Tribune libre de Kévin Lognoné

<strong>Archipel de Socotra, cheval de Troie émirati dans l’océan indien ?  </strong>

  • Publié le 19 décembre 2022 à 13:21
Socotra - Yémen

L’occupation émirienne de Socotra depuis la prise de contrôle le 30 avril 2018 par les Emirats-arabes unis et l’existence désormais d’une liaison aérienne reliant cette sentinelle sud du Yémen à Abu Dhabi illustrent le jeu d’engrenage des relations internationales. Une stratégie moderne qui partage une cohérence étonnante avec l’un des jeux les plus anciens de l’humanité : le jeu d’échecs, dont Louis  

Charles Mahé de La Bourdonnais, né à La Réunion, fut considéré comme l’un des compétiteurs les plus  talentueux au début du XIXe siècle, grâce à son aptitude extraordinaire pour les combinaisons.  Comprendre la diplomatie émirienne au contact de l’océan indien et du golfe d’Aden nécessite une  prédisposition à renouer avec le jeu de plateau stratégique, les manœuvres qui l’accompagnent, voire le mariage des contraires.  

Un article de recherche « Dubaï ou l'antithèse d'une nation » rappelait que les Émirats-arabes-unis  forment un pays très jeune. Tellement, que l’on ne peut pas parler d’une identité propre à la nation.  S’il existe, bien sûr, un aspect culturel, il s’agit en réalité de cultures importées. Même les nationaux,  hormis certaines vieilles familles dont la famille royale, sont en réalité de « récents » immigrés iraniens. 

Les échecs sont l’un des jeux les plus anciens, les plus intellectuels et les plus culturels qui soient,  associant à la fois sport, raisonnement scientifique et aspects artistiques. Pour ce qui est de ses  origines, certains pensent que le jeu est issu d'un autre jeu similaire aux échecs, appelé Chaturanga,  qui se serait développé dans le nord du sous-continent indien pendant la période de la dynastie des  Gupta (~ 319 - 543 EC) pour après se diffuser le long des routes de la soie à l'ouest de la Perse. 

Cependant, le concept du jeu d'échecs moderne serait dérivé de « Chaturanga » qui signifie « quatre  divisions», et qui fait référence soit aux divisions des pièces de jeu en infanterie, cavalerie, éléphanterie  et charrette (pièces qui dans le jeu moderne sont devenues le roi, tour, dame, cavalier et pion), soit au  fait que le jeu comprenait auparavant quatre joueurs. « Chatrang », et plus tard « Shatranj », était le  nom donné au jeu lorsqu'il est arrivé en Perse sassanide vers 600 EC. 

La première référence au jeu provient d'un manuscrit persan décrivant un ambassadeur du sous continent indien venant rendre visite au roi Khosrow I (531 - 579 EC) et lui présentant le jeu en cadeau.  De là, le jeu s'est diffusé vers d'autres régions, notamment vers la péninsule arabique et l’ancienne  Byzance. 

En 900 EC, les maîtres d'échecs abbassides al-Suli et al-Lajlaj ont composé des œuvres sur les  techniques et la stratégie du jeu, et en 1000 EC, le jeu d'échecs était déjà populaire à travers l'Europe  et en Russie, où ils ont été introduits dans la steppe eurasienne. Dans les manuscrits d'Alfonso, une  collection médiévale de textes illustrant trois différents types de jeux populaires du XIIIe siècle - connus  aussi sous le nom de « Libro de los Juegos » (livre des jeux) - le jeu d'échecs y est décrit comme étant  très similaire à la version persanne de « Shatranj », en termes de règles et de principes de jeu. 

Si l’objectif désormais universel est de capturer la pièce du roi de l'adversaire en utilisant un ensemble  prescrit de mouvements possibles sur un plateau carré en damier, quelle architecture de sécurité  faudrait-il envisager dans l’océan indien en cas d’échec et mat sur Socotra ? Au carrefour des routes  maritimes avec la corne d’Afrique et le golfe d’Aden, ce laboratoire de géographie militaire forme un  jeu de plateau stratégique dans lequel les émiriens entendent occuper un rôle prépondérant. Avec la  même complexité de mouvement que le jeu d’échecs qui connait aujourd’hui plus de 2 000 variantes  de jeu. Sans nul doute, un cheval de Troie émirien dans l’océan indien animerait de nouvelles formes  hybrides de jeu.

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