Culture

« Loss » au théâtre du Grand Marché : l’histoire d’un deuil ou comment rendre acceptable l’inacceptable

  • Publié le 2 mars 2023 à 14:57
  • Actualisé le 2 mars 2023 à 14:58
« Loss » au théâtre du Grand Marché

Loss c’est l’histoire d’un garçon de 17 ans, Rudy, élève de terminale qui, un matin, quitte son cours d’anglais, sort de son lycée, demande une cigarette, va à la gare et se jette sous le premier train qui passe. C'est pour ses proches, l’histoire de ce deuil et de leur volonté farouche à le garder vivant. (photo V.W)

Et puis un jour, l’inacceptable qui vient tout bousculer, l’inconcevable qui arrive brutalement et qui laisse comme une impression d’inachevé… Pourquoi Rudy, 17 ans, quitte-t-il son cours d’anglais pour se jeter sous un train ? Telle n’est pas la question que se pose Noëmie Ksicova dans Loss, car Rudy a délibérément fait le choix d’en finir avec la vie.

Ce que creuse la directrice de la compagnie Ex Oblique, c’est plutôt la réaction des vivants, la manière dont ils refusent la disparition de celui qu’ils aiment. On est donc ici face à une famille qui refuse « le travail » de deuil, d’acceptation de la mort d’un fils, d’un frère, d’un amoureux et qu’il faut désormais apprendre à vivre sans par le biais de la petite amie qui de manière très théâtrale prend la place de Rudy en mettant ses vêtements, en l’incarnant pour le faire revenir peut être parce qu’elle le souhaite très fort. En plaçant le mort parmi les vivants, Noëmie Ksicova va à contrecourant d’une société qui étouffe les sentiments intenses et donc la possibilité du tragique.

Rencontre avec une joyeuse troupe qui à travers un sujet aussi sombre que la perte d’un être cher, rend hommage à la vie…

« Loss » est-ce selon vous une façon de regarder la mort en face et de dire qu’elle fait partie de la vie ?

Cécile Péricone : Tout fait, dans toutes nos réflexions sur la création, il y a vraiment eu cette idée de notre rapport à la mort dans nos sociétés occidentales et modernes. En somme un rapport à la mort, vivant si je puis dire, où on est accompagné par les morts, et que ce n’est pas forcément triste. Cette notion de « faire son deuil » ce discours de nous dire qu’il faut tourner la page, passer à la suite, oublier, laisser derrière, passer à autre chose alors qu’en réalité, les morts sont toujours avec nous, nous accompagnent et qu’on n’est pas obligés de les classer dans nos archives. Voilà le fil qu’on a essayé de tirer et de mettre en pratique avec des personnages qui traversent cette épreuve. En résumé et comme l’a dit Noëmie Ksicova, on croit que les morts ont besoin des vivants, alors que c’est le contraire, les vivants ont besoin des morts pour survivre.

Lumir Brabant : Il y a une certaine forme de transfert mais aussi l’impulsion de Noémie, cette jeune fille qui a envie de s’intégrer à la cellule familiale, de trouver des réponses… Et surtout de garder Rudy vivant.

Juliette Launey : Le personnage de la sœur fait le contrepoids avec Noémie et les parents parce qu’elle n’accepte pas que cette jeune fille vienne s’imposer, ça la dérange alors qu’elle aimerait vivre son deuil en famille.

En psychologie, on parle de travail de deuil, généralement une tâche affective utilisant une grande énergie psychique et physique, fractionnée en plusieurs phases… Les évoquez-vous sur scène ?

Anne Cantineau : Pas du tout. On laisse beaucoup la place au spectateur dans son ressenti et dans sa façon de revisiter le deuil. D’ailleurs dans notre jeu, il nous est demandé beaucoup de pudeur justement pour ne pas être en surcharge par rapport au sujet traité et à ce que peut éprouver le public. Même au niveau de l’interprétation, il n’y a pas de cri, c’est très intériorisé.

Antoine Mathieu : Effectivement, on a essayé de laisser beaucoup de place aux spectateurs pour qu’ils puissent se projeter et du coup dà notre niveau, on ne remplit pas trop l’espace de texte, de pensées ou d’affirmations.

Le spectacle ne traite volontairement pas du pourquoi du suicide. Est-ce volontaire ?

Cécile Péricone : Oui, c’était prévu dès le début et les premières réflexions. Si on s’était lancés là-dedans, le spectacle aurait été tout autre. On n’avait pas du tout envie de s’engager dans cette voie et c’était aussi un genre de pacte entre nous.

Depuis la création du spectacle en 2020, le texte a-t-il évolué ?

Antoine Mathieu : On a retravaillé, passé du temps à épurer le texte, enlever du décor car comme dit précédemment, on propose une autre façon d’appréhender la mort. On n’est pas dans le rapport occidental, cartésien de dire que quand on est mort, il n’y a plus rien. Les morts nous accompagnent, on les accompagne, il sont avec nous et on donne la possibilité au spectateur de percevoir ça. Les expressions de travail de deuil, ou faire son deuil, sont des injonctions alors qu’en fait non ! Il y a un passage, une présence.

Cécile Péricone : Au départ, on a mis au point la structure de la pièce avec des scènes dont les dialogues n’étaient pas définitifs. On a mis toute cette matière à l’épreuve durant les deux premières semaines de création avec cette petite équipe, déjà pour que la famille se crée, et que tous les acteurs s’approprient les enjeux de la scène. Au fil des rencontres, chacun y a mis de soi, et donc oui, le texte a évolué et dans sa version finale, il est très inventé par les comédiens et leurs propres mots.

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Un spectacle construit en 3 parties
La première : une scène tout à fait banale de famille qui fête les 17 ans de Rudy, sa petite amie rejoint tout le monde pour le gâteau, ce qui permet au spectateur de se mettre en empathie avec la famille, de la rencontrer.
La deuxième : l’après-mort de Rudy (laquelle est à peine évoquée), phase où les parents et la sœur se retrouvent dans un trou temporel, la béance, partie conclue par le retour de Noémie, la petite amie.
La troisième : On ré-avance dans le temps et dans la manière de « faire son deuil » et d’accepter la perte d’un être cher.
Cinq personnages en plateau : Rudy, ses parents, sa sœur et sa petite amie.

« Loss » de la compagnie Ex Oblique, au théâtre du Grand Marché à Saint-Denis, jeudi 2 mars à 19h et vendredi 3 mars à 20h

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