Caroline Calbo, procureure du tribunal de Saint-Pierre, fait ses valises pour aller exercer au parquet de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Elle était en poste dans notre île depuis 2019. Connue pour ne pas avoir sa langue dans sa poche et pour ses combats en faveur des grandes causes - notamment la lutte contre les violences familiales -, la magistrate ne cache pas avoir le cœur lourd de laisser La Réunion et ses collègues derrière elle. À quelques jours de son départ, fixé au 13 septembre, nous l'avons interrogée pour dresser avec elle le bilan de quatre années de procédures judiciaires, d'enquêtes et d'actions. Entretien (Photo sly/www.imazpress.com)
• Parlons de vos débuts à La Réunion, en 2019. Pourquoi avoir choisi ce parquet?
J'avais entendu mes prédécesseurs parler de l'île, notamment Bernard Legras, ancien procureur de Saint-Denis, ils étaient toujours marqués par La Réunion. J'avais déjà connaissance de l'ampleur des violences intrafamiliales, c'est un sujet qui me touche. J'ai été intéressée par le combat à mener.
• Le combat contre les violences conjugales et intrafamiliales a été l'un de vos grands axes d'intervention, pourquoi et qu'elles sont les actions mises en place dans ce cadre ?
Lorsque j'ai pris mon poste j'ai réalisé que plus d'un tiers des contentieux était des violences intrafamiliales. Nous étions dans l'industrialisation de ces faits tellement ils étaient nombreux.
La tâche est d'autant plus lourde que dans ce type de contentieux, c'est une famille entière qui est touchée. Nous devons pouvoir apporter une solution individualisée à chacune d'entre-elles.
Nous avons beaucoup travaillé avec les médecins pour favoriser les signalements sur ces violences. Lorsqu'une femme vient consulter son médecin avec le visage tuméfié, avec des marques de coups, le signalement aux forces de l'ordre doit être systématique.
Nous avons aussi mis en place un vrai service de médecine légale dans le Sud. Nous sommes allés chercher des financements avec l'ARS, le CHU et le Département pour financer l'équipe pluridisciplinaire nécessaire au fonctionnement de ce service
Au fil du temps, il y a eu une augmentation des plaintes. Les services de police et de gendarmerie ont énormément évolué dans la prise de ces plaintes. Dans le même temps, le parquet de Saint-Pierre a pu obtenir le renfort de deux contractuels supplémentaires pour traiter les violences intrafamiliales.
Cela nous a permis d'augmenter la rapidité de traitement des dossiers. Les auteurs des faits ont été jugés plus souvent en comparution immédiate. Ils ont été 330 dans ce cas en 2022. Notre combat porte ses fruits.
• Quatre années à la tête du parquet de Saint-Pierre… Quels souvenirs garderez-vous ? -
Cela a été très dense et particulier. Surtout que six mois après mon arrivée, il y a eu la crise Covid et le confinement. J'ai pris mes fonctions dans un contexte un peu compliqué, il a fallu s'adapter vite pour limiter l'augmentation des délais d'audience et de jugement.
• Quels sont les dossiers qui vous ont le plus marqué ?
Il y a eu les dossiers portant sur les atteintes à l'environnement, notamment celui des effluents d'élevage de Salazie. Il y a également les affaires économiques. Le parquet a fait l'objet de plusieurs saisines concernant des dirigeants d'entreprise impliqués dans des malversations. 25 de ces mis en cause ont été jugés en 2022.
Sur un autre plan, il y a eu cette affaire de pédopornographie élucidée en 2021. En lien avec le parquet de Saint-Denis et la section de recherches de la gendarmerie, nous avons réussi un coup de filet qui a permis l'interpellation de 15 hommes. C'était la première fois qu'une telle opération d'envergure était menée.
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J'ai également été beaucoup marquée par les affaires de féminicides. Ce sont toujours des dossiers difficiles surtout lorsque les faits ne sont pas solutionnés.
Fort heureusement plusieurs affaires trouvent une issue favorable pour la victime. Cela a été le cas de cette jeune fille agressée à Saint-Pierre. Elle était portée disparue depuis 48 heures. Les services de police n'ont jamais lâché et ont tout mis en oeuvre pour la retrouver. Finalement un témoin a fini par craquer. Si on a cru qu'elle allait perdre son œil, elle s'en est sortie et je trouve ça fantastique.
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Dans plusieurs autres dossiers la victime a réussi à s'en sortir, à chaque fois la police et la gendarmerie ont pu éviter le drame. Le traitement de ces violences a évolué et si l'on arrive à anticiper les choses et intervenir c'est essentiel.
• N'est-ce pas trop difficile pour vous de quitter La Réunion ?
J'adore mon équipe (100% féminine - ndlr), je suis fière d'elle. À seulement six personnes nous avons traité 16.600 dossiers, avec une augmentation de 1.000 procédures cette année. Nous avons donné des réponses pénales à la délinquance, c'est très important.
Nous avons beaucoup fait avec peu de moyens car il y avait de l'engagement et le plaisir de travailler ensemble. Sans l'équipe je ne serais rien.
• Alors pourquoi partir ailleurs ?
Pour des raisons déontologiques le séjour des procureurs à la tête des parquets est toujours limité dans le temps. Il s'agit d'éviter d'avoir trop de liens avec le justiciable, ou de subir des pressions;
J'ai eu l'opportunité de candidater à Pointe-à-Pitre. Je pars aussi sur un choix familial.
• Le parquet de Pointe-à-Pitre est plus gros que celui de Saint-Pierre, quels défis vous attendent là-bas ?
La délinquance est très différente, il y a plus d'affaire de stups, de trafic d'armes, de meurtres...
• Vous reviendrez à La Réunion ?
C'est évident ! Avec ma famille nous partons le coeur un peu lourd. C'est difficile de changer d'île c'est compliqué de partir, de quitter l'équipe et les amis que l'on s'est fait pendant quatre ans.
• Olivier Clémençon va vous succéder à la tête du parquet de Saint-Pierre, avez-vous un message à lui faire passer ?
Pour moi c'est important qu'il y ait une continuation dans l'action. Après il fera avec sa personnalité et apportera certainement un œil neuf.
Propos recueillis par ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com
J'ai un dossier qui traîne depuis début 2020, j'ai rappelé par lettre à Mme la Procureure que le fautif coure toujours sans qu'il soit inquieté alors que moi, victime, je suis au labour. Un inspecteur de police m'a appelé il y a 4 mois en me disant qu'il va reprendre l'enquête. Bien sûr c'est pour faire passer le temps, pour qu'elle puisse faire ses valises !!!
Dommage qu'il n'en soit pas de même pour le Tribunal Administratif, on ne pourra que le regretter !
"Pour des raisons déontologiques le séjour des procureurs à la tête des parquets est toujours limité dans le temps. Il s'agit d'éviter d'avoir trop de liens avec le justiciable, ou de subir des pressions..."
Très intéressant d'entendre ces propos de la bouche même d'un magistrat du Parquet
Surtout à Saint-Pierre où l'un de ses prédécesseurs a une longévité EXCEPTIONNELLE
J'ai mal à ma France
on peut la regretter car elle a fait un bon boulot. et quand on connait les difficultés de l'institution c'est remarquable