Commémoration de l'armistice de la Première guerre mondiale

"Les Réunionnais sont partis défendre le paradis, ils ont connu l'enfer"

  • Publié le 11 novembre 2013 à 05:00
Militaire

Ce 11 novembre 2013 sera commémoré le 95e anniversaire de l'armistice de 1918, ayant mis fin aux quatre années de la "Grande Guerre", à laquelle ont participé plus de 14 000 Réunionnais. Quatre années qui ont bouleversé l'Europe, mais aussi l'histoire de l'île et les esprits d'une population ayant perdu près de 3000 de ses enfants dans les combats. Pour l'historien Sudel Fuma, "les Réunionnais sont partis défendre le paradis, mais ils ont connu l'enfer".

De l’histoire de La Réunion, on connaît l’esclavage et l’engagisme, sur lesquels beaucoup de travaux ont été menés. Ou encore des épisodes marquants de la Seconde guerre mondiale, comme la libération de l’île par le contre-torpilleur Léopard des Forces françaises libres. Mais il est une période marquante sur laquelle peu d’historiens se sont encore penchés : la Première guerre mondiale, dont le 95e anniversaire de l’armistice sera commémoré ce lundi dans plusieurs communes.

Ces quatre années de guerre ont pourtant profondément marqué l’histoire de La Réunion, dans sa chair, dans son économie et dans la représentation qu’elle se faisait alors d’une France fantasmée. Comme le souligne l’historien Sudel Fuma, "les Réunionnais sont partis défendre le paradis, mais ils ont connu l’enfer".

Le 4 août 1914, le tocsin sonne dans toutes les communes de l’île, qui est encore une colonie. Fraîchement nommé, le gouverneur Alfred Duprat lance l’ordre de mobilisation : "Les hommes de la réserve et de l’armée territoriale nés à La Réunion ayant servi dans l’armée active et appartenant aux classes 1892 et suivantes sont rappelés sous les drapeaux."

Une mobilisation massive

Les Réunionnais répondront massivement à l’appel. "Les chiffres varient, mais on estime que 14 423 hommes ont été mobilisés, soit près de 10 % de la population de l’époque, ce qui est énorme", raconte Sudel Fuma. Pour la plupart d’entre eux, il s’agissait de "saisir l’occasion de sortir de l’île", explique l’historien, soulignant que ces jeunes hommes "n’avaient pas vraiment conscience de ce qu’est la guerre".

Il poursuit : "On dit qu’il y avait un fort sentiment patriotique, mais ce n’est pas vrai. A l’époque, La Réunion est encore une île perdue au milieu de l’océan Indien. La patrie, c’est une vague idée, mais ça ne représente pas grand-chose. La France est un mythe, c’est l’Eldorado."

Car au moment où la guerre éclate en Europe, la colonie réunionnaise est en proie aux pires difficultés. "La situation sociale est très difficile, sans compter les maladies avec le paludisme qui devient endémique. En 1863, l’île connaît une profonde crise sucrière qui va entraîner une récession économique jusqu’au début de la guerre. La population passe de 182 700 habitants en 1870 à 170 000 en 1900", relate Sudel Fuma.

La guerre fait peur, attise les craintes d’un débarquement allemand, mais elle est souvent vue comme une opportunité. "Les hommes partent aussi parce qu’ils ont faim. Au sein de l’armée, leur habillement est assuré alors que beaucoup vivent encore en guenilles. Ils reçoivent du matériel, des chaussures et surtout à manger", explique l’historien.

Comme sur le sol hexagonal, c’est un peu la fleur au fsuil que les Réunionnais embarquent donc sur le paquebot des Messageries maritimes qui les emmène d’abord jusqu’à Madagascar, où beaucoup resteront durant toute la guerre. Il faut défendre la base de Diego Suarez et protéger la Grande Île, qui occupe une zone stratégique dans l’océan Indien où croisent plusieurs navires allemands.

Au front en première ligne

Mais d’autres rejoindront le front, le vrai, en Europe. Comme tous les soldats venus des colonies, ils sont intégrés au corps des tirailleurs sénégalais et "découvrent qu’ils ne sont pas considérés comme des Français en France", selon Sudel Fuma. "Ils découvrent surtout la réalité de la guerre, du climat et en reviendront malades et désarçonnés", poursuit-il. D’autant plus qu’ils sont généralement envoyés en première ligne. Au total, on estime que près de 3000 Réunionnais ont péri dans les combats.

Pendant que ses enfants constituent une partie de la chair à canon des batailles des Ardennes, La Réunion vit dans l’angoisse. Les nouvelles sont rares, tout comme l’approvisionnement que la métropole en guerre ne peut plus fournir. Dans ce marasme, la seule bonne nouvelle vient de la production de sucre qui connaît une explosion grâce au conflit, la France ne pouvant plus disposer de ses terres betteravières où ont lieux les combats. La production réunionnaise devient industrielle et passe de 20 000 tonnes en 1900 à 37 000 tonnes en 1918.

Le 11 novembre 1918, si l’armistice signé à Versailles est accueilli avec ferveur et soulagement dans l’île, il ne marque pas pour autant la fin des malheurs réunionnais. Le 31 mars 1919, le navire la Madonna ramène 1603 permissionnaires sur l’île. Mais avec eux débarque aussi au port de la Pointe-des-Galets le virus de la grippe espagnole, qui sera responsable de plus de 5000 morts, soit davantage que la Grande Guerre.

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1 Commentaires
Piff50
Piff50
12 ans

Les réunionnais ont été aussi sur le front de la bataille de la Somme. Mon père était de ceux-là. Il ne nous a jamais trop parlé de son expérience de cette terrible guerre, sûrement par pudeur ou par réserve. Parfois il exprimait des noms de villes : Amiens, Doullens, Bapaume...Ils ont rejoint ensuite le front des Ardennes. Revenu en 1919, opéré de l'estomac (il avait sûrement respiré des gaz) il a fait front à l'épidémie de grippe espagnole là où nous habitions (La Chaloupe St-Leu et Trois bassins) en allant ici et là distribuer les tisanes. J'irai ce jour lui rendre hommage, à Cherbourg (Manche) où j'habite, en assistant aux cérémonies patriotiques.
Capitaine de vaisseau (H) Charles-Henri Piffarelly