Dix ans aprĂšs, la lente reconstruction des survivants et proches de victimes du 13-Novembre

  • PubliĂ© le 13 novembre 2025 Ă  06:34
  • ActualisĂ© le 13 novembre 2025 Ă  06:39
 De nombreuses personnes rendent hommage aux victimes des attentats. Le soir du 13 novembre 2015, des commandos du groupe État islamique (EI) ont menĂ© une vague coordonnĂ©e d’attentats Ă  Saint-Denis et Paris, tuant 130 personnes, blessant des centaines d’au Photo AFP / Ludovic Marin

Le soir du 13 novembre 2015, leur vie a basculĂ©. Éva et Bilal ont Ă©tĂ© griĂšvement blessĂ©s. StĂ©phane, Éric, AurĂ©lie, Sophie ont perdu un fils, une fille, un compagnon, un pĂšre. Une dĂ©cennie aprĂšs ces attentats, les plus meurtriers jamais commis en France, ils se confient.

"J’ai une Ă©norme cicatrice au bras", dĂ©crit Éva, 35 ans, pull rouge Ă  manches longues sur les Ă©paules. L’étĂ©, la Parisienne sent les regards "inquisiteurs" et a songĂ© Ă  la chirurgie rĂ©paratrice, mais "sur les peaux noires, c’est un peu compliquĂ©". "Ça fait dix ans, elle fait aussi partie de moi", juge la trentenaire, qui raconte publiquement son histoire pour la premiĂšre fois.

Le vendredi 13 novembre 2015, Éva fĂȘte l’anniversaire de sa meilleure amie au bar La Belle Équipe. Elle fume en terrasse avec trois copines lorsque les jihadistes sĂšment la mort. Le souvenir du "silence effroyable" entre les deux rafales est toujours prĂ©sent. Les commandos du groupe État islamique abattent 21 personnes, dont leur ami, Victor Muñoz. Elle prend "entre 4 et 5" balles sur la partie gauche du corps, son pied notamment est touchĂ©, sa jambe amputĂ©e en dessous du genou. Aujourd’hui, Éva, qui porte une prothĂšse, va "plutĂŽt bien", mĂȘme si "la vie n’est pas facile tous les jours". "C’est compliquĂ© d’avoir confiance en son corps, en soi, aussi bien pour le travail que pour trouver quelqu’un", explique cette jeune femme qui suit une formation pour un projet d’entrepreneuriat au SĂ©nĂ©gal. Elle retourne boire des verres en terrasse. Mais "plus jamais de dos".

- "Elle nous hante tout le temps" -

L’AFP s’est entretenue avec une dizaine de rescapĂ©s ou proches de victimes de ces attentats qui ont fait en tout 132 morts et des centaines de blessĂ©s prĂšs du Stade de France Ă  Saint-Denis (rĂ©gion parisienne), sur les terrasses, et au Bataclan Ă  Paris, dont deux suicides de rescapĂ©s de la salle de concert, emportĂ©s par de profondes blessures psychiques. Pour se reconstruire, certains ont trouvĂ© refuge dans l’écriture, ont tĂ©moignĂ© dans des Ă©coles, des liens entre victimes se sont tissĂ©s. Souvent, ils apprĂ©hendent la date anniversaire. "Elle nous hante tout le temps", explique Bilal Mokono, prĂ©cisant avoir "toujours trĂšs mal dormi" depuis ce soir-lĂ . BlessĂ© par un kamikaze prĂšs du Stade de France, ce quinquagĂ©naire reçoit chez lui, en banlieue parisienne, dans son fauteuil roulant. Il raconte avoir perdu l’usage de ses jambes aprĂšs l’attentat, car son "cerveau ne reconnaĂźt plus" qu’il a des jambes, "comme un appareil connectĂ©, la connexion Internet s’est barrĂ©e". Il n’entend toujours "plus rien" de l’oreille gauche, avec un bras droit "toujours trĂšs fragilisĂ©".

Au Stade de France, la seule personne tuĂ©e s’appelait Manuel Dias, 63 ans. "Je trouve que c’est important de marquer les dix ans", tĂ©moigne sa fille, Sophie Dias. "L’absence est lĂ  tous les jours et la difficultĂ©, on la vit au quotidien. Et ça, il ne faut vraiment pas l’oublier", exhorte celle qui parle longuement de ce "papa unique". "Je suis encore trĂšs fragile", confie la quadragĂ©naire, pour qui il est "impossible de prendre les transports en commun, de se rendre au cinĂ©ma par exemple, de manger sur une terrasse". Vous avez peur que votre pĂšre soit oubliĂ© ? "ComplĂštement", rĂ©pond-elle, sans hĂ©siter.

À l’inverse, Fabien Petit, beau-frĂšre de Nicolas Degenhardt, fauchĂ© Ă  37 ans par 13 balles de fusils d’assaut sur la terrasse de la Bonne BiĂšre, comme quatre autres personnes, anticipe l’oubli. "On ne va pas vivre que sur le 13 novembre", estime-t-il, Ă©voquant notamment "plein d’actes de barbarie" qui se sont dĂ©roulĂ©s depuis en France. Fabien pense aller "mieux", mĂȘme si "les larmes" montent en parlant de ce drame. "On a Ă©tĂ© suivis par un psychologue, psychiatre, pour moi. Il y a un moment donnĂ©, ça n’allait pas du tout, j’avais des idĂ©es noires", se remĂ©more-t-il. "Le procĂšs nous a fait du bien aussi."

- "Ma petite fille ne connaĂźtra jamais son pĂšre" -

Les dix mois de procĂšs, en 2021-2022, aboutissant notamment Ă  la condamnation Ă  la perpĂ©tuitĂ© incompressible de Salah Abdeslam, seul membre vivant des commandos, AurĂ©lie Silvestre les a racontĂ©s de maniĂšre "assez intime" dans DĂ©plier le cƓur (Éditions du Seuil), son deuxiĂšme livre sur le 13-Novembre. Son compagnon, Matthieu Giroud, a Ă©tĂ© tuĂ© au Bataclan, comme 89 autres personnes. "Quand on est impactĂ© par un attentat, il y a une dĂ©flagration qui est telle que tout s’envole. J’ai l’impression qu’écrire, ça me permet de rĂ©cupĂ©rer un peu les dĂ©bris et de les mettre ensemble", dĂ©veloppe-t-elle. "Dans les circonstances qui sont les miennes, je vais bien, je vais trĂšs bien. AprĂšs, ce n’est Ă©videmment pas simple. J’élĂšve seule deux enfants dont le pĂšre a Ă©tĂ© assassinĂ©", assĂšne-t-elle, le regard vif. "Ma petite fille qui est lĂ  ne le connaĂźtra jamais, puisqu’il est mort quand j’étais enceinte d’elle", ajoute AurĂ©lie. Ce soir d’octobre, dans une librairie du 13e arrondissement, elle est venue assister au lancement du livre d’Arthur DĂ©nouveaux, Vivre aprĂšs le Bataclan (Éditions Cerf). Aujourd’hui, "80 % de mon paysage affectif est composĂ© de victimes", avec qui "on peut rire trĂšs fort, on peut pleurer aussi", souligne AurĂ©lie. Elle raconte son histoire dans des classes et en prison.

- "Vous serez seul" -

Quand la fille d’Éric Ouzounian, Lola, 17 ans, est morte au Bataclan, un psy l’a prĂ©venu : "vous ne ferez pas le deuil et vous serez seul". "Dix ans aprĂšs, c’est toujours aussi juste. On ne fait pas le deuil d’un enfant", constate, autour d’un cafĂ© et d’une cigarette, ce journaliste de 60 ans. En 2015, il avait refusĂ© de se rendre Ă  l’hommage aux Invalides, critiquant, dans une tribune au Huffington Post, la "lourde responsabilitĂ©" de l’État, qui avait laissĂ© se dĂ©velopper, affirmait-il, des "zones de dĂ©sespoir", des "quartiers sensibles", d’oĂč Ă©taient originaires certains jihadistes, et menĂ© une "politique dĂ©sastreuse" au Moyen-Orient, notamment en Syrie. Aujourd’hui, il estime que les conditions de vie dans ces quartiers ne se sont pas amĂ©liorĂ©es et leur population "toujours" aussi "mĂ©prisĂ©e par la RĂ©publique".

RescapĂ© de La Belle Équipe, Roman tĂ©moigne notamment pour que, dans la mĂ©moire collective, on ne se souvienne pas uniquement du massacre au Bataclan. "Parfois, on se sent oubliĂ©", regrette cet homme de 34 ans, assis en terrasse d’un cafĂ© parisien. Le programme de recherche "13-Novembre" a mis en Ă©vidence un "effondrement des rĂ©fĂ©rences au Stade de France et aux terrasses" comme lieux des attentats du 13-Novembre identifiĂ©s par la population française, au fil des annĂ©es, rappelle l’historien Denis Peschanski et le Bataclan reste le lieu le plus citĂ©, malgrĂ© une forte baisse. Quelques annĂ©es aprĂšs, Roman, lui, est devenu prof. "Je me suis dit qu’enseigner l’histoire-gĂ©ographie, c’était important pour ne pas que ça se reproduise et transmettre aux jeunes ce qui nous est arrivĂ© aussi Ă  travers l’Histoire."

- Un jeudi d’hommages aux victimes des attentats du 13-Novembre -

Mercredi et jeudi soir, la Tour Eiffel s’illumine en bleu, blanc et rouge dĂšs la tombĂ©e de la nuit.

Une journĂ©e d’hommages aux victimes est organisĂ©e Ă  Paris et au Stade de France Ă  Saint-Denis, dix ans aprĂšs les attentats jihadistes du 13-Novembre, qui ont durablement marquĂ© le pays et fait 132 morts et plus de 350 blessĂ©s.

En fin de journĂ©e, Ă  partir de 18 heures, sera inaugurĂ© en plein cƓur de Paris le Jardin du 13 novembre 2015, lors d’une cĂ©rĂ©monie "dĂ©diĂ©e aux 132 morts, aux survivants, aux familles et Ă  tous ceux qui se sont tenus Ă  leurs cĂŽtĂ©s", a indiquĂ© la mairie de la capitale. Le chef de l’État Emmanuel Macron, la maire Anne Hidalgo ainsi que le prĂ©sident de l’association 13onze15 Philippe Duperron prononceront un discours lors de cette cĂ©rĂ©monie.

- Emmanuel Macron se rendra à chaque commémoration -

La journĂ©e commencera par un hommage rendu Ă  Manuel Dias, premiĂšre victime des jihadistes, et aux blessĂ©s de l’attaque du Stade de France, Ă  Saint-Denis, Ă  11h30. À Paris, des cĂ©rĂ©monies d’hommage aux victimes se dĂ©rouleront successivement sur chaque lieu des attentats, et pour commencer prĂšs des terrasses endeuillĂ©es de l’est de la capitale : Ă  12h30 devant le Petit-Cambodge et le Carillon, Ă  13 heures Ă  la Bonne BiĂšre, Ă  13h30 au Comptoir Voltaire, Ă  13h50 Ă  La Belle Équipe. La halte devant Le Bataclan, la salle de spectacle oĂč 90 personnes ont Ă©tĂ© assassinĂ©es le soir du 13 novembre 2015, est prĂ©vue Ă  14h30. Les commĂ©morations seront retransmises en direct place de la RĂ©publique, oĂč la mairie de Paris a appelĂ© les Parisiens "Ă  faire un geste commĂ©moratif en dĂ©posant une bougie, une fleur ou un mot" depuis le 8 novembre. Emmanuel Macron se rendra Ă  chacune de ces commĂ©morations "pour un moment de recueillement aux cĂŽtĂ©s des familles et des associations de victimes", a annoncĂ© l’ÉlysĂ©e.

AFP

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