La vie au rythme des violences

À Mayotte, "on est passé de la liberté à la peur d'aller et venir"

  • Publié le 13 février 2024 à 11:47

Depuis près de trois semaines – le 22 janvier 2024 exactement - des barrages de citoyens sont dressés en Grande terre à Mayotte. Les habitants dénonçant l'insécurité et la hausse de l'immigration clandestine. Si Gérald Darmanin, accompagné de la nouvelle ministre des Outre-mer, Marie Guévenoux, est venu à Mayotte ce week-end faire des annonces, cela suffira-t-il à éteindre l'incendie ? Suffira-t-il à sortir Mayotte du chaos ? Crise sociale, violences… les habitants de l'île vivent "la peur au ventre" (Photo rb/www.imazpress.com)

Nicolas Fontaine est un Réunionnais établi depuis plus d'une quinzaine d'années à Mayotte. Gérant d'une auto-école et d'un centre de formation à Kawéni (au nord-est de l'île) il le dit, "on est passé d'un extrême à l'autre", résume-t-il pour décrire son quotidien à Mayotte ces dernières semaines.

"La violence a franchi un seuil", évoque le Réunionnais qui a fait le choix de rapatrier sa famille à La Réunion "par peur qui leur arrive le pire".

"Le soir il ne faut pas trainer et même la journée il peut arriver des choses. La nuit on sent cette pression", témoigne-t-il. Une pression issue de jeunes individus qui érigent des barrages enflammés sur les routes et commettent des violences gratuites envers les automobilistes.

Nicolas Fontaine se souvient d'ailleurs très bien du Mayotte d'il y a dix ans. "À cette époque-là j'adorais Mayotte, je dois tout à Mayotte, j'ai pu construire ma vie là-bas. Mais là on est passé d'un extrême où il faisait bon vivre avec des gens très accueillant à un autre."

"On est passé de la liberté. À l'époque on pouvait faire le tour de l'île la nuit au fait que pour passer du nord au sud de Mamoudzou on réfléchit par où on va passer pour éviter les risques", explique Nicolas Fontaine.

"On est attentif sur la route, on regarde loin parce que ça peut aller très vite. Dès que l'on sent une zone de danger avec des poubelles en feu on fait demi-tour."

Nicolas Fontaine se remémore ce jour où il s'est fait agresser en bas de chez lui, le visage en sang. Un incident grave qui a eu lieu sous les yeux de sa fille. "À ce moment-là ça m'a fait prendre conscience qu'il fallait que je mette ma famille en sécurité."

Une violence qu'il a fuie pour sa famille. "Je n'allais pas laisser mes enfants prendre le bus par peur qu'ils se fassent caillasser. Je les ai rapatriés à La Réunion essentiellement pour leur sécurité", dit-il.

Ce père de trois enfants a d'ailleurs vu leur comportement changer. "Vous savez quand vous entendez un enfant en bas âge dire il y a les voyous, mes enfants se rendaient bien compte de la violence qui régnait et comprenaient le danger." "Des jeunes qui passent à côté de la voiture avec des machettes pour rejoindre là où ça pète, ce sont des images qu'ils gardent en tête."

Ce côté "roots que je cherchais, bon vivre, on l'a perdu. Les gens se méfient les uns des autres". "Quand vous voyez des jeunes attroupés vous méfiez."

Désormais, à La Réunion, "on a trouvé un certain équilibre".

- "Ce n'est pas un quotidien normal que l'on vit" -

Abdillah Malidi est lui né à Mayotte. Ce mahorais est revenu dans son île natale il y a de cela trois ans, accompagné de sa femme et de leur enfant.

"Ce n'est pas un quotidien normal que l'on vit", dit-il. "On ne travaille plus, on ne circule plus", raconte-t-il.

Lui qui réside à côté du stade de Cavani – lieu où les migrants se sont installés – "on a vu le changement. Avant nous allions là-bas faire du sport mais on n'y va plus, on a peur d'aller là-dedans".

Même à son domicile, Abdillah Malidi n'est pas serein. "Chez nous on a des grilles aux portes, des grilles aux fenêtres, on est chez soi mais on n'est pas tranquille. On ne sort même pas sur la terrasse de peur que les individus passent par-dessus les barrières. C'est violent", témoigne-t-il. "On est comme en prison."

Ce dimanche 11 février, Abdillah Malidi et sa famille "se sont risqués à sortir". "Cela faisait dix jours qu'on n'était pas sorti à cause du climat d'insécurité quotidien", dit-il.

Mais pour sortir, Abdillah Malidi s'est préparé. "On regarde sur les réseaux, on écoute pour voir si ça bouge dehors", de peur de croiser des "voyous". "La dernière fois que nous sommes allés courir, c'était il y a deux semaines et on s'est retrouvé face à des jeunes mineurs qui nous jetaient des cailloux dessus", raconte le mahorais.

Chaque jour, ces situations font se demander à Abdillah et sa femme s'ils ne devraient pas quitter Mayotte. "On se demande si on ne devrait pas partir le temps que ça se calme et si ça se calme. La situation est invivable. Personne ne devrait craindre de ne plus revenir en sortant juste la poubelle."

Lui qui est né à Mayotte se rappelle de son île "comme paradis". "Une île où la violence est montée petit à petit." "Imaginez-vous une seule seconde déposer votre enfant et qu'on vous appelle pour vous dire qu'il a été tué", lance-t-il, espérant éveiller les consciences.

"À La Réunion les gens regardent la météo, nous on regarde la météo des barrages, des caillassages, est-ce qu'on y va ou pas, c'est stressant."

Ce que ne comprend pas Abdillah Malidi, "c'est l'inaction de l'État". "À Paris il se passe la moindre chose, l'État réagit et ici personne ne dit rien", s'insurge-t-il.

- "C'est une angoisse permanente" -

Si les habitants craignent pour leur sécurité, à l'hôpital de Mamoudzou, le travail rythmé par les barrages est tendu.

"Depuis les barrages on doit fonctionner à 30 ou 40%", confie une infirmière qui a souhaité garder l'anonymat. "Dans mon service il y a 24 lits et normalement on est deux avec des aides-soignantes sauf qu'il arrive souvent que l'on se retrouve seul pour gérer les patients."

Elle qui habite à proximité du CHM (Centre hospitalier de Mamoudzou), est souvent rappelée pour compenser ceux qui ne peuvent arriver.

"On essaye de gérer le manque mais on est en sous-effectif", dit-elle. "Certains viennent même travailler et restent dormir car ils ne sont pas sûrs de revenir."

"C'est une angoisse permanente", rajoute l'infirmière. L'infirmière évoque également le cas de son petit garçon. "Il a peur, la nuit il demande de fermer les fenêtres et les portes, il fait des cauchemars", dit-elle.

- Des barrages et des entreprises à l'arrêt -

Si les violences attisent la peur des mahorais, les barrages – dont la levée pourrait avoir lieu ce mercredi si le gouvernement met par écrit ses engagements – mettent l'économie de l'île entre parenthèses.

Les professionnels ne peuvent plus venir travailler en raison des barrages. "Les gens ont l'impression qu'on n'est pas derrière le mouvement mais non. On a connu la grève en 2011 (une grève qui avait duré trois mois par rapport à la vie chère), et là nous avons la hantise de se retrouver dans le même processus", raconte Nicolas Fontaine.

"Nous on doit se déplacer. C'est notre cœur de métier. S'il y a trois semaines on tournait à 25%, là désormais le personnel est au chômage partiel." "Ça ne devenait pas sérieux de continuer et pas sécurisant pour les clients, les salariés et pour le matériel."

Désormais, le Réunionnais attend de voir si les barrages seront levés.

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- Les habitants mitigés face aux annonces de Darmanin -

En visite sur l'île, paralysée depuis trois semaines par les barrages citoyens, Gérald Darmanin a annoncé une révision constitutionnelle destinée à supprimer le droit du sol sur l'île.

"Nous allons prendre une décision radicale, qui est l'inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République", a déclaré Darmanin à la presse dès sa descente d'avion.

"Il ne sera plus possible de devenir français si on n'est pas soi-même enfant de parent français", a-t-il ajouté, assurant que cette mesure "extrêmement forte, nette, radicale" et censée couper "littéralement l'attractivité" de l'archipel, sera "évidemment circonscrite à l'archipel de Mayotte".

Si cela a pu être perçu comme une main tendue à l'intention des manifestants, ces derniers attendent une concrétisation réelle de ces belles paroles. 

"On attend de voir si c'est du concret mais pour moi il fallait que l'on traite le problème bien avant", souligne Nicolas Fontaine. "Et ce n'est pas avec des membres des forces de l'ordre en plus qu'on va régler le problème."

"Mayotte est une passoire alors comment on n'arrive pas gérer la frontière en étant une des plus grandes puissances maritimes du monde." Nicolas Fontaine poursuit : "si on veut bloquer l'immigration on va à la source, on les empêche d'arriver".

En 2022, selon le ministère de l'Intérieur, 44% des enfants nés à Mayotte avaient deux parents étrangers et 38% au moins un parent français.

Mais face à cette annonce, les élus politiques de l'opposition ont d'ores et déjà annoncé qu'ils s'opposeraient à cette révision de la Constitution.

"Après avoir brisé le tabou de la préférence nationale, la Macronie attaque la conception même de la nationalité, fondement de la République", a déploré l'eurodéputée LFI Manon Aubry.

SOS Racisme a fustigé une "remise en cause particulièrement spectaculaire du principe d’égalité".

La droite et l'extrême droite ont à l'inverse applaudit l'annonce de Darmanin. "Enfin !", a salué Eric Ciotti (LR). "Je dis bravo", a renchéri Marion Maréchal (Reconquête), qui a demandé l'extension de la mesure "à l'ensemble du territoire français".

Mansour Kamardine remercie de son côté "la mobilisation citoyenne qui a permis de contraindre le gouvernement à prendre les mesures demandées depuis des années par les élus". Pour autant, il souligne qu’il "convient de passer des annonces à leur mise en œuvre, dans les meilleurs délais, afin que les mesures annoncées ne deviennent pas rapidement d’habituelles promesses en l’air".

Reste à voir maintenant si ces annonces attendues par les mahorais pourront être mises en œuvre et sauront éteindre l'incendie.

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1 Commentaires
Morizo
Morizo
6 mois

Si nos élus ne prennent pas garde,et ne prennent pas des sanctions à l' égard des incivilités,beaucoup de quartiers cela se passera comme a Mayotte,ça suffit le laisser faire,qu on change ces élus impuissants.