Après plus d'une bonne quarantaine d'années passées au service de la psychiatrie de l'enfant, devenu éducateur par la suite jusqu'à ma retraite il y a presque 6 ans. Aujourd'hui, je vous livre mon expérience de vie en pédopsychiatrie pour une meilleure prise en compte de la langue maternelle et du nouveau langage des jeunes qui peuvent aussi améliorer la prise en charge en pédopsychiatrie (Photo d'illustration www.imazpress.com)
Inutile de vous dire, l'importance de notre langue maternelle, et aussi du nouveau langage des jeunes dans la thérapeutique de psychiatrie. Outils qui me semblent fondamentaux dans le soin psychiatrie à La Réunion. Ce sont des réflexions qui mériteraient d'être approfondies.
Pourquoi faut-il maîtriser la langue maternelle et le "code" des adolescents ?
-"Astèr mi sa va mang' in gazon..."-
Une anecdote pour mieux comprendre mes propos. Il y a quelques années en arrière, un pré-adolescent de 12 ans habitant dans les hauts, se voit hospitaliser en pédopsychiatrie pour des troubles psychiques.
Cependant lors de l'entretien avec un interne du service, ce même pré-adolescent (situation datant de plusieurs dizaines d'années), a interrompu brutalement la consultation vers les 11h 30 avec l'interne qui venait juste d'arriver sur l'Île, en disant "mi arét kosé, astèr mi sa va mang' in gazon...". L'interne paniqué, nous dit que cet ado était envahi par de "trouble délirant".
En fait, ne maîtrisant peu la langue créole, son diagnostic n'était pas juste. Puisque, il était 11h 30, ce jeune voulait prendre son déjeuner à ce moment-là, ce que nous appelons chez nous "mangé in gazon". D'où l'importance de maîtriser un minimum la langue créole dans le cadre de soin dont la parole joue un rôle essentiel.
Autre exemple d'une famille en consultation avec le pédopsychiatre, devant les questionnements, elle se renferme comme une coquille, puisqu'elle ne comprenait pas les questions posées voire elle se met à rigoler. Je me suis posé la question, combien de fois nous sommes passés à côté, en raison de "nout' kosé".
- Un cadre thérapeutique sécurisant et contenant -
C'est encore vrai que depuis le travail avec une équipe pluridisciplinaire organisée depuis l'année 1977 et des diverses réunions de reprises, groupes de paroles... ont permis de mieux organiser, comprendre et diversifier l'offre de soins.
Surtout dans une évolution des 48 dernières années, où nous avions proposé aux enfants/ados hospitalités diverses médiations, construites dans un cadre thérapeutique sécurisant, contenant, structurant voire valorisant.
L'amorce d'une psychiatrie de l'enfant plus humaine, et qui a été un vrai tournant de la pédopsychiatrie à compter l'année 1977 avec l'arrivé du premier pédopsychiatre à La Réunion. Nous commençons de sortir du gardiennage pour s'inscrire au fil du temps dans la thérapeutique.
L'eau avec la pataugeoire, l'atelier conte thérapeutique en créole, les activités collages, poterie, dessins, musique dont les instruments "roulèr, kayamb et tambour" que j'ai acheté chez un certain Danyèl Waro, le cheval, piscine, les sorties, les activités de socialisation, les séjours thérapeutiques... sont autant d'outils que l'équipe proposait dans le cadre du projet de soins.
Bien sûr, l'ouverture vers l'extérieure étant pour beaucoup la clé essentielle pour une bonne inclusion.... Toutes ces activités se faisaient dans le cadre d'une prescription médicale effectuée par le médecin.
- L'alliance thérapeutique -
Tous ces "outils" sont les œuvres d'abord aux professeurs Pierre Lafforgue, Philippe Jeammet, puis Pierre Delion et bien d’autres, qui sont venus à plusieurs reprises à la Réunion pour nous former. Nous expliquer la différence entre l'occupationnel et la thérapeutique, ce que c'est l'alliance, la distance thérapeutique, la distance relationnelle...etc.
Autant d'espace thérapeutique, que nous avons pu construire depuis 1977 avec l'arrivé de Gilles Vauthier le premier pédopsychiatre qui avait pris poste à St-Paul sur l'ancien site, ainsi que Jean Philippe Cravero.
Ce sont les deux premiers pionniers des activités réalisées dans un cadre thérapeutique ou l'enfant, la famille, l'école...sont devenus les "charpentes" dans la prise en charge. Alors qu'avant vers 1968 sous l'ère du psychiatre Maurice Jay, docteur Noël... la psychiatrie de l'enfant se faisait plus dans un cadre occupationnel, et la famille était absente dans le contour de soins.
Je me souviens encore, il y a quelques années, nous avons pu organiser des Journées thérapeutiques dans l'église de Sans-Soucis et dans une école de la commune St-Paul. Et aussi, dans un vieux garage puis dans la vieille caserne de pompiers à St-Leu....oui nous étions des vrais pionniers dans la prévention de la santé mentale. Mais ça, c'est l'histoire de la psychiatrie de l'enfant qu'on a oublié.
Dans la continuité, les dernières évolutions ont été faites avec les pédopsychiatres Emmanuel Lafay et Ophélie Siwek, eux ils ont introduit le personnel soignant et éducatif dans les consultations. Résultat, un cadre que la famille trouvait plus sécurisant et plus libéré du fait que nous parlions le créole comme eux même. A noter que la parole fait partie intégrante dans l'acte de soins.
À présent, l’offre de soin de l'enfant couvre tout le champ de la pédopsychiatrie et de la prévention sur toute La Réunion. Les soins sont pluridisciplinaires, individualisés et ajustés au plus près des besoins du patient. Malgré ces progrès, le manque de structures pour les jeunes reste insuffisant, ainsi que la connaissance et la pratique de la langue créole quand le besoin se fait sentir.
- Formation à la langue créole et au nouveau langage de jeunes -
Alors l'idée m'est venue de faire passer un message au DRH de l'epsmr, à qui dans le passé en Commission Sociale, je l'avais reconnu une qualité d'écoute active, bienveillante et empathie lors de nos divers entretiens à faire avancer les dossiers du personnel mais aussi de formation.
Aujourd'hui, soucieux toujours d'un soin de qualité bien que je ne sois plus en fonction, je souhaite qu'une réflexion soit mener en Commission Sociale, à un petit bain de formation expresse à langue créole qui devrait être pensé aux nouveaux arrivants, qu'importe le grade et fonction.
Et aussi dans cette avancée, que le personnel travaillant auprès des adolescents, se forme pour maîtriser le langage de jeunes (si ce n'est pas fait) langage qui est en constante évolution, où ils inventent, transforment des mots pour se distinguer ou à créer une identité ou codes...etc, etc. Car c'est bien dans le langage que débute le soin.
Jean Claude Comorassamy

Plus de 2 siècles d'existence, c'est une 1ère sûrement a marqué dans l'histoire de la psychiatrie , que d'avoir posé en arrière plan une grande réflexion de la langue créole en psychiatrie. Que pensent, L'ARS, la Directrice Générale mais aussi le président du corps médical ?
JULIEN
"La culture est un soin en soi" et la langue créole en psychiatrie "Lé koué kan bonpé i mètrize pa ? "
Pourtant on est l'unique de toute la France d'avoir une Directrice de la culture "faire entrer la culture à l'hôpital ". Voilà l'économie à faire de ce genre de poste alors qu'on manque des soignants. Que fait l'ars ?
Un vrai sujet est posé dans l'article, il faut former les médecins psychiatres à la langue créole. Malheureusement il a fallu autant de décennies pour poser cette vraie problématique devant les institutions, les élus, l'état...
Maintenant à L'EPSMR de s'approprier l'idée et de la mettre en action. Grand merci à m. Comorassamy d'avoir écrit cet article.
"40 ans de vie" en psychiatrie, que c'est beau ! Pourtant le gouvernement trouve que les retraités devraient être dégraissés !
Courrier pertinent de mettre en exergue une formation à la langue créole aux nouveaux arrivants médecins et autres. C'est vrai aussi pour le langage des jeunes qui reste très codé...Tout à fait d'accord que ce soit la psychiatrie adultes comme enfants d'énormes évolutions depuis la Loi de sectorisation de 1975. Malgré tout le manque de personnel se fait toujours sentir à L'EPSMR. Agréable rappel historique que moi aussi j'ai assisté dans le secteur adulte asilaire de l'époque.