L'inaction de l'État pointée du doigt

Violences contre les maires : à La Réunion, les élus ne veulent plus être des défouloirs

  • Publié le 23 mai 2023 à 09:44
  • Actualisé le 25 mai 2023 à 10:35

Sa démission a créé un électrochoc. Le maire de Saint-Brévin, en Loire-Atlantique, a relancé le débat autour de la sécurité des élus après avoir annoncé sa démission. Un retrait de l'écharpe qui faisait suite à l'incendie de sa maison par des militants d'extrême droite en raison de son soutien à un centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada). La Réunion n'est pas en reste. Plusieurs édiles ont été victimes de mots et de gestes menaçants. Ces élus se plaignent du manque de réaction de l’État et ne veulent plus être des "défouloirs" ou des "fusibles de la République" (Photo : rb/www.imazpress.com)

"Les maires sont en première ligne sur le terrain. Ils sont les premiers témoins de la montée de défiance dans notre société", a déclaré Elisabeht Borne, cheffe du gouvernement. Ella a ajouté, "nous devons les protéger, nous devons protéger tous les élus."

"Personne n'est vraiment en sécurité", lance Olivier Hoarau, maire du Port. "On peut faire de mauvaises rencontres. En tant que maire nous sommes particulièrement explosés car nous prenons les décisions".

Lui-même d'ailleurs, a été victime "d'un ton élevé", mais selon lui, là où cela devient plus dangereux, c'est sur les réseaux sociaux "où les menaces sont relayées". Il note "j'ai d'ailleurs eu à porter plainte à deux reprises et c'est parfois arrivé jusqu'au tribunal", dit-il.  Regardez

Jacques Técher, maire de Cilaos, n'a jamais été personnellement agressé ou menacé. "Mais les attaques et les prises à partie sur les réseaux sociaux sont désormais courantes grâce notamment à de faux comptes", déclare l'élu. "Cela étant, il est indéniable que de nos jours la pression est énorme pour les élus que nous sommes."

Une pression et des agressions qui, selon Jacques Técher, "poussent des maires à rendre leur écharpe".

Du côté de Salazie, Stéphane Fouassin invite au dialogue. "Il faut savoir dialoguer avec les personnes qui viennent, parfois fâchées ou mécontentes afin de trouver les solutions, même si on ne les trouve pas tout le temps". Selon l'édile, "il n'y a pas plus d'insécurité qu'avant mais les gens deviennent plus exigeants et cela est difficile à gérer.

Emmanuel Séraphin, maire de Saint-Paul, "est solidaire de tous les élus agressés qui peuvent avoir lieu envers les maire, mais à titre personnel, il n'a jamais reçu de menaces, n'a jamais été agressé" indique la mairie. S'il a été menacé lorsqu'il était élu de l'opposition, et qu'il a déposé des mains courantes, la situation ne s'est plus présentée depuis sa prise de fonction à la tête de la mairie.

"Cela dépend de la relation que vous essayez d'avoir avoir la population, c'est un lien constant que l'on doit entretenir. C'est un point préventif, mais ça dépend des territoires bien évidemment" estime la commune. Mais, "il a toujours eu un discours très clair : si demain, un élu est menacé, la ville sera intransigeante et les accompagnera dans leur démarche."

Vanessa Miranville, maire de La Possession, a "déjà été interpellée de façon vigoureuse voire agressive de la part de citoyens, mais sans crainte pour (son) intégrité physique". "La discussion a permis à chaque fois d'apaiser à la situation", ajoute-t-elle.  L'élue de l'Ouest qui précise que "la présence de la police municipale ou de mon élu sécurité à proximité a permis également de garantir une intervention en cas de débordement, mais cela n’a jamais atteint le stade de violence physique".

À La Réunion, les chiffres augmentent également : 9 agressions en 2022 (contre 6 en 2021) et 3 faits recensés depuis le début de l’année. Il s’agit principalement d’outrages, de menaces, ou de chantages. Une tentative de meurtre sur un élu a même été relevée en 2022 (maire de Saint André), précise la Préfecture.

"Sur le territoire, chaque élu peut compter quotidiennement sur le soutien de son sous-préfet d’arrondissement avec qui il a des contacts étroits. Les élus peuvent aussi s’inscrire sur le module SIDPP (Sécurisation des interventions et demandes particulières de protection), permettant à la gendarmerie d'identifier rapidement un élu qui appellerait sa brigade ou le numéro d’urgence (17). En outre, les élus disposent tous d'un lien direct, par téléphone et lors de rencontres régulières, avec les commandants de gendarmerie et les commissaires de police", indique les services de l'État.

- Pas des punching-balls -

"Je n'ai pas été agressé personnellement, mais Nicolas Ethève, adjoint au logement, a déjà été pris à partie et menacé", précise Serge Hoarau, maire de Petite-Île. "Nous avons décidé de porter plainte à la prochaine agression." "La situation sociale est compliquée, la pression est énorme, les attentes de la population sont donc importantes, mais les élus ne peuvent pas dire "oui" à toutes les demandes, ils ne peuvent pas dire "oui" à tout", ajoute-t-il. "Pour autant ils ne peuvent pas être des défouloirs et des punching-balls."

Serge Hoarau, déclare, "pour ma part, je pense que cette contestation, ces mises en cause s'étendent à tous ceux qui sont porteurs d'une parcelle d'autorité. C'est notamment le cas pour les parents, les enseignants, les forces de l'ordre et bien sûr les élus." "Que dire aussi de la puissance, incontrôlée, prise par les réseaux sociaux où tout le monde est persuadé de savoir tout sur tout ?"

"Cette situation est, à mon sens, le reflet d'un sentiment profond de mal être. Avec la crise économique et sociale, les gens se sentent acculés, ils sont fatigués, alors ils se défoulent, notamment sur les élus", confie le maire à notre journaliste. "Je ne juge pas, je constate. Mais je le répète les élus ne sont pas des défouloirs. "Il faut vraiment en avoir conscience. 1.700 élus ont déjà démissionné en France. À continuer de la sorte, je crains fort que nous ayons à faire face à une vraie crise des vocations", conclut l'élu.

Pour rappel, en février 2022, la maison du maire de Saint-André,  Joé Bédier, qui avait été la cible de coups de feu.

- "C'est de la violence étatique dont il faut s'inquiéter" -

Il n'est pas maire, et pourtant il est tout autant au cœur de l'action et face à la grogne de la population, le député Frédéric Maillot. "J'ai déjà eu des remarques peu agréables, je pense que la nouvelle génération d'élus paie le prix de l'image que le monde politique peut avoir. Mais la violence est relative. Quid de la violence systémique que subissent les gens ? C'est de la violence étatique dont il faut s'inquiéter.".

"Quand on ressort d'un combat pacifique, comme les Gilets jaunes ou la réforme des retraites, avec un œil en moins, on ne peut pas vraiment s'étonner que la violence augmente. Il faut évidemment faire attention à la montée de violences envers les élus, mais il faut surtout faire attention à la violence de l'État", dit-il.

Le député ajoute, "je ne suis pas à l'abri d'être un jour agressé, mais il me semble qu'il y a des sujets plus urgents. La violence que subit la population, qui vit avec 600 euros par mois, c'est contre cela qu'il faut se battre."

"La violence qui s'exprime est aussi le fruit d'un malaise social, de l'angoisse de la population, de demandes qui sont de plus en plus compliquées à satisfaire. L'Etat a son rôle, on le voit avec la réforme des retraites, qui peut créer un sentiment d'impuissance. Ce sentiment là, qui existait à la crise des Gilets jaunes, a passé un cap" estime d'ailleurs la mairie de Saint-Paul.

Jean-Hugues Ratenon, également député, lui, ne se sent pas en insécurité dans sa fonction d'élu. "J’ai toujours été un homme de terrain aimant le contact avec la population. Cette relation qui ne date pas d’hier fait que les gens peuvent m’aborder facilement en tous lieux. Fêtes, restaurants, cérémonies religieuses, manifestations… pas plus tard que vendredi dernier j’ai passé plusieurs heures à la foire de Bras Panon où des personnes venaient à ma rencontre."

"Par ailleurs, quand vous avez un langage de vérité, les citoyens vous respectent. Ne jamais promettre la lune. Quand c’est possible d’aider, je le fais ; quand ce n’est pas possible, je le dis. Les gens sont capables d’entendre ça. Ils préfèrent cette attitude que celle "d’un chargeur de l’eau"", dit-il.

Selon le député, "c’est toujours bien de renforcer la sécurité des personnes, mais pas que des élus ; de tout le monde. Cela passe bien évidement par une augmentation des effectifs des forces de l’ordre ; mais aussi par la mise en place d’une politique qui répond aux souffrances des gens. Comme la pauvreté, le chômage, la vie chère, le manque de logement…"

"Il faut enfin arrêter d’imposer des réformes contre la volonté de la grande majorité des citoyens. Le dialogue, l’éducation populaire, le respect du parlement et de ses représentants, un meilleur partage des richesses, permettront une désescalade des violences. Sur ce point, malheureusement, le gouvernement ne donne pas l’exemple", conclut Jean-Hugues Ratenon.

- L'État absent face aux prises à partie de maires  -

Selon le maire du Port, "il faut de suite réfléchir comment mieux protéger l'élu".

"Le maire est le premier interlocuteur que l'administré veut avoir en face de lui, c'est légitime et évidemment compréhensible, mais la pression est énorme et la réponse de l'État face aux attentes de la population et aux enjeux locaux est loin d'être à la hauteur", déclare Jacques Técher, maire de Cilaos.

"Le problème est encore décuplé lorsque la commune est membre d'une intercommunalité. Trop souvent hélas, au sein de ces instances, se sont souvent les demandes des grosses communes qui sont prises en compte au détriment de celles des petites communes", ajoute l'édile. "Du coup, il y a une nette dégradation du service public et lorsque l'administré demande des comptes, il le fait au maire, pas à l'intercommunalité."

Et alors que le maire de Cilaos avait alerté l'État sur "ces défaillances et sur la nécessité de réfléchir à une meilleure manière de répartir l'argent public, il n'y a pas eu vraiment de réponse", souligne-t-il.

Olivier Rivière, maire de Saint-Philippe a été récemment confronté à des comportements violents. "L'année dernière, un individu alcoolisé et qui venait de sortir de prison a fait intrusion à la mairie et même menacé de mort", déclare-t-il. Face à cet individu, la police municipale et la gendarmerie sont intervenues rapidement. "J'ai bien évidemment porté plainte. Le procès aura lieu en septembre de cette année", confie-t-il à notre journaliste d'Imaz Press.

Mais face à une telle agression, mis à part les administrés de la commune, le maire de Saint-Philippe n'a "pas reçu d'appel ou de message de soutien de la part de qui que ce soit, pas même de la préfecture".

"La situation au jour le jour est difficile, une partie de la population doit faire face à de graves difficultés", ajoute-t-il. "Ce n'est pas parce que nous sommes dans une petite commune que les problèmes ne sont pas immenses, je dirais même qu'ils sont parfois plus grands que ceux posés aux grandes communes", souligne Olivier Rivière. "Lorsque ces personnes au quotidien compliqué entrent dans le bureau du maire, elles veulent en ressortir avec des solutions.

C'est compréhensible, mais souvent le maire est démuni face à ces problèmes, il n'a pas de réponse et il est immédiatement stigmatisé." "Je comprends que des maires soient découragés, qu'ils soient résignés", conclut l'édile.

- L'exécutif prend des mesures…  jugées insuffisantes -

Face à la démission du maire de Saint-Brévin qui dénonçait devant le Sénat le 17 mai dernier, "un manque de soutien de l'État", le gouvernement a annoncé le lancement d'un centre "d'analyse et de lutte contre les violences faites aux élus". Mais pas que. L'exécutif a également annoncé la création d'un réseau de 3.400 référents dédiés dans les commissariats et les gendarmeries.

Enfin, le dispositif "alarme élus" sera également renforcé : il permet aux élus de se faire enregistrer dans un fichier qui déclenche, en cas d'appel à la police, "une intervention encore plus rapide des forces de sécurité", et qui permet des patrouilles près de son domicile et de la mairie.

Des mesures jugées insuffisantes par les élus. Concernant les annonces du gouvernement pour renforcer la protection des élus, "on ne demande pas une garde rapprochée mais quand on a un mandat il faut absolument être protégé". "C'est important sinon l'élu va hésiter à prendre des décisions, à dire non."

Vanessa Miranville, maire de La Possession estime également que ces mesures sont insuffisantes, "même si elles vont dans le bon sens". "Un dialogue récurrent entre élus et citoyens est nécessaire en amont pour éviter la rupture et donc l'agressivité envers les élus."

Du côté de Saint-Paul, on considère que "c'est un élément de réponse, mais il faut s'intéresser au malaise social, et s'intéresser aux personnes qui expriment ces revendications". "À La Réunion, on a des indicateurs sociaux qui sont préoccupants, et quand on voit les difficultés qu'ont ces personnes, c'est d'autant plus important de les écouter. C'est une première réponse, mais il faut aller beaucoup loin."

Stéphane Fouassin déplore quant à lui le fait qu'il "faille attendre d'être agressé pour avoir une protection". "Il y a une lenteur administrative qui nous dépasse, dit-il. Selon le maire, il faut également rappeler à la population que "le maire n'est pas tout puissant, il n'a pas tous les pouvoirs mais applique les lois". Stéphane Fouassin qui conclut en disant : "nous sommes le point de convergence de toutes les problématiques liées à un territoire et également les fusibles de la République".

Des élus victimes de violences. Des violences qui ont augmenté de 32% en 20222 selon le ministère de l'Intérieur.

L’Association des maires de France (AMF) considère même que "la situation n’a cessé de s’aggraver" depuis sa première alerte en octobre 2020. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 2.265 plaintes et signalements pour violence verbale ou physique contre des élus ont été recensés en 2022. Environ 70 % de ces agressions ont concerné des menaces, des injures ou des outrages.

Depuis le début de l’année, Dominique Faure a dévoilé, lors d’un point presse, le chiffre de 900 agressions. Il est en augmentation de 2% par rapport au premier trimestre 2022.

Pourtant, les auteurs de violences contre des édiles s'exposent à trois ans de prison et 75.000 euros d'amende. Des sanctions que le gouvernement veut alourdir, pour aligner les peines sur celles encourues pour des atteintes contre des policiers, des gendarmes ou des pompiers. Les auteurs de violences pourraient ainsi s'exposer à des sanctions allant jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende (pour plus de 8 jours d'ITT).

Lire aussi - La classe politique révoltée après la démission du maire de Saint-Brevin

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4 Commentaires
Bruno Lateigne
Bruno Lateigne
1 semaine

Ce qui m'étonne dans l'histoire de ce maire de Saint Brévin, c'est ce que personne (surtout les journalistes et membres du gouvernement) n'utilise le terme de "terrorisme" qui ce définit selon le dictionnaire :"Ensemble d'actes de violence (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d'insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système". Que se passe t'il ? ce terme est juste pour les mouvements sociaux (ultra gauche et autres bêtises) qui ne plaisent pas à ce gouvernement ??? et vous journalistes, prenez vous partie pour ne pas éclairer les personnes lambdas ?? j'ai honte pour vous tous ! ce terrorisme devient un acte "banal" pour vous, qu'on évite de nommer.....

Mike
Mike
1 semaine

compréhensible

Bernal
Bernal
1 semaine

Qui se bouge les fesses

titi45
titi45
1 semaine

Démissionner va nous faire des vacances