L'impact économique de la crise sanitaire relève bien plus des conséquences induites par les mesures d'endiguement que des effets directs de la pandémie. Avant toutes choses, précisons que les conséquences catastrophiques de la crise de la Covid-19 ne proviennent pas directement de la maladie elle-même mais plutôt des mesures sociales (confinements, couvre-feux, fermetures des frontières) mises en place par les autorités publiques pour tenter de contenir sa progression.
En effet, avec presqu’un an de recul, même si les zones d’ombre restent encore nombreuses, quelques certitudes émergent malgré tout. C’est un virus peu mortel (avec un taux de létalité en moyenne de 0,5%) qui s’attaque principalement (en termes de conséquences graves pour la santé humaine) aux personnes âgées de plus de 65 ans et/ou aux personnes présentant des comorbidités importantes. En d’autres termes, la population active, celle qui est au cœur du processus de production de richesse économique d’un pays, demeure relativement épargnée. C’est bien l’arrêt brutal de la production et de la consommation, directement provoqué par les restrictions publiques, qui a conduit à la crise économique et sociale actuelle.
La Covid-19, une catastrophe macroéconomique sans précédent
" Plus qu’une crise, un désastre ". Dans sa vue d’ensemble sur l’économie mondiale 2021, le Directeur du CEPII, Sébastien Jean, dresse ainsi un bilan déroutant sur les conséquences économiques de la Covid-19 dans le monde. Cette pandémie a précipité l’économie mondiale dans une crise d’une ampleur historique sans équivalent en temps de paix. Et même si les performances sont hétérogènes, l’Asie de l’Est s’en sortant mieux que le reste du monde, 90% des pays devrait subir une baisse significative de leur PIB en 2020.
Bien évidemment, La Réunion n’échappe pas à ce constat. Le département devrait subir une contraction de son PIB sur l’année 2020 de -6% à -8% en dépit d’une intervention colossale de la part des autorités publiques (chômage partiel, prêts garantis par l’Etat, fonds de solidarité de l’Etat et des collectivités territoriales, reports de versements des échéances sociales et fiscales). Tous les secteurs économiques n’ont pas été touchés avec la même sévérité.
Le commerce, la construction, les services de transport, d’hébergement et de restauration et l’évènementiel figurent parmi les plus gros contributeurs à la chute de l’activité économique. D’autres secteurs comme les services liés à l’information/communication, aux activités financières et aux activités juridiques et comptables sont moins touchés. D’autres encore comme les secteurs agricoles et agroalimentaires apparaissent même relativement préservés.
Sans surprise, cette baisse forte de l’activité économique a des répercussions négatives sur l’emploi malgré le dispositif largement mobilisé du " chômage partiel " qui a permis d’éviter pour le moment un effondrement. L’emploi salarié recule de -2,5% sur le premier semestre (avec la chute de l’intérim, la non reconduction de CDD et la non signature de certains emplois aidés), conduisant à une hausse forte du nombre de demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi (catégorie A, B, C) sur les deuxième et troisième trimestres 2020 (+2,6% sur 6 mois). Même si l’emploi semble se redresser nettement sur le troisième trimestre, Il y a peu de doutes sur le fait que les chiffres consolidés montreront une hausse significative du taux de chômage pour l’année 2020.
Des conséquences économiques moins prononcées qu’en métropole
Les effets économiques de la Covid-19 sont par conséquent graves pour La Réunion mais bien moindres que pour la France métropolitaine. Les dernières estimations évaluent une baisse du PIB français de l’ordre de -9% à -11%, un recul de l’emploi sur le premier semestre 2020 de -3,5% et une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi de 8% sur les deuxième et troisième trimestres 2020.
Cette situation plus favorable pour La Réunion s’explique essentiellement par deux éléments. Le premier élément est d’ordre sanitaire. La situation épidémiologique sur l’île depuis la fin de la première vague a été nettement plus favorable que celle de la métropole, permettant au territoire ultramarin d’échapper au second confinement et aux différentes mesures de couvre-feu. Aussi, même si elle reste progressive et encore en dessous d’une situation dite " normale ", la reprise économique a été moins chaotique par rapport à ce que connait encore aujourd’hui l’hexagone. Le deuxième élément est d’ordre structurel.
La composition sectorielle de l’activité économique réunionnaise est tout simplement moins exposée aux conséquences du confinement que celle de la métropole. En effet, les secteurs dits " amortisseurs " en temps de crise, des secteurs principalement non marchands, comme les administrations publiques, l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale, sont surreprésentés dans l’économie locale (un poids de 36% contre 22% au niveau national).
A contrario, les secteurs les plus exposés sont sous représentés. C’est le cas des industries hors industries agroalimentaires (4% pour la Réunion contre 12% pour la Métropole) et des transports/hébergement/restauration (6% pour la Réunion et 8% pour la métropole).
Des conséquences sociales moins visibles mais bien réelles
Le manque de données actualisées sur le volet social de la pandémie ne doit pas masquer une réalité alarmante. Deux conséquences principales sont attendues. En premier lieu, la pauvreté, qui était déjà à un niveau élevé (un taux de pauvreté monétaire estimé en 2018 à 38% contre 14% en métropole), devrait s’aggraver davantage.
En effet, les conséquences du confinement, à savoir le recours massif au chômage partiel (84% du revenu normal), l’augmentation des dépenses alimentaires, la réduction des signatures de contrats aidés et de CDD, la chute de l’intérim et une activité économique à l’arrêt pour certains indépendants et pour les travailleurs du secteur informel, devraient entrainer une baisse significative des revenus pour la partie de la population la plus vulnérable sur l’année 2020.
Rappelons que 70% des ménages réunionnais vivent avec moins 1400 euros par mois (par unité de consommation), ce qui représente une part importante de la population susceptible de basculer dans la pauvreté en cas de détérioration significative de leur budget (le seuil de pauvreté national étant de 1063 euros en 2018). D’ailleurs, l’explosion des demandes d’assistance alimentaire depuis le début de la crise tendent à confirmer cette conjecture. Les associations en charge de l’aide alimentaire (la Croix Rouge de La Réunion et la Banque Alimentaire des Mascareignes) ont enregistré une augmentation de leur activité de l’ordre de 140% et mentionnent des profils de personnes dans le besoin de plus en plus variés (personnes âgés pauvres, famille au chômage, mères isolées mais aussi des salariés privés de leur activité).
En second lieu, un creusement des inégalités éducatives, résultant d’un risque accru de décrochage scolaire, est attendu. La détérioration du niveau d’éducation sur la période du confinement, au détriment des plus défavorisés, est déjà observable au niveau national (baisse du niveau testé pour les CP et les CE1).
Nul doute que cette situation soit encore plus prononcée pour La Réunion où le suivi pédagogique est structurellement difficile à assurer dans beaucoup de foyers en raison d’un déficit d’instruction des parents (cela concerne 29% des enfants au niveau local et même 45% des enfants dans certains quartiers défavorisés).
De plus, la fracture numérique, bien réelle pour les plus vulnérables (seulement 65% des personnes de 15 ans ou plus sans diplôme disposent d’une connexion internet à la maison), a compliqué davantage encore la continuité pédagogique à distance. Toute cela dans un contexte initial, déjà très largement dégradé, caractérisé par un niveau moyen d’éducation insuffisant (un taux d’illettrisme de 23%, 4000 jeunes sortant du système scolaire chaque année sans diplôme, 29% des jeunes de 20-24 ans sans aucun diplôme) et des inégalités importantes entre enfants selon la CSP (47% des enfants scolarisés vivant au-dessous du seuil de pauvreté, un écart de 1000 heures équivalent enseignement à l’entrée à l’école selon l’origine sociale).
Nouveaux variants, la possibilité d’un reconfinement et la nécessité de contrôler le tourisme international
Les raisons d’être inquiets quant à l’avenir ne manquent pas. Même si la situation sanitaire semble sous contrôle à La Réunion, celle de la métropole avec l’arrivée récente du variant " anglais " et la présence du variant " sud-africain " à Mayotte (peut-être même sur le sol réunionnais) laissent planer le spectre d’un nouveau confinement dans les prochains mois. L’économie locale est sortie très affaiblie du premier confinement. Nul ne sait si elle résistera à un deuxième acte en dépit des nombreux dispositifs de soutien.
Rappelons que le tissu économique réunionnais est essentiellement composé de TPME et de TPE, donc très exposé aux effets des crises brutales et prolongées : 95% des entreprises réunionnaises ont moins de 10 salariés et environ 65% n’ont aucun salarié, lesquelles sont surreprésentées dans les secteurs très touchés. Par ailleurs, le premier confinement a montré qu’une part importante des emplois est potentiellement menacée : 4 salariés sur 10 et 1 non-salarié sur 2 exercent dans un secteur fortement impacté par la crise.
Le mot d’ordre est donc d’éviter à tout prix un reconfinement qui serait révélateur de notre incapacité à gérer efficacement ce nouvel épisode de la Covid-19. Et comme souvent, il vaut mieux prévenir que guérir ! Il s’agit donc d’identifier précocement les facteurs favorisant l’émergence et la propagation des virus de type Covid-19 afin de mettre en place des stratégies efficaces contraignant l’arrivée sur l’île de ces nouveaux variants particulièrement contagieux.
Parmi les coupables présumés, plusieurs études ont révélé le rôle prépondérant joué par le tourisme international sur de la première vague de janvier-avril. Ce résultat confirme ainsi que le tourisme et les déplacements internationaux en général sont des modes majeurs de diffusion des maladies infectieuses dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Une recommandation immédiate pour notre territoire serait alors de limiter voire d’interdire " temporairement " le tourisme international (fermeture des frontières ou mesures de quarantaine dissuasives). Le " sacrifice " du tourisme international, le temps de l’épidémie, permettrait ainsi de sauvegarder tout le reste.
Il est évident que, de toute façon, si nouveau confinement il devait y avoir, le tourisme serait également paralysé. Par ailleurs, avec un accompagnement par les aides publiques et une stratégie régionale tournée vers le tourisme local, ce sacrifice serait relativement limité dans la mesure où la partie " extérieure " du tourisme ne représente finalement que 2% du PIB territorial.
Certaines îles l’ont fait avec un " certain succès ", pourquoi pas nous !
Les tergiversations et les imprécisions pouvaient se comprendre lors de la première vague au regard de la complexité d’un virus totalement nouveau. Après une année de pandémie, ce n’est plus le cas. Nous pouvons notamment nous reposer sur l’observation de pays qui ont réussi à traverser sereinement la première vague en dépit de " l’effet de surprise " et qui n’ont pas connu, à ce jour, de deuxième vague, sans pour autant avoir eu recours à l’arme du confinement.
Parmi ces derniers, nous retenons l’exemple de 5 îles tropicales (Vanuatu, Fidji, Maurice, Taïwan et Singapour) qui n’ont pas eu besoin de confiner depuis mai/juin (la fin de la première vague) et pour lesquelles le tourisme occupe une place plus importante ou équivalente à la performance réunionnaise : les recettes du tourisme international représentent en 2018 (en % du PIB) 35,5% pour le Vanuatu, 24,7% pour les Fidji, 15,2% pour Maurice, 2,4% pour Taïwan et 5% pour Singapour contre 2% pour La Réunion.
Pourtant, lorsque l’on regarde les taux d’infection (pour 1 million d’habitant) depuis le début de la pandémie, ces territoires se trouvent nettement en dessous du score réunionnais : 3,26 pour Vanuatu, 58,76 pour les Fidji, 439,36 pour Maurice, 36,83 pour Taïwan et 9967,41 pour Singapour contre 11107,51 pour La Réunion.
Comment expliquer alors ce paradoxe entre importance du tourisme international et relative maîtrise du nombre de contaminations par habitant sans confinement ? Même s’il est hasardeux de conclure sans une véritable étude d’évaluation des politiques sanitaires appliquées par ces pays, quelques enseignements se dégagent malgré tout.
Toutes ces économies ont adopté quatre mesures sanitaires communes : (i) des restrictions fortes sur les flux de touristes internationaux, à la fois d’agrément et affinitaires (frontières fermées au tourisme international pour le Vanuatu, les Fidji et Taïwan ; frontières ouvertes pour Maurice et Singapour mais obligation d’une période de quarantaine dans un hôtel accrédité par les autorités locales avec validation de sortie par un test PCR négatif), (ii) une période de quarantaine systématique de 14 jours pour toute entrée sur le territoire, (iii) une politique active de test avec une mise à l’isolement strict en cas d’infection, et (iv) le port du masque obligatoire dans les espaces publiques (à l’exception des Fidji).
Dans ces conditions, il est facile de comprendre que ces économies ont fait le choix de renoncer pour un temps au tourisme international afin de limiter l’épidémie, d’éviter le confinement et de préserver l’activité économique domestique. Les estimations de croissance économique pour l’année 2020 pour ces dernières sont pourtant moins catastrophiques que pour La Réunion : -3,3% pour le Vanuatu, -7,5% pour Maurice, +2,5% pour Taïwan et -3,5% pour Singapour contre -6/8% pour La Réunion.
Jean-François Hoarau
(Centre d’économie et de management de l’océan Indien)
Même pas en rêve, les gens sont trop obsédés par leurs loisirs, certains ne vivent que pour ça.Et au delà de la pandémie, moi je mettrai une taxe carbone au kilomètre parcouru en avion bateau ou autre, à tous ceux qui voyagent pour le plaisir.