C’est devenu un rituel. Tous les matins, Bina Tamang débute sa journée en vérifiant le niveau de l’eau dans son village du nord-ouest du Népal, une mesure qui nourrit un système expérimental et inédit d’alerte aux glissements de terrain.
À 29 ans, cette institutrice est la première pièce, essentielle, d’un réseau de veille développé par l’université de Melbourne (Australie) qui mêle à ses photographies quotidiennes imagerie par satellite dernier-cri et intelligence artificielle.
A cinq heures de route de la capitale Katmandou, Kintang, dans les pentes de l’Himalaya, a souvent subi les colères de la nature.
"Notre village est situé en terrain difficile, les glissements de terrain y sont fréquents, comme dans beaucoup d’autres villages du Népal d’ailleurs", décrit Bina Tamang.
Pendant la saison de la mousson estivale, les inondations sèment la dévastation dans toute l’Asie du Sud, y causant chaque année des centaines de victimes et d’énormes dégâts matériels.
Comme le constatent les scientifiques, le réchauffement de la planète a renforcé la violence et la fréquence de ces catastrophes.
"Le changement du cycle des précipitations, les chutes de pluie plutôt que de neige en haute altitude et la multiplication des feux de forêt ont accru l’érosion des sols", relève Rajendra Sharma, de l’Autorité en charge des risques naturels.
Spécialement au Népal, situé au coeur d’une zone d’intense activité sismique.
"Les tremblements de terre fracturent la roche et augmentent d’autant les risques de glissements de terrain", détaille M. Sharma.
Selon les statistiques officielles, ces phénomènes ont causé l’an dernier plus de 300 morts au Népal, soit plus de 70% des décès liés à la mousson.
- "Sauver des vies" -
Bina Tamang connaît parfaitement ces risques-là.
Elle n’avait que 5 ans lorsque sa famille a dû quitter, avec des dizaines d’autres, sa maison qui menaçait de s’effondrer à cause de l’érosion du sol, pour s’installer un kilomètre plus haut.
Le puissant séisme qui a secoué tout le Népal en 2015 n’a fait que renforcer la fragilité du village.
"Beaucoup d’habitants vivent dans la peur", avoue l’institutrice. "J’espère que ce nouveau système d’alerte permettra de sauver des vies".
Désigné sous l’acronyme SAFE-RISCCS, il a été développé sous la direction de la chercheuse australienne Antoinette Tordesillas, avec l’aide d’experts népalais, issus de l’université Tribhuvan, du Royaume-Uni et d’Italie.
Son objectif: détecter les signes précurseurs des glissements de terrain en collectant des données sur les précipitations et les mouvements du sol sur le terrain ou par satellite, analysées par l’IA.
"C’est une solution peu coûteuse mais très efficace, scientifiquement fondée et mise en oeuvre à l’échelon local", résume Mme Tordesillas.
Ce système, déjà utilisé aux Etats-Unis, en Chine ou en Indonésie, est désormais testé dans les district népalais de Nuwakot et de Dhading, où le risque de glissement de terrain est fort.
"Nous n’en sommes qu’au stade préliminaire mais, dès que nous aurons une bonne base de données, l’IA génèrera un graphique et nous alertera sur la base des prévisions de pluie", détaille un participant au projet, Sanjaya Devkota.
- Nouvelles technologies -
D’ici un ou deux ans, le système produira des cartes actualisées du risque de glissement de terrain, utilisables par les autorités pour ordonner, en cas de nécessité, l’évacuation des populations.
"L’usage de SAFE-RISCCS (...) n’est pas difficile et ne requiert pas d’énormes ressources, surtout lorsqu’il s’appuie sur les connaissances des populations locales", souligne Mme Tordesillas.
L’Asie fut en 2023 le continent le plus frappé par les désordres climatiques, selon l’ONU, pour l’essentiel inondations et tornades.
Deux tiers des pays de la région se sont dotés de systèmes d’alerte des populations. Les moins développés d’entre eux sont, sans surprise, les moins bien équipés en la matière.
Depuis dix ans, le Népal a accompli d’importants efforts en la matière, se dotant notamment de 200 sirènes installées le long des cours d’eau les plus susceptibles de déborder.
Selon Binod Parajuli, spécialiste des crues du département népalais d’hydrologie, ces systèmes ont déjà permis de limiter les pertes humaines en cas de catastrophe.
"Nous n’avons toutefois pas réussi à faire les mêmes progrès avec les glissements de terrain car ils sont plus difficiles à prévoir", reconnaît-il. "Nous ne sommes capables pour l’heure que de donner l’alerte en cas de fortes pluies".
"Ces nouvelles technologies sont donc absolument nécessaires si le Népal veut réduire le coût humain des moussons", insiste le spécialiste.
AFP