassé, le besoin est déjà installé" assure-t-il. "Il y a une dynamique avec la préfecture concernant la répression, mais sur la politique de santé publique on est dépassé."

De plus en plus de personnes ayant développé une addiction à la cocaïne passent désormais le pas de sa porte. Idem pour l'ecstasy. "C'est regrettable, mais nous avions alerté les autorités sanitaires et judiciaires dès les premières constatations il y a dix ans. Les acteurs de l'addictologie sont bien placés pour observer l'évolution de la consommation, et nous avions a alerté sur ce changement du paradigme" assure-t-il.

Voyant la drogue s'installer de plus en plus rapidement, l'addictologue a proposé en 2023 la création de campagnes de sensibilisation concernant l'usage de drogues dites "dures". "Cela a été rejeté" regrette le Dr David Mété.

Pourtant, l'addiction peut entraîner des conséquences dramatiques. "Quand quelqu'un est accro à la cocaïne, cela provoque des troubles du comportement, de la violence, des problèmes financiers, conjugaux et autres. Et il est difficile d'accompagner ces personnes, il n'y a pas de médicaments spécifiques pour la prise en charge" explique l'addictologue.

"Il y a dix ans, la cocaïne était très difficile à trouver, aujourd'hui cela circule partout. L'ecstasy c'est pareil, et depuis un moment. La consommation à La Réunion est même supérieure à la moyenne nationale. C'est banalisé depuis bien longtemps, ce constat on le partage et on le regrette."

Si la cocaïne reste prisée des personnes plutôt aisées, un gramme coûtant environ 150 euros, l'ecstasy s'est banalisée dans des milieux dits "populaires".

"Aujourd'hui, dans tous les quartiers populaires, les usagers qui auparavant fumaient du zamal et consommaient des médicaments détournés de leur usage, consomment désormais très régulièrement de l'ecstasy. On a un profil de démocratisation de la consommation : ce qui était réservé à des milieux de "teufs" se trouve désormais dans des soirées tout à fait banales" alerte le Dr David Mété.

"Je pense que le répressif est nécessaire, mais il faut aussi prévenir. Il faut aller parler à la population de cette problématique. C'est un peu embêtant parce qu'on est encore dans l'idée qu'il "ne faut pas en parler parce que ça pourrait donner des idées", mais en réalité c'est l'inverse : il faut montrer les conséquences de ces addictions" martèle-t-il.

Car l'addiction a des conséquences terribles. "On devient violent, on fait face à des conséquences judiciaires, on perd son emploi parce qu'on finit par consommer au travail. Ce n'est plus un phénomène mais une réalité dont je suis témoin."

Alors que La Réunion est un département fortement impacté par l'alcool et qui est doté d'une prise en charge de qualité, elle reste "loin d'avoir les moyens suffisants pour prendre en charge les pathologies addictives".

"Il faut être plus efficace, particulièrement avec les drogues de synthèses qui se multiplient rapidement, on doit être très réactifs. Il n'est pas toujours évident de coordonner les actions de l'Etat, et d'avoir les bonnes concertations, mais cela doit devenir une priorité si on veut pouvoir limiter les conséquences de l'addiction" conclut-il.

as/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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