Habituellement autoroute Ă  pirogues

En Guyane, une sécheresse exceptionnelle perturbe la vie quotidienne sur les fleuves

  • PubliĂ© le 16 novembre 2024 Ă  02:57
  • ActualisĂ© le 16 novembre 2024 Ă  06:52
PrĂšs de la commune d'Apatou en Guyane, le 6 novembre 2024, les pirogues circulent trĂšs difficilement en raison de la baisse du fleuve Maroni provoquĂ©e par la sĂ©cheresse ( AFP / Ronan LIÉTAR )

Pas un bruit de moteur sur le Maroni: habituellement véritable autoroute à pirogues, le fleuve, marquant la frontiÚre entre Guyane et Suriname, est calme depuis des semaines. La sécheresse sévissant dans la région l'a transformé en un paysage autant aquatique que minéral.

Au niveau du saut Hermina, un passage difficile proche de la commune d’Apatou, il faut zigzaguer entre les rochers, en prenant garde au courant qui risque de retourner ou de fracasser les pirogues contre les Ă©cueils.

Les piroguiers les plus expĂ©rimentĂ©s assurent les manƓuvres. "J'ai mis un doyen, c'est lui qui a formĂ© les deux plus jeunes" piroguiers, Ă©galement Ă  bord, commente Madeleine Akatia, gĂ©rante de l'entreprise AKM, qui assure le transport de personnes et de marchandises sur le Maroni.

MalgrĂ© la dextĂ©ritĂ© du piroguier, la coque tape Ă  plusieurs reprises, occasionnant des secousses. "Vous voyez, c’est pour ça qu’on ne transporte plus les Ă©lĂšves des Ă©coles primaires", tĂ©moigne Madeleine Akatia.

La situation dure depuis début octobre. Elle ne veut pas prendre de risque en faisant franchir ce saut à des enfants, dont la plupart ont moins de 10 ans. En revanche, la ligne qui transporte les collégiens fonctionne encore. "Mais les enfants descendent, passent le saut à pied et remontent dans la pirogue aprÚs".

En amont du saut Hermina se trouvent plusieurs kampoe, des habitations rassemblĂ©es Ă  l'Ă©cart du bourg. Les enfants qui y vivent dĂ©pendent des pirogues pour aller Ă  l'Ă©cole. Avec l'avion et les hĂ©licoptĂšres, les pirogues sont un des moyens d’assurer la liaison avec les communes situĂ©es en amont d’Apatou. Leurs milliers d’habitants dĂ©pendent en grande partie du fleuve pour recevoir du fret.

Une telle sĂ©cheresse, "ça faisait des annĂ©es qu’on n'avait pas vu ça", soupire Madeleine Akatia, qui garde le souvenir lointain d'une annĂ©e "oĂč on pouvait traverser le Maroni Ă  pied".

Le phĂ©nomĂšne touche "toute la Guyane et le bassin amazonien", explique Ă  l’AFP Emily Perquin, de MĂ©tĂ©o France. Le territoire connaĂźt un dĂ©ficit de pluie qui dure depuis 18 mois.

Au collÚge Ma Aiyé, à Apatou, la direction a aménagé les horaires, car les trajets en pirogues ont été rallongés par la partie que les élÚves doivent parcourir à pied.

- Continuité pédagogique -

Pour les 22 Ă©lĂšves concernĂ©s, "ça rajoute Ă  peu prĂšs une heure de transport. Afin qu’ils n’arrivent pas Ă  la nuit, on les fait quitter une heure plus tĂŽt", explique Alice Joseph, la principale de l'Ă©tablissement.

Depuis dĂ©but novembre, la situation a empirĂ©: "les pirogues arrivent avec retard", dĂ©plore la cheffe d’établissement, qui a demandĂ© aux professeurs d’adapter leurs cours. Si le risque devient trop important, "on prendra les dispositions qu’il y a lieu de prendre (...) c’est une des premiĂšres missions du chef d’établissement : la sĂ©curitĂ© des biens et des personnes".

"Deux semaines avant les vacances scolaires (de Toussaint), une quinzaine d'Ă©lĂšves n’étaient plus prĂ©sents", affirme Emmanuelle Saroul, directrice de l’école Ă©lĂ©mentaire Lambert Amayota, qui compte 256 Ă©lĂšves. Alors les familles s’organisent. Certaines ont dĂ©mĂ©nagĂ© en dehors des kampoe, d’autres ont confiĂ© leurs enfants Ă  des personnes rĂ©sidant dans le bourg.

En 20 ans de prĂ©sence Ă  Apatou, c’est la premiĂšre fois que la directrice voit une telle sĂ©cheresse. "On a des directives du rectorat, on essaie de trouver des moyens alternatifs pour assurer une continuitĂ© pĂ©dagogique, mais ce sont les enfants les plus Ă©loignĂ©s qui sont les plus impactĂ©s", relĂšve Emmanuelle Saroul.

Sur l’ensemble des Ă©tablissements de la commune, "Ă  peu prĂšs une cinquantaine d'Ă©coliers ne peut plus aller Ă  l’école", dĂ©taille le maire, MoĂŻse Edwin.

L'Ă©dile s'inquiĂšte aussi de l’acheminement d’eau potable: "on essaie de charger le moins possible les pirogues, mais si le niveau du Maroni continue Ă  baisser, nous devrons nous rapprocher des services de l’État pour voir comment on peut acheminer par voie aĂ©rienne".

Sur toute la Guyane, déjà huit lignes de transport scolaire fluvial sont interrompues, selon le préfet, Antoine Poussier.

Il garde aussi un Ɠil sur le fret alimentaire. La compagnie aĂ©rienne locale Guyane Fly et les forces armĂ©es sont mobilisĂ©es pour acheminer eau et nourriture vers les communes dĂ©pourvues de route.

AFP

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