Quelques heures aprÚs l'invasion de son pays, une Ukrainienne en veste noire et bonnet blanc insulte copieusement deux soldats russes en arme, filmée par un comparse.
"Occupants", "fascistes !" Une spectaculaire incarnation de la volonté de son peuple de s'imposer aussi sur les réseaux sociaux.
"Prenez ces graines et mettez-les dans vos poches. Comme ça, des tournesols pousseront quand vous reposerez tous ici", ironise-t-elle. A son image, c'est la guerre de l'information que l'Ukraine, selon plusieurs analystes, domine pour l'instant face à la Russie.
Depuis onze jours, les contenus pro-Ukrainiens ont inondĂ© la toile : un passant tente d'arrĂȘter un char russe, les locaux hurlent de joie quand des hĂ©licoptĂšres prĂ©sentĂ©s comme ennemis s'Ă©crasent.
Ils moquent des tanks atomisés marqués du "Z" blanc de l'envahisseur, raillent leurs cadavres.
Des légendes invérifiables sont montées en épingle. Comme ce pilote ukrainien qui aurait abattu cinq, six, voire dix aéronefs ennemis.
"Dans la premiÚre phase du conflit, pour l'opinion internationale, les Ukrainiens sont clairement devant dans l'information", affirme Baptiste Robert, fondateur de Predicta lab, une société française de lutte contre la désinformation.
"Sur TikTok ou Telegram, câest dĂ©lirant, câest fou furieux" de voir le nombre de contenus hostiles aux Russes, opine Damien Bancal, chercheur en cybersĂ©curitĂ©.
Ces derniers jours, à mesure que la Russie bombardait les villes ukrainiennes, les sanglots ont toutefois supplanté la bravade.
"Ce qui est le plus fort, c'est que c'est organique", analyse Baptiste Robert. "Il y a une vraie volonté des Ukrainiens de documenter cette guerre. Quand il se passe quelque chose, ils sortent leurs téléphones." L'armée ukrainienne poste elle aussi les dommages infligés à l'ennemi.
- 'Organique' -
Si les vidéos publiées "sont plutÎt légitimes", selon M. Robert, certains récits ont été bùtis sur du vent, comme l'a démontré la cellule de fact-checking de l'AFP.
Treize garde-frontiÚres ukrainiens avaient été déclarés morts "en héros" par Kiev aprÚs avoir envoyé "se faire foutre" un bateau militaire russe venu prendre le minuscule ßlot qu'ils défendaient. Ils étaient bien "vivants", ont finalement convenu les autorités ukrainiennes, comme l'affirmait Moscou depuis le début.
A Paris, l'ambassade d'Ukraine nie toute manipulation. "On ne produit pas de fake news", affirment ses diplomates. La désinformation est une arme russe, que Moscou "affine" depuis 2014 et la prise de la Crimée, poursuivent-ils.
En 2016, ses trolls ont mĂȘme Ă©tĂ© accusĂ©s d'avoir influencĂ© la campagne prĂ©sidentielle amĂ©ricaine. Leur stratĂ©gie est "dâinfiltrer des groupes" de discussion pour faire Ă©voluer leurs participants, dĂ©crypte Emily Harding, chercheuse au Centre pour les Ă©tudes stratĂ©giques et internationales, un think-tank amĂ©ricain.
Une technique requérant du temps dont ils ne disposent pas en Ukraine. D'autant que pour avoir sous-estimé la résistance ukrainienne, Moscou a complÚtement raté son entrée en guerre, selon les experts militaires occidentaux interrogés par l'AFP.
Le récit glorieux qui devait accompagner son "opération militaire spéciale" de libération du pays a été invalidé par de lourdes pertes.
Or "il est trÚs difficile de contrer la vérité avec des mensonges", observe Mme Harding. Surtout quand, au sommet de l'Etat, Vladimir Poutine prétend vouloir "dénazifier" l'Ukraine, au mépris de toute réalité.
- 'Inspirant' -
L'image désormais désastreuse du président russe hors de son pays, à l'exception de ses rares alliés syrien, érythréen ou bélarusse, est un autre facteur de cette défaite informationnelle, estime la chercheuse.
Car face à lui, le chef de l'Etat ukrainien Volodymyr Zelensky montre "un courage incroyable" et "se balade avec ses troupes" malgré le danger, ce qui rend la position ukrainienne "inspirante", souligne-t-elle.
Une analyse que relativise Darren Linvill, spécialiste des manipulations digitales russes de l'université américaine de Clemson. L'objectif de Moscou reste avant tout de "contrÎler sa propre population", pointe-t-il.
Ce que les rĂ©seaux sociaux en langue russe dĂ©montrent d'aprĂšs lui parfaitement : "Pour chaque rĂ©cit pro-ukrainien, comme des soldats russes qui se rendent sans combattre ou des hĂ©ros ukrainiens louĂ©s pour leur courage, il existe un rĂ©cit similaire en Russie" oĂč les rĂŽles sont inversĂ©s.
Un tweet posté fin février, vu à 118.000 reprises, montre un homme se faire frapper puis tirer dessus dans une zone résidentielle. Son auteur, un cadre de la communication prorusse, commente : "Kiev ce matin. (...) Le danger n'est pas les troupes russes, mais les nazis."
Le contenu est difficile à vérifier, mais le message atteint sa cible. "Beaucoup de Russes y croient", soupire Darren Linvill.
Ce genre de récit devrait se multiplier dans la deuxiÚme phase de la guerre, qui annonce un nouveau round informationnel, pronostique Baptiste Robert. Si les villes tombent, "il y aura une nouvelle guerre de l'information entre les zones qui résistent et la contre-information qu'imposeront les Russes."
AFP



