Les professionnels déçus

Plan logement : "pas de mesures magiques" et encore moins de "révolution" pour La Réunion

  • Publié le 7 juin 2023 à 08:53

Ce lundi 5 juin 2023, Élisabeth Borne a dévoilé le plan 'logement". Restriction du prêt à taux zéro, fin du dispositif Pinel, soutien à la construction via le rachat de logements aux promoteurs par Action logement et la Caisse des dépôts… La cheffe du gouvernement a égrené les arbitrages de l'exécutif devant les groupes de travail du Conseil national de la refondation (CNR). Mais elle a prévenu, "il n'y a pas de mesure magique". C'est le moins que le puisse dire... Pour les professionnels de l'immobilier, du bâtiment et les bailleurs, ces annonces sont plutôt des "non annonces" qui ne changeront rien au fond du problème. La révolution n'est pas pour maintenant (Photo : rb/www.imazpress.com)

Dans ce plan logement, figurent la prolongation du prêt à taux zéro (PTZ) jusqu'en 2027 mais avec de fortes restrictions, la fin du dispositif Pinel d'investissement locatif, des aides à la location et soutien à la construction via le rachat de logements aux promoteurs par Action logement et la Caisse des dépôts.

Concernant le prêt à taux zéro - un prêt sans intérêt accordé en complément pour acheter ou construire -, limité notamment au collectif neuf, le ministre estime que "gouverner, c’est faire des choix budgétaires dans une période plus difficile. Les petits pavillons auront accès à Ma Prime Rénov. Le choix, c’est de privilégier le logement du plus grand nombre, donc le collectif".

Afin de favoriser l'accès à la location, le gouvernement a choisi d'arrêter le dispositif Pinel - qui permet une réduction d'impôt - fin 2024, jugé inefficace, pour mettre l'accent sur le "logement locatif intermédiaire", à savoir un logement qui, sans être social, permet des loyers modérés.

Élisabeth Borne demande également aux ministres "d'étudier" la remise à plat de la fiscalité des locations, notamment des meublés touristiques accusés d'aggraver la crise du logement partout en France.

Pour autant, les dispositions dévoilées ne comprennent aucune mesure choc comme l’encadrement des prix du foncier, l’une des propositions fortes issues du CNR.

Si ces mesures – issues du volet "logement" du CNR – étaient censées marquer "une nouvelle méthode de concertation" voulue par Emmanuel Macron, il n'en est rien.

"Il n'y a rien qui change la donne dans ce plan, qui est minimaliste, imprécis", a souligné Véronique Bédague, co-animatrice du CNR.

"Je crois qu’on a été unanimes sur nos constats et je crains qu’on ne soit aussi unanimes dans la déception face aux conclusions", a abondé Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, qui représente les bailleurs sociaux.

Un constat d'amertume et de déception partagé à La Réunion.

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- Des annonces qui n'en sont pas... -

"Sincèrement, pour nous, cela ne change pas grand-chose", déclare Nelly Lamy, gérante associée de l'agence Accord immobilier.

Concernant le prêt à taux zéro (PTZ), la prolongation avec restrictions ne changera rien puisque "ça fonctionne déjà mais de façon limitée". "Pour y accéder il faut respecter plusieurs conditions, notamment le fait de ne pas avoir été propriétaire les deux dernières années", précise Nelly Lamy.

Sur le sujet de la suppression de la loi Pinel fin 2024, "ça ne m'étonne pas, c'est inefficace". "Maintenant il y a plus de 30% en moins de constructions, ce n'est même pas intéressant."

Même constat pour Morvan Giral, gérant des agences Century 21 à Saint-Denis et Saint-Paul. "Ce sont des effets d'annonces ponctuelles mais cela ne répond pas à la problématique de façon plus générale".

Pourquoi le plan ne s'intéresse pas "aux difficultés de construction, aux difficultés pour les promoteurs d'obtenir un permis de construire".

Autre point non abordé, le financement. "Au national, 50% de prêts ne sont pas acceptés." "Si on est jeune et sans apport on ne peut pas emprunter et si on a plus de 50 ans avec faible apport pareil, alors pourquoi ne pas assouplir le dispositif ?", se questionne l'agent immobilier. "On sait que l'inflation monte, donc il faudrait que les conditions d'acceptation des prêts soient revues", ajoute-t-il.

Morvan Giral précise, "moi je suis pour des dispositifs fiscaux plus avantageux mais avec des points de contrôle. Ce n'est pas en réduisant les dispositifs qu'on va faire en sorte que le contribuable participe au logement".

"Pour moi, le plan Borne ne va pas résoudre la crise actuelle, c'est évident", conclut Morvan Giral, gérant des agences Century 21.

"Des non-annonces" que confirme Frédéric Marques, directeur associé de l'agence Orpi Saint-Pierre. Selon l'agent immobilier, le vrai problème, "c'est le pouvoir d'achat". "Le prix du marché n'est plus en adéquation avec le client acquéreur."

Pour le directeur associé de l'agence Orpi, il aurait été plus intéressant de s'atteler au logement saisonnier. "Il faudrait réformer cela pour que les gens puissent décemment se loger. Les prix locatifs sont hors sols", lance-t-il. "Il faut stopper l'hémorragie de la location saisonnière."

- Entre les annonces et les besoins réels... il y a un énorme décalage -

Pour les bailleurs sociaux tels que la SHLMR, "ces annonces ne sont pas obligatoirement à la hauteur de ce que l'on attendait", note Valérie Lenormand, directrice générale de la SHLMR (Société d'habitation à loyer modéré à La Réunion).

"Il y a des mesures qui vont évidemment dans le bon sens, il ne faut pas le renier, mais après ce n'est pas une réponse à tous les enjeux qu'on a en matière de logement sur le territoire", indique Valérie Lenormand.

"On entend les mesures faites pour le développement de la construction mais elles sont relativement timides et donc, autant sur la rénovation il y a un vrai effort de fait mais sur la construction ce sont plus des intentions", ajoute la directrice générale de la SHLMR.

Concernant la suppression du prêt à taux zéro, "l'offre ne s'appliquera que pour acheter des logements anciens". "Cela n'a pas vocation à insuffler plus d'urbanisation pour nos territoires." Pourtant, une proposition avait été faite pour accompagner le prix du foncier, mais cela n'a pas été retenu.

Sur la suppression de la loi Pinel, "déjà que la production de logements n'est pas très élevée, cela va encore mettre un frein complémentaire".

La directrice générale de la SHLMR commente, "ces annonces ne répondent pas suffisamment aux besoins de constructions et de nouveaux logements".

- "La révolution du logement n'a pas eu lieu -

Ces annonces ont aussi laissé sur sa faim Erick Fontaine de la Confédération nationale du logement à La Réunion (CNL). "La situation du logement est extrêmement tendue avec des chiffres qui sont extrêmement mauvais", dit-il.

Selon Erick Fontaine, "on est resté sur des dispositifs qui existaient déjà. Il n'y a pas eu d'annonces de nouveaux dispositifs en faveur du logement".

Des annonces qui inquiètent la CNL, dans le sens où le PTZ "va exclure les bénéficiaires d'un logement individuel".

Sur l'arrêt de la loi Pinel, "on marche à reculons". "La loi Pinel permettait à La Réunion d'avoir des aides plus importantes à La Réunion pour les propriétaires."

Par contre, "ce que l'on a souvent entendu, c'est que Madame Borne ramenait toujours vers le ministre du logement Olivier Klein pour qu'il fasse des propositions d'ici juillet et vers les préfets pour approfondir les propositions". "Dans ce cas, pourquoi faire une conférence de presse", se questionne-t-il. "On a l'impression que cela a été fait dans la précipitation."

Pour Erick Fontaine, "la révolution du logement n'a pas eu lieu hier soir".

Lire aussi - Habitat : La Réunion de retour 30 ans en arrière

- Et les personnes sans logement dans tout ça ? -

Pour Matthieu Hoarau, directeur de la fondation Abbé Pierre à La Réunion – fondation qui fait partie du CNR – "il y a eu beaucoup d'attentes pour peu des résultats au regard des propositions formulées".

Lui, qui s'occupe des personnes mal logées, ou sans logement, n'a "vu que très peu de réponses pour ces personnes".

Des réponses ou pas qui "marque le manque d'ambition du gouvernement pour lutter contre le mal logement sur le territoire".

Si Élisabeth Borne a pourtant annoncé une enveloppe supplémentaire de 160 millions sur cinq ans pour le "Logement d'abord", "le défaut c'est que l'on a peu d'éléments sur le contenu de ce plan, peu d'informations sur la création de logements d'insertion, peu d'annonces sur les expulsions massives et peu d'annonces sur l'accompagnement social", note Matthieu Hoarau.

"On voit que ce plan s'inscrit dans la continuité alors qu'il devrait être plus ambitieux et terme d'objectifs et de moyens financiers pour faire face aux personnes sans domicile."

Sur le logement social, "là aussi c'est décevant". À La Réunion, sur les 40.000 demandeurs de logements sociaux, 87% demandent des logements très sociaux.

Sur l'encadrement des loyers, pas d'annonces, sur l'encadrement des Airbnb', pas d'annonces, sur l'amélioration de l'habitat indigne, pas d'annonces…

"Au bout du compte, on a le sentiment que ce plan a été calibré pour que ça ne coûte rien à l'État. La crainte que l'on a ces que les coupes budgétaires se poursuivent alors que la crise sociale s'accentue", ajoute directeur régional de la fondation Abbé Pierre.

Pour rappel, quatre Réunionnais sur dix (soit 140.000 personnes) sont impactés par la crise du logement. Sur ces 140.000, 30.000 sont dépourvus de logement personnel, dont environ 1.000 personnes à la rue. 75.000 vivent dans des conditions de logement très difficiles du point de vue confort (sans eau, sans toilettes).

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- Des mesures inadaptées à La Réunion -

Pour le député Jean-Hugues Ratenon, "ce n'est pas avec ces premières mesurettes que la crise du logement va prendre fin". "Comme d'habitude, le gouvernement fait semblant de s'attaquer aux problèmes mais reste dans le saupoudrage sans aller en profondeur."

Aucune mesure "spécifique pour les Outre-mer et notamment pour La Réunion où la crise est aigüe. Devant ce tableau noir, aucune mesure choc du gouvernement."

"Rien sur la revalorisation de l’APL, rien sur l’encadrement du prix du foncier et des loyers, rien pour des logements adaptés pour les personnes âgées, rien pour les bailleurs sociaux et les communes pour l’acquisition et la construction de logements", s'indigne Jean-Hugues Ratenon.

"Ces premières annonces sont loin de répondre à l’urgence alors que la crise du logement impacte sous différents aspects la vie des familles : santé, épanouissement, bien-être", conclut le député.

Il n'a pas été le seul à réagir. Philippe Naillet a lui évoqué "des mesures inadaptées aux réalités réunionnaises".

"Si un nouveau plan de 500.000 nouveaux logements abordables sur l'ensemble du territoire national au cours des cinq prochaines années a été annoncé, il ne répond pas aux attentes des familles réunionnaises et des entreprises locales du BTP où le besoin en Logements Locatifs Sociaux et Très Sociaux reste important avec un montant de loyer supportable pour les familles."

"Au-delà de nouveaux financements et zonages inadaptés, nous demandons notamment la révision des zones QPV à La Réunion", indique le député.

"Au-delà d’un énième plan, nous demandons l’application du plan logement outre-mer, l’adaptation réelle des normes d’aménagement et de construction, un centre de certification et une vraie mobilisation des acteurs locaux."

- Logement neuf, ancien, social : une crise aux réalités multiples -

Une crise immobilière à La Réunion des publics précaires qui s'explique par la baisse de 38% de la production des logements sociaux en un an avec 1.361 logements livrés en 2022, ce qui représente le plus faible niveau des cinq dernières années.

La confédération nationale du logement dénonce même une politique défaillante et parle d'un recul de 30 ans en arrière. Concernant les logements sociaux, "il faudrait remonter à plus de 30 ans en arrière pour voir des chiffres aussi bas en livraison de logements".

Une crise qui touchait il y a peu (seulement) les logements sociaux. Mais qui depuis frappe également de plein fouet le secteur de l'habitat intermédiaire, voire de haut de gmme. Même ceux qui – pouvaient accéder à un logement plus facilement et semblaient protégés sont touchés par la crise.

Dans notre département, difficile de trouver des biens à acheter, ou à louer, à des prix accessibles. "On a une pénurie de bien de transactions ou de locations avec une demande très forte, note Morvan Giral, gérant des agences Century 21 à Saint-Denis et Saint-Paul.

"Il y a un vrai déficit de logement. Ici, il faudrait 9.000 logements (hors logements sociaux - ndlr) pour répondre à la demande et on n'a même pas la moitié", indique Morvan Giral.

Et alors que le prix de l'immobilier grimpe, que les constructions diminuent, les taux bancaires, eux, augmenten, au détriment des futurs acquéreurs dont les emprunts ne sont pas extensibles. "Pour vous donner une idée, il y a six mois une personne pouvait emprunter 300.000 euros, là c'est 250.000", explique Nelly Lamy, gérante associée de l'agence Accord immobilier.

"Les banques qui ne jouent pas le jeu" et qui "ne veulent plus prêter" commente Frédéric Marques.

Des raisons multifactorielles expliquent cette crise. La hausse des taux, la hausse du coût des matériaux et – pour la SHLMR, "le manque de volonté des maires concernant le logement social sur leur territoire".

"Il faut trouver une bonne adéquation entre l'offre et la demande, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui", conclut Frédéric Marques, directeur associé de l'agence Orpi Saint-Pierre.

Sollicités par notre rédaction la FRBTP et la CAPEB (syndicats patronaux des entreprises du BTP), n'ont pas réagi dans l'immédiat.

Lire aussi - Accéder à la propriété : un rêve (de plus en plus) irréalisable pour les Réunionnais

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Stean
Stean
1 an

Oui mais:
- Pas de foncier disponible sur l’île;
- Quand un programme de rénovation de logements sociaux est lancé, des appartements ne sont pas reconstruits pour éviter les effets de concentration de problèmes (Anru)
- Des communes qui ont largement dépassé leur quota obligatoire de logements sociaux (40% à Saint Denis) mettent en place des moratoires;
Et quand enfin c’est possible:
- Delai d’instruction administratif des permis de construire de logements sociaux très long et qui sont ensuite attaqués par des tiers (souvent des voisins)
- des appels d’offres infructueux par manques d’entreprise dû bâtiment, et quand elles répondent plusieurs sont défaillantes, et produisent des malfaçons, engendrant retard, surcoûts…
- cout matière aux et taux d’intérêts qui s’envolent
Il faudra d’abord à ces problèmes. Taux zéro, Pinel, encadrement du cout foncier, etc…ne changeront rien à l’affaire

ben
ben
1 an

il faut squatter! la spéculation sur le logement la nourriture les transports ca suffit,merci les ecoles de commerces force de vente etc yen a marre ca va peter!