L'ancienne patronne emblĂ©matique d'Areva, Anne Lauvergeon, a Ă©tĂ© mise en examen vendredi par les juges d'instruction dans l'une des enquĂȘtes sur les zones d'ombre entourant le rachat d'Uramin en 2007, une opĂ©ration qui s'est avĂ©rĂ©e dĂ©sastreuse pour le gĂ©ant français du nuclĂ©aire.
Celle que l'on surnommait "Atomic Anne", qui a dirigé le groupe de 2001 à 2011, a été mise en examen pour présentation et publication de comptes inexacts et diffusion de fausses informations, a indiqué une source judiciaire aprÚs l'audition qui a duré toute la journée.
Anne Lauvergeon a en revanche été placée sous le statut moins défavorable de témoin assisté pour le délit d'abus de pouvoirs.
Deux informations judiciaires sont ouvertes depuis 2014, l'une sur le rachat désastreux de la société miniÚre canadienne Uramin, qui ambitionnait d'exploiter trois gisements d'uranium en Namibie, Afrique du Sud et Centrafrique, l'autre sur la présentation des comptes du groupe Areva en 2010 et 2011, les années précédentes étant couvertes par la prescription.
C'est dans cette seconde enquĂȘte qu'Ă©tait entendue Anne Lauvergeon.
Dans la premiĂšre enquĂȘte, son mari, Olivier Fric, soupçonnĂ© d'avoir spĂ©culĂ© sur le titre d'Uramin au moment du rachat en profitant d'informations privilĂ©giĂ©es et d'en avoir tirĂ© prĂšs de 300.000 euros de bĂ©nĂ©fice, a Ă©tĂ© mis en examen pour dĂ©lit d'initiĂ©s le 23 mars.
- 'Pertes considérables' -
ConcrĂštement, les juges d'instruction veulent Ă©tablir si Anne Lauvergeon a fait pression pour minimiser les provisions pour dĂ©prĂ©ciations d'actifs dans les comptes du groupe, afin de retarder la dĂ©couverte de l'effondrement de la valeur d'Uramin et masquer cet Ă©chec alors qu'elle tentait de se maintenir Ă la tĂȘte du groupe.
Fin 2011, aprÚs le départ de sa patronne, sur fond de mauvaises relations avec le chef de l'Etat de l'époque Nicolas Sarkozy, Areva avait fini par annoncer de lourdes pertes et une provision de 1,5 milliard d'euros sur la valeur d'Uramin.
Dans sa dĂ©nonciation Ă la justice, dĂ©but 2014, la Cour des comptes estimait que des Ă©lĂ©ments avaient Ă©tĂ© dissimulĂ©s au conseil de surveillance et aux tutelles reprĂ©sentant l'Etat, le principal actionnaire d'Areva. "Ces manoeuvres, contraires Ă l'intĂ©rĂȘt d'Areva et ayant engendrĂ© des pertes considĂ©rables pour le groupe, auraient eu pour objet de permettre Ă Anne Lauvergeon de tenter de se maintenir Ă la tĂȘte du groupe", relevaient les magistrats financiers, selon des Ă©lĂ©ments de ce rapport dont l'AFP a eu connaissance.
"Les comptes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s le 27 juillet 2011 par le nouveau directoire (aprĂšs son dĂ©part, ndlr). Ils ne comportent aucune nouvelle dĂ©prĂ©ciation d'actifs", s'est dĂ©fendue Mme Lauvergeon dans une interview au Parisien le 30 mars.
Entre les pertes liées à Uramin, la catastrophe de Fukushima et d'autres difficultés liées notamment à la construction d'un EPR en Finlande, Areva s'est retrouvé dans le rouge en 2015 pour la cinquiÚme année consécutive. Le groupe va bénéficier d'un renflouement massif de 5 milliards d'euros de l'Etat français, mais il va supprimer 6.000 postes dans le monde, dont 3.000 à 4.000 en France.
Anne Lauvergeon a aussi mis en avant la catastrophe de Fukushima, survenue en mars 2011, et ses conséquences sur les cours de l'uranium, pour expliquer l'effondrement d'Uramin.
Mais, pour plusieurs gĂ©ologues et cadres d'Areva entendus dans l'enquĂȘte, l'opĂ©ration suscitait de nombreuses rĂ©serves, notamment en raison des difficultĂ©s Ă exploiter les sites.
Les enquĂȘteurs s'interrogent notamment sur le rĂŽle central d'un financier belge, Daniel Wouters, recrutĂ© en 2006 par Areva, et les possibles liens d'une des sociĂ©tĂ©s qu'il dirigeait, Swala, avec les actionnaires d'Uramin au moment de son rachat. Sa proximitĂ© avec Olivier Fric est Ă©galement Ă©tudiĂ©e dans le cadre de l'enquĂȘte.
La justice française a adressé une demande d'entraide judiciaire au Canada pour tenter de retracer une partie des fonds engloutis par le rachat d'Uramin et déterminer s'ils ont pu donner lieu au versement de pots-de-vin.
Par Yannick PASQUET - © 2016 AFP

