Notre île, comme l'ensemble des départements d’Outre-mer, se trouve à la croisée des chemins. Le vote du Parlement européen du 10 avril 2024 marque un tournant : l’exemption du marquage CE pour les produits de construction utilisés dans les Outre-mer ouvre enfin la voie à une évolution attendue depuis des décennies (Photo : sly/www.imazpress.com)
Jusqu'à présent, notre modèle de construction relevait de l'absurde : des matériaux produits en métropole traversaient les océans pour bâtir nos logements alors qu’ils n’ont pas été éprouvés pour nos climats. Ce modèle engendre un coût environnemental inacceptable, une dépendance économique et une vulnérabilité accrue face aux aléas d'approvisionnement mondial que nous avons subis lors de l’épidémie de Covid-19 puis après la guerre en Ukraine.
La dérogation européenne n'est qu'une première étape. Pour amplifier ces initiatives, la Proposition de loi expérimentant l'encadrement des loyers dans les Outre-mer, qui sera examinée le mercredi 5 mars en séance, doit prévoir la création de comités relatifs aux produits de construction. Ces comités doivent pouvoir attester de la qualité de la production locale et, ainsi, aider à son développement au sein même des Outre-mer, voire à leur exportation dans notre bassin régional.
Il doit cependant être impossible pour ces comités de valider des matériaux à la qualité fragile : nos concitoyens ultramarins comme les assureurs ne feraient pas confiance et ne les utiliseraient pas. Pour valider sur un plan technique ces matériaux, il faut donc des procédures rigoureuses, adaptées aux spécificités climatiques des Outre-mer et associant notamment les assureurs et des représentants de l'Etat pour définir des protocoles de qualification adaptés à la réalité de nos territoires.
Il est tout aussi impératif d’associer les filières de construction, d’architecture et d’urbanisme locales et scientifiques locaux, dont l’expertise et la connaissance du territoire sont indispensables pour garantir la pertinence des approches adoptées.
Le Sénat, à travers ses nombreux travaux et rapports depuis 2017, a posé les jalons de cette révolution constructive. Le Livre Blanc de la Construction Durable Outre-mer, auquel nous avons été nombreux à contribuer, a tracé une feuille de route opérationnelle. Le CIRBAT ou le laboratoire PIMENT, via le centre d’essai universitaire LABiMAC, constituent des ressources d’excellence sur lesquelles nous pouvons nous appuyer.
Il est temps désormais de passer à une nouvelle étape, une étape plus ambitieuse encore.
Notre territoire ne peut plus attendre. L’École nationale supérieure d'architecture de La Réunion, dont le statut a évolué au 1er mars 2025 en École nationale autonome de plein exercice, témoigne de notre volonté de repenser l'habitat tropical. Elle incarne notre ambition : devenir un laboratoire d'innovation pour une architecture durable spécifiquement adaptée aux zones tropicales, tout en jouant un rôle de catalyseur pour développer l’économie circulaire et la résilience face aux défis de notre insularité.
Nous attendons donc beaucoup de la niche du 5 mars : l’adaptation des normes de construction Outre-mer sera débattue et, nous l’espérons profondément, adoptée au Sénat.
La route est désormais ouverte. Emparons-nous de cette opportunité historique !
Bernard Picardo, Président de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat de la Réunion
Stéphane Brossard, Président d’honneur de la Fédération Réunionnaise du Bâtiment
des Travaux Publics (FRBTP)
Cyrille Rickmounie, Président de la Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises
du Bâtiment de la Réunion (CAPEB)
Gérard Lebon, Président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CPME)
Pierre Rosier, Directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de la Réunion (ENSA)
Docteur Brunon Malet-Damour, Maître de Conférence, Architecture résilience et frugal en milieu insulaire et tropical