En l’espace de quelques mois à La Réunion, la violence a brusquement augmenté. Les jeunes se battent entre eux, en plein jour, à proximité des passants. Des armes à feu sont utilisées en pleine rue pour tuer un adversaire. Enquête sur une violence qui est de plus en plus "décomplexée" (Photo police BAC , photo RB imazpress)
À La Réunion, la violence fait rage dans certains quartiers. Dernier fait dramatique, celui du jeudi 23 mars, lorsqu’un père de famille originaire de Saint-André est abattu en pleine nuit devant une boîte de Saint-Gilles. Quatre hommes ont été placés en détention provisoire pour ces actes.
À Saint-Leu, c'est un mari et père de famille qui a perdu la vie, tué d'un coup de sabre lors d'une altercation entre deux voisins.
Autres drames récents, ceux de Saint-André. Le samedi 11 mars, un homme est abattu en pleine rue dans le quartier de Cambuston, après avoir été délibérément renversé. Un acte d’une particulière violence qui a marqué les Saint-Andréens. Pour ces faits, deux hommes ont été mis en examen puis écroués pour assassinat.
Le jeudi 9 mars, c'est dans le quartier de Terre Rouge (Saint-André) qu'un autre drame a eu lieu. Un adolescent de 14 ans meurt après une bagarre. Selon les premiers éléments d’information, un contentieux opposait les deux protagonistes.
Ces deux drames ne sont pas isolés. À Saint-Denis, le 25 février, une bagarre a éclaté entre plusieurs individus au niveau du boulevard Lancastel, avant de se prolongée dans la rue Maréchal Leclerc, en plein après-midi. Un jeune a reçu un coup de couteau au thorax. Un autre jeune, en sang et blessé à la tête a quant à lui trouvé refuge dans un magasin, au milieu des clients.
Le 28 février, c’est à Sainte-Anne qu’un différend aurait pu déraper. Un homme, très remonté après avoir découvert le corps de son chien écrasé, s’est présenté devant le portail de l’école Julie Huet. Rapidement interpellé par les gendarmes, il avait été placé en garde à vue.
Le Sud n’est pas en reste, puisque plusieurs agressions ont été remontées, notamment à proximité des établissements de nuit et bars du front de mer. C’est d’ailleurs en ce sens que la commune a décidé de renforcer sa sécurité.
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- "Un cap a été franchi" -
Pour Edwige Guesneux du syndicat Unité SGP Police FO, "il y a une recrudescence des violences sur l’ensemble de La Réunion". "Quand on regarde les faits divers, on constate que les événements sont de plus en plus violents à La Réunion" dit-elle. De plus, "chaque intervention peut basculer dans la violence" remarque-t-elle.
Pour enrayer l'aggravation de ces violences, l’organisation syndicale demande "une politique pénale plus répressive". Edwige Guesneux commente : "aujourd’hui on a un sentiment d’impunité, si la réponse pénale était plus stricte cela permettrait peut-être aussi de créer une crainte de la police et de la justice. Là les peines ne donnent pas l’impression que les auteurs sont punis"
Le police, déployée sur ces faits divers, "ne peut pas résoudre tous les problèmes de violences" poursuit la syndicaliste. "Le problème est sociétal et il devrait intéresser tous les intervenants", dit encore Edwige Guesneux. Trafic de stupéfiants, consommation de drogues, alcool… "c’est un ensemble d’éléments qui doit être pris en compte" souligne la policière. Car "on ne pourra jamai mettre un policier derrière chaque personne" souligne-t-elle.
"Les violences sont montées d’un cran, notamment dans les méthodes", note Stéphane Lebreton d’Unité SGP Police. "Les individus utilisent de plus en plus des armes à feu. Un cap a été franchi" déplore-t-il.
"Ce que nous demandons, à Unité SGP Police, c'est la création d’une police aux frontières pour le port, car l’on sait que les stupéfiants et les armes arrivent généralement par bateau et par conteneurs" commente le policier.
L’État a d'ailleurs connaissance des armes qui ont pour obligation d’être enregistrées. Ainsi, à ce jour 19.666 armes déclarées sont en circulation à La Réunion pour 10.335 détenteurs d'armes légaux recensés. Dans le détails, 18 sont de catégorie A, 7.804 de catégorie B, 11.153 de catégorie C et 809 de catégorie D.
"Concernant la circulation illégale d’armes, par définition il est difficile de connaître précisément leur nombre. La gendarmerie a saisie, dans le cadre de procédures judiciaires, 130 armes en 2022. De son côté, la police nationale de La Réunion a constaté 120 faits de port d'armes prohibé", nous indique la préfecture.
En matière de lutte contre la circulation d'armes détenues illégalement, l'action de l’État, forces de l’ordre et bureau de la police administrative de la Préfecture, "est de s’assurer du respect de la réglementation de la part des armuriers et autres commerçants délivrant des armes. De plus, au titre de l'article 78-2 du code de procédure pénale, des contrôles sont opérés très régulièrement sur le territoire sous la responsabilité d'un officier de police judiciaire après réquisitions du procureur de la République. Ce type d'opération se déroule dans une zone préalablement définie et pour un temps donné aux fins de recherches et poursuites d'infractions de port d'armes prohibé", ajoutent les services de la préfecture.
- Ne pas tout mettre sur le dos de la société -
Mais comment expliquer ce regain de violences ? "Pour la plupart des actes de violences, la causalité est éducative, avec ou sans prise de substances (alcool, drogue, qui désinhibent)", explique David Goulois, psychologue. "Dans de cas plus rares, il s’agit d’un trouble neuropsychologique (trouble du comportement d’origine neurologique) ou psychiatrique (folie)" énumère-t-il.
Généralement, "il y a un facteur psycho-social d’endoctrinement (effet de groupe) et un facteur socio-économique mais qui tend à se résorber". "En effet, on ne peut plus considérer que les difficultés socio-économiques, soient le facteur le plus important de causalité dans le déclenchement de la violence. Aujourd'hui, nombre de structures éducatives, médico-sociales, viennent et peuvent appuyer les parents dans leurs parentalités", note le spécialiste.
"On ne peut plus tout mettre sur le dos de la société, comme cela a été le cas il y a encore quelques années, car c'est dédouaner la part de responsabilité des protagonistes et des parents" reprend le praticien.
"Toutefois, j'insiste de dire, que ce n'est pas toujours de la faute des parents. Il y a des cas où le mal-être du jeune, pour des raisons neurologiques ou psychiatriques, est tellement important, que l'éducation ne puisse être réellement pointée du doigt", précise David Goulois. "Ce fait est souvent ignoré, y compris des professionnels, qui accablent certains parents trop vite et par méconnaissance. Tous les délinquants ne sont pas issus de familles dysfonctionnelles, même si beaucoup le sont".
"L’absence de peur dans les faits de violence tient à plusieurs choses : l'absence de perspectives dans l'avenir (donc autodestruction par auto-sabotage pourrait-on dire) et non-intégration des valeurs citoyennes", souligne le psychologue.
"La police a de plus en plus de mal à se faire respecter, parce que la justice n'est plus sévère et parce qu'il n'y a plus de places en centres pénitenciers ou foyer éducatifs... On ne leur donne pas les moyens de représenter l'ordre, ils sont gravement en sous-effectif et donc il n'y a plus cette peur du gendarme", lance David Goulois, rejoignant le constat dressé par les syndicats de police.
"Par ailleurs, la vulgarisation des informations juridiques par internet, rend (et c'est une bonne chose), le citoyen instruit, mais aussi, lui confère un sentiment de toute puissance : ainsi les défiances se multiplient face à ceux qui représentent la loi, l'autorité (enseignants, parents), le savoir (médecins)", ajoute David Goulois.
Mais alors, comment aider ces jeunes, aider ces familles à ne pas basculer dans la violence ?
Les services sociaux (Aides Sociales à l'Enfance), les professions de soins (psychologues, psychiatres), par l'orientation du médecin de famille, de la justice ou des enseignants, sont les acteurs privilégiés au côté de diverses associations. Les éducateurs sportifs, religieux, de loisirs, sont de bonnes ressources ; souvent ils représentent des adultes alternatifs aux profs et aux parents et certaines fois, peuvent aider à débloquer des situations.
Enfin « les sanctions doivent être prioritairement pédagogiques : les travaux d'intérêt généraux sont grandement intéressant tout comme les groupes de paroles. Faut-il avoir le personnel là encore, suffisamment formé et en nombre », ajoute David Goulois, psychologue à Saint-Pierre.
- 7,2 % de violence en plus en 2022 -
Chômage, inflation, vie chère… un contexte économique et social violent qui n’arrange pas la situation, pouvant faire basculer un simple différend en véritable fait divers macabre.
À La Réunion, les chiffres des violences le montre, depuis 2021, il y a une hausse de la délinquance générale. Les chiffres de 2022 suivent la même tendance qu’en 2021, avec une hausse de 7,2 %.
Les chiffres départementaux sont supérieurs aux niveaux nationaux comptant 13,26 faits pour 1.000 habitants contre 11,79 au national. Entre 2021 et 2022, l'augmentation est nettement supérieure soit 12,7% pour le département alors qu'elle est de 4% au national.
Le Préfet, Jérôme Filippini, a fait de la sécurité du quotidien son fer en attente. « La police de sécurité et du quotidien, apport essentiel à la lutte contre l’insécurité et les nuisances sur la voie publique continuera de se déployer à travers des dispositifs visant à renforcer la sécurité de chacun », assure la Préfecture.
« La mise en place de La Sécurité du Quotidien s’inscrit dans une démarche de renforcement des relations entre la police et la population, notamment les jeunes, pour mieux appréhender les problématiques locales et y répondre aux fins de faire diminuer le sentiment d’insécurité », ajoutent les services de l’État.
En termes d'effectifs, la police nationale a vu ses effectifs augmenter de 66 personnels depuis 2021. La circonscription de police nationale de Saint-Pierre s'est notamment vue dotée d'une section d'intervention en septembre 2022.
La gendarmerie de la Réunion va elle bénéficier de la création en France de 200 brigades annoncée par le ministre de l'intérieur. Le nombre et le format des brigades qui seront créées à la Réunion n'est pas encore connu. Ceci permettra d'augmenter les effectifs de gendarmerie sur le territoire.
- Education et pacification -
Lors des drames de Saint-André, et notamment le mort d’un jeune homme, tué par balles, "la police a immédiatement renforcé son dispositif de sécurité suite à cet événement et le renforcer encore si besoin", nous indique les services de la Préfecture.
Chaque commune met également tout en œuvre pour assurer la sécurité de ses riverains. À Saint-André, où ont eu lieu les deux derniers drames, les habitants confiait leurs craintes. Dans la commune de l’Est, peu après ces faits, des patrouilles ont été déployées, et ce, jusqu’à nouvel ordre.
"La collectivité met tout en œuvre depuis 2020 afin de contribuer au développement humain, social et économique de notre territoire. Au-delà du populisme ambiant qui accompagne ce type d’évènement. Il nous faut agir et poursuivre nos efforts pour que l’éducation, l’apprentissage et la culture occupent toujours une place plus importante dans notre société. Il n’y a que par ce biais que nous mettrons fin la spirale infernale de la violence qui n’épargne aucun territoire de La République", avait déclaré dans un communiqué Joé Bédier, maire de Saint-André.
À Saint-Pierre, "les municipalités peuvent renforcer le dispositif de sécurisation par la création d’une police municipale, et des dispositifs de vidéo-surveillance. Rappelons que les missions de ces dernières sont définies et n’ont pas pour objet de remplacer les forces de l’ordre nationale". S’agissant de la commune du Sud, la police municipale est composée de 49 agents.
Une centaine de caméras sera à terme installé, 46 sont déjà opérationnelles. La supervision est assurée par 14 agents. (1 chef de pôle 1 adjoint, 1 responsable, 11 opérateurs)
Deux agents régulent le PC radio. Le centre de supervision urbain est opérationnel 24h/24 et 7j/7. Soit au total, un effectif global de 65 personnels affectés à la sécurité à Saint-Pierre.
Comment faire pour que de tels évènements ne se répètent pas ? "S’il y avait une réponse définitive, elle serait déjà mise en œuvre et il n’y aurait plus de violence dans le monde !", déclare la mairie de Saint-Pierre. "L’éducation, la pacification des relations humaines, la lutte contre le déterminisme, sont peut-être des pistes qui pourraient y contribuer".
ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com
En gros d'après les syndiqués fonctionnaires, problèmes avec: justice et douane.
Ils expliquent à la justice et à la douane comment faire leur travail.