Ils peuvent Ă  peine bouger

Dans une prison kurde du nord syrien, des jihadistes entassés par milliers

  • PubliĂ© le 1 novembre 2019 Ă  12:23
  • ActualisĂ© le 1 novembre 2019 Ă  13:31
Des jihadistes présumés du groupe Etat islamique (EI) détenus dans une prison kurde du nord-est de la Syrie, le 26 octobre 2019 dans la province de Hassaké

DerriĂšre la lourde porte en fer, ils s'entassent par dizaines dans une Ă©troite cellule, tellement serrĂ©s qu'ils peuvent Ă  peine bouger, visage Ă©maciĂ© et corps dĂ©charnĂ© dans leur uniforme orange de prisonnier. Hommes, adultes mais aussi mineurs, de diverses nationalitĂ©s --dont des Français, Belges, Marocains...--: tous sont accusĂ©s d'ĂȘtre des jihadistes du groupe Etat islamique (EI) qui faisaient encore rĂ©gner la terreur il y a moins d'un an dans des rĂ©gions de Syrie. Une Ă©quipe de l'AFP a obtenu un accĂšs exceptionnel Ă  cette prison tenue par des combattants kurdes restĂ©s maĂźtres de secteurs du nord-est syrien.

Dans le poste de surveillance, un gardien a les yeux rivĂ©s sur les Ă©crans des camĂ©ras qui filment en permanence les prisonniers dans leurs cellules. Partout, on y voit des hommes allongĂ©s et recroquevillĂ©s sur des matelas Ă  mĂȘme le sol, parfois torse nu, en quĂȘte d'un peu d'air en s'Ă©ventant avec des bouts de cartons.

Située dans la province de Hassaké frontaliÚre de la Turquie, la prison abrite prÚs de 5.000 détenus, dont des dizaines d'enfants. Il y a parmi eux des Français, des Allemands, des Belges ou des Britanniques --les autorités de la prison ne donnent pas leur nombre.

Selon le directeur de la prison, il y a aussi des détenus "des Etats-Unis", toujours là malgré les appels répétés du président Donald Trump aux Européens à rapatrier leurs propres ressortissants. La plupart des prisonniers sont Irakiens ou Syriens, et parmi les détenus arabes figurent des Tunisiens, des Marocains et des Saoudiens.

- 1.500 blessés et malades -

Avec le chaos sécuritaire provoqué par la récente offensive turque contre les forces kurdes du nord syrien, le sort des milliers de prisonniers jihadistes a ravivé les inquiétudes des Occidentaux, qui craignent un retour dans leur pays d'origine: focalisées sur les combats, les forces kurdes avertissent que les portes de leurs prisons pourraient bien s'ébranler un jour.

"Les prisonniers n'ont aucun lien avec l'extérieur. Ils ne voient le soleil que s'ils sont transférés vers l'infirmerie", explique le directeur de la prison, qui se présente sous le pseudonyme de Serhat.

L'infirmerie de la prison accueille plus de 300 blessés ou amputés, les plus gravement touchés lors des batailles sanglantes pour défendre le "califat", qui a fini par s'effondrer en mars sous les coups des forces kurdes appuyées par la coalition internationale emmenée par Washington.

Certains ont des bandages autour du crùne, au bras, ou à la jambe. D'autres s'appuient sur des béquilles ou se déplacent en fauteuil roulant. Il y au total dans la prison environ 1.500 blessés ou malades, dont une cinquantaine de cas d'hépatite et deux prisonniers atteints du sida, selon le directeur.

Avant d'accéder à l'infirmerie, une vaste piÚce soutenue par de massifs piliers en béton, l'équipe de l'AFP doit mettre un masque médical. Pour se protéger des infections mais aussi de l'odeur pestilentielle qui envahit l'air malgré de gros ventilateurs.

Dans leurs cellules, les jihadistes passent leur temps comme ils peuvent, allongés sur des matelas en mousse, chapelet à la main. Des latrines sont dissimulées dans un coin, derriÚre une bùche en plastique.

- Tentative de mutinerie -

"Je veux quitter cette prison, retourner dans ma famille", dit Aseel Mathan, un Britannique de 22 ans, que l'AFP a pu interroger samedi. Originaire du Pays de Galles, il affirme ĂȘtre arrivĂ© Ă  17 ans au Moyen-Orient. Selon son rĂ©cit, il a d'abord rejoint son grand frĂšre Nasser Ă  Mossoul, un ancien bastion de l'EI en Irak. A la mort de ce proche, il est parti Ă  Raqa, l'autre grand fief jihadiste de l'Ă©poque, dans le nord syrien. "Je veux rentrer en Grande-Bretagne", rĂ©pĂšte-t-il.

Aujourd'hui, quelque 12.000 jihadistes de l'EI, des Syriens, des Irakiens mais aussi 2.500 à 3.000 étrangers originaires de 54 pays sont détenus par les forces kurdes, dans plusieurs centres de détention.

La prison de Hassaké accueille surtout des irréductibles restés avec l'organisation ultraradicale jusqu'aux derniÚres heures à Baghouz, ultime bastion dont la chute a sonné le glas du "califat". Un garde hésite à ouvrir le mouchard d'une cellule. "Ceux-là sont dangereux", dit-il.

Il y a environ un mois, raconte le directeur, des prisonniers ont tenté de lancer une mutinerie en faisant croire qu'un des leurs était malade. Les gardes sont entrés mais ont réussi à contenir l'attaque des détenus.

Parfois, dit-il, des jihadistes en cavale "s'approchent de la prison et ouvrent le feu, pour montrer aux détenus qu'ils sont toujours là". Washington a reconnu que plus de 100 prisonniers du groupe jihadiste s'étaient échappés depuis le lancement de l'opération turque en Syrie, le 9 octobre.

- "Seul maintenant" -

Dans la prison de HassakĂ©, des dizaines de garçons parfois Ă  peine adolescents ont Ă©tĂ© mis dans la mĂȘme cellule: ce sont des "lionceaux du califat", le nom donnĂ© par la propagande de l'EI aux enfants du groupe. Seul adulte avec eux, un chirurgien orthopĂ©dique fait prisonnier dans la rĂ©gion de Baghouz.

Khaled, originaire d'Asie centrale, sort la tĂȘte de la lucarne de sa cellule pour observer les visiteurs, souriant au garde qui lui demande de calmer ses camarades aussi curieux que lui. "Reculez!", lance l'orphelin de neuf ans aux autres enfants.

DerriĂšre lui, un adolescent tunisien de 13 ans dit vouloir rentrer dans son pays. "Je suis seul maintenant, j'attends de sortir", assure-t-il. Lui aussi est orphelin, aprĂšs avoir perdu sa famille dans un bombardement.

Bassem Abdel Azim, 42 ans, est blessĂ© Ă  la jambe. Egypto-NĂ©erlandais, il faisait partie des irrĂ©ductibles de Baghouz. Il raconte ĂȘtre venu en Syrie avec sa femme qui "ne savait pas" oĂč il la conduisait.

"J'ai peur qu'elle soit punie. Ce n'est pas sa faute, c'est la mienne", assure ce pÚre de cinq enfants, dont l'aßné à 11 ans et qui a perdu toute trace de sa famille. "J'espÚre revoir ma femme, dit-il. AprÚs ils peuvent me pendre".

AFP

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