L’argumentaire extrait du dossier initial d’enquête introduit en ces termes le projet : « Le Parc du Volcan prendra appui sur la fréquentation importante de la Cité du Volcan et du Piton de la Fournaise et permettra d’attirer un public large de visiteurs à Bourg Murat. Ainsi le Parc du Volcan a été pensé comme un équipement destiné à dynamiser l’activité culturelle et de loisirs sur le secteur de la Plaine des Cafres, ainsi que l’économie de la commune. » Qu’en est-il exactement : comment a-t-il évolué en quelques années, vers quelles perspectives ouvre-t-il dans sa configuration actuelle, quelles sont les principales objections exprimées par ses opposants ? (Photo photo Sly/www.imazpress.com)
Avec EELVR, nous vous proposons dans un premier temps une lecture commentée des différentes contributions (SREPEN, ARS, CDPENAF, Domoun La Plaine, Reporterre, MRAe), puis de manière complémentaire nous évoquerons la position d’EELVR, avec un éclairage anthropologique et historique, sur les Hauts dans l’univers créole réunionnais, les spécificités de notre éco-système et les représentations sur la place de la montagne dans notre environnement actuel.
- Lecture commentée de diverses contributions -
Sur le volet environnemental, la SREPEN se demande comment limiter l’impact carbone sachant que l’imperméabilisation des sols va concerner 3900m2 à Bourg Murat, qu’il faudra 20000 m3 d’eau pour l’arrosage (chantier et entretien) et qu’il s’agit « d’une activité non vitale pour la population à comparer à une usine de potabilisation » ? Les écologistes que nous sommes rappellent que la loi Zéro Artificialisation Nette en préparation prévoit 50% de réduction de l'artificialisation des sols d'ici à 2030, 100% d'ici à 2050. D’autre part, les montagnes (qui occupent une majeure partie de notre territoire) se réchauffent deux fois plus vite que les zones littorales et, dans notre île, les conséquences du dérèglement climatique sont déjà bien visibles : effondrements, sécheresses, incendies, crues, etc.
Plus globalement, nous réaffirmons que cette question des risques se pose à l’échelle mondiale et que nous n’avons d’autre alternative que de réduire le réchauffement de base en limitant les émissions excessives de gaz à effet de serre et d’évoluer vers une planète neutre en carbone. Parce que les populations doivent s’adapter à un climat qui se réchauffe et à des événements extrêmes plus probables, il nous revient de développer à l’échelle de chaque territoire des stratégies pour atténuer les impacts.
Dans son rapport, la SREPEN dénonce également « une absence de vision globale et d’intégration des tyroliennes qui reste toujours envisagée alors que sa programmation n’est pas précisée et que les emprises de dépose seront bien réalisées dans le cadre du projet. » Pour preuve, le tracé des tyroliennes est bien présent sur le plan de masse général, malgré l’avis défavorable de la CDPENAF au motif que « l’absence de cohérence entre l’étude d’impact, les plans de masse fournis et l’articulation avec le futur parc du Volcan ne permet pas de confirmer la bonne intégration paysagère du projet, malgré les bonnes intentions décrites dans l’étude d’impact ». Au sujet de ces 10 tyroliennes ‘récréatives’ situées à l’intérieur du parc du volcan, l’ARS observe que « les effets cumulés sur l’environnement et la santé sont à prendre en compte ».
Face à de telles évidences qui s’imposent à tous, la SREPEN suggère « à la Commune de bâtir une société beaucoup plus sobre en économisant l’argent public pour des investissements bas-carbone », d’opter pour la réalisation d’ « un parc de randonnée mettant en valeur les espèces endémiques du site avec un parcours pédagogique », également « de restituer à l’agriculture les espaces déjà défrichés pour permettre à des jeunes agriculteurs, à la recherche de foncier pour se lancer en agriculture biologique, de disposer d’une petite parcelle pour contribuer à notre souveraineté alimentaire. »
• Par ailleurs, l’ARS alerte quant à elle sur les risques sanitaires pour les riverains des habitations environnantes, lors de la phase de travaux et lors de la phase d’exploitation : bruits (« l’impact sonore du projet risque de le rendre non conforme à la réglementation notamment des bruits de voisinage »), qualité de l’air et poussières, pollution, sentiment d’intrusion dans un cadre habituellement calme, risques de dépôts sauvages, trafic routier (hausse prévisible de la circulation allant de 35 % à 74 % sur le chemin du Champ de Foire), animaux errants (rats notamment), etc.
A cela vont inévitablement s’ajouter, de notre point de vue en tant qu’écologistes, les effets de la fatigue de la route et des embouteillages (combien d’heures pour venir du Nord ?), les difficultés de stationnement (730 places prévues pour une moyenne d’environ 960 visiteurs/jour), les aléas climatiques (évolution du temps et de la température dans les Hauts en l’espace d’une journée, car la montagne est un territoire fragile soumis à de fortes variations).
• Dans sa contribution, Domoun La Plaine dénonce de son côté un projet qui induira une « modification significative du caractère rural de cette partie de la Commune du Tampon ». De leur point de vue, en fait ce parc d’attractions « a toutes les apparences d’un puissant générateur de déficits publics » et il n’est absolument pas « indispensable, en ces temps de sobriété. »
Sur les impacts environnementaux, Domoun La Plaine rappelle les atouts de cette région de la Plaine des Cafres et de Bourg Murat, en particulier ses paysages, sa tradition pastorale, ses espaces naturels, son climat vivifiant, le calme et l’air pur. En somme, « tout ce que ce projet inutile, écocide et budgétivore veut ruiner » en le convertissant en ‘un haut lieu du divertissement sur l’île’ (pour reprendre les termes du Maître d’Ouvrage), « surtout par le saccage des milieux et la défiguration des paysages uniques. »
Saccage, car « la zone concernée par le projet est incluse dans une Zone Naturelle d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF) » et, plus grave, les études menées pour définir l’état et l’importance de la faune et de la flore de cette zone ne sont pas pris en compte alors que « l’impact pourtant est concret sur les espèces présentes dans cette zone ». La préservation de ces espèces protégées étant essentielle, « ce projet va à l’encontre de la stratégie nationale Biodiversité 2030 mise en place par le Ministère de la Transition écologique » qui parle de ‘structurer une organisation efficace pour la mise en œuvre transversale de la stratégie sur la biodiversité’ et de ‘protéger la nature et inverser la tendance à la dégradation des écosystèmes’.
Concernant la stratégie politique utilisée par la Commune du Tampon, Domoun La Plaine fustige l’argument de ‘création d’emplois ‘ qualifié de poncif et qui de leur avis « ne trompe que ceux qui ont envie d’y croire » car « ce projet a toutes les caractéristiques d’un projet voué à la catastrophe économique et financière après avoir été une catastrophe écologique et sociale. » Ce à quoi, Monique Bénard, élue d’opposition à la mairie, réplique dans un article de REPORTERRE en pointant « des emplois précaires et à court terme ! »
• Dans son avis, la MRAe est claire et affirmative : sur le plan environnemental, « le projet engendre une imperméabilisation en raison de l’aménagement des cheminements, des zones de pique-nique, de restauration et des différents spots d’activités de loisirs. » Et, pour réduire les incidences sur le milieu naturel, garantir la séquence ‘éviter, réduire, compenser’ (ERC) issue de la loi de 2016 et éviter tout impact irréversible notamment sur le milieu naturel patrimonial et protégé, « l’Ae demande au porteur de projet de préciser et renforcer la coordination environnementale prévue avec des spécialistes en biodiversité (MA1, approche plus transversale et suivi élargi, fréquence régulière, durée des interventions, contrôle, mesures correctives…) et d’en estimer le coût global. »
Sur le caractère ‘festif’ du projet (comme le souhaite le Maître d’Ouvrage), la MRAe alerte sur le « caractère fortement aléatoire et imprévisible des événements et des niveaux d’émissions sonores » et recommande un suivi de l’impact acoustique.
- Position d’Europe Ecologie Les Verts Réunion
• Si dans le dossier initial d’Autorisation Environnementale il est bien précisé que « le Parc du Volcan a été pensé comme un équipement destiné à dynamiser l’activité culturelle et de loisirs sur le secteur de la Plaine des Cafres, ainsi que l’économie de la commune », il n’en demeure pas moins au final que ce projet, situé à proximité du Parc national et du bien inscrit au Patrimoine de l’Humanité, apparaît pour EELVR :
• Comme un projet incompatible avec la préservation des milieux de vie environnants et de défiguration de paysages uniques ;
• Comme un projet de marchandisation des espaces naturels par leur artificialisation hors contexte de la transition écologique, non respectueux de la santé, voire totalement inutile.
De plus, dans une visée globale et systémique, il va à l’opposé des impératifs de justice sociale, de solidarité et sobriété que prône le rapport du GIEC adopté à l’unanimité face à la crise climatique, dont les conséquences sont -on le sait maintenant- inévitables et irréversibles.
Il convient de rappeler que, la raison l’ayant emporté face aux évidences, le projet de départ a déjà été redimensionné comme l’atteste cet extrait de l’avis délibéré de la Mission Régionale d’Autorité environnementale de La Réunion : « Initialement prévu sur une emprise de 55 hectares, le projet a été réduit sur une aire d’étude rapprochée d’environ 23,5 ha, avec des aménagements occupant une surface de 15 ha, afin de limiter ses impacts environnementaux. Plusieurs installations d’envergure ont ainsi été abandonnées (hippodrome, centre équestre, carrière, ballon captif, espaces commerciaux…), car considérées comme non-ancrées dans ce milieu calme, rural et naturel qui caractérise le site. Les zones de risques naturels liées à la ravine du grand Bras de Pontho à l’extrémité nord-est ont été également évitées. »
Ont été conservés dans la version actuelle du projet : « des équipements tournés vers le végétal et la contemplation (un belvédère, une passerelle immersive, un chaos rocheux, deux serres géodésiques sur le thème des endémiques des « Hauts » pour sensibiliser le public à la préservation de la biodiversité, des espèces protégées et au problème de braconnage…) ». Nous estimons que, tout autant que les tyroliennes, ces éléments de justification sont totalement inadaptés aux réels besoins de réconcilier, au plus tôt et au mieux, l’homme à son cadre de vie et au contexte de son époque. Cette vision bucolique ressemble à s’y méprendre à du greenwashing. Il est encore à espérer que l’ensemble des avis défavorables rassemblés au cours de cette enquête publique finissent par ramener sur terre les derniers défenseurs d’une telle utopie.
• Dans cette contribution, EELVR s’est interrogé sur la place qu’ont les Hauts dans nos traditions, sur la spécificité de notre éco-système et son rapport ‘utilitaire’ pour la population.
La montagne occupe une place singulière dans notre histoire créole et dans nos repères. Nos représentations collectives, familiales et individuelles, sont riches d’images, de récits et de sensations. Quand on vit dans les Bas, les Hauts constituent depuis plusieurs décennies l’espace mythique de l’ailleurs, de la détente, de la liberté, des vacances. Aller en ‘changement d’air’, c’était (et ça l’est encore, fort heureusement) bénéficier de la fraîcheur des Hauts, mais également avoir la chance de véritablement lâcher prise et de pouvoir renouer avec le plaisir du temps en famille et avec les traditions.
Avec l’évolution de la modernisation, l’attrait inéluctable vers les zones urbaines et littorales, les adultes - plus que les enfants - ont éprouvé le besoin de renouer avec le milieu naturel et vivant, à la fois source de retrouvailles, de découvertes, mais aussi de bien-être et d'équilibre. Avec le temps, ce que nous qualifierions aujourd’hui d’éco-tourisme, s’est développé en devenant accessible aux scolaires (classes transplantées), aux familles d’accueil à la ferme, aux stages équestres, aux ‘colo dans les Hauts ‘, aux gîtes à thème, etc.
Pour prendre ‘de la hauteur’ sur cette question d’importance, observons qu’au regard de notre éco-système la montagne a une place indispensable dans notre territoire insulaire, volcanique et tropical. Elle détermine la démesure de nos pitons, la qualité de notre sol et de nos ravines, la faune et la flore qui vivent dans notre environnement, les conditions climatiques (ensoleillement et précipitations). En clair, elle fait partie d’un ensemble qui va des sommets aux lagons, et retour.
Mais que représente la montagne tout particulièrement pour les écologistes, à La Réunion et de manière générale ?
Ce que la montagne n’est pas :
• La montagne n’est pas un espace transformable à souhait suivant les caprices de ceux qui veulent et peuvent se l'approprier. Il nous revient de nouer un rapport sain et vertueux avec ce bien commun (comme le sont le soleil, l’eau, l’air), d'une richesse inouïe, sans lequel les vallées et les plaines n'auraient plus de raisons d'être.
• La montagne n’a rien à voir avec l'Eldorado. Dominée, asservie, exploitée, par les plus aisés avant tout, pour le plaisir et sans considération aucune, elle est préférentiellement le cadre des sports de luxe et des loisirs bruyants, néfastes pour l'environnement, tels que : le hors-piste dans la Plaine des Sables, la descente des cascades après de fortes pluies, la pratique du jet-ski sur la mare à Joncs à Cilaos, les visites en hélicoptère, etc.
• La montagne n’est pas un open-space de la consommation où il serait permis d’allumer son barbecue en forêt, de faire son marché en cueillant à loisir fleurs et fruits, de braconner (tangues et palmistes), mais une formidable occasion d’éduquer et de communiquer.
Ce qu’est la montagne :
• La montagne est un patrimoine dont il nous faut prendre soin, comme on s'occuperait de nos origines et de nos gramoun, au risque de les voir dépérir avec la progression de l’urbanisation et le réchauffement climatique, avec la raréfaction des agents forestiers, avec l’intensification du flux routier qui peut aller jusqu’à l’absurde (hordes de voitures qui prennent d’assaut nout’ chemin volcan lorsqu’une éruption est annoncée au Piton de la Fournaise).
• La montagne, régions d’élevages et d’agriculture (activités indispensables pour garantir une montagne à vivre), donne naissance à un monde de savoir-être et de savoir-faire qui se transmettent entre générations.
• La montagne doit bénéficier d’une vigilance accrue pour réguler les appétits des plus gourmands qui en artificialisant les sols aspirent à une rentabilisation des installations et des équipements de loisir, toujours plus sur dimensionnés.
Mais force est de constater que la montagne est aussi trop souvent utilisée pour son cadre de rêve pour soutenir le tout-voiture, servir de décor aux publicités des SUV, valider un théâtre de prédilection pour des courses et rallyes auto et moto. Reste à savoir comment sont accueillies ces activités extrêmes par les populations locales démunies, et ces effets agressifs sur le milieu naturel (bruit nocif pour les animaux, augmentation des émissions de GES et de la pollution, sur-fréquentation qui impacte l’écosystème, gaspillage de la ressource en énergie) ?
La montagne est aussi, il faut bien l’avouer, révélatrice des inégalités sociales. Le tourisme est globalement réservé à une classe plutôt aisée, les équipements sportifs induisent un prix de vente qui exclut les plus modestes alors qu’en parallèle ils ne bénéficient d’aucune retombée de cette industrie. La mobilité liée au tourisme a un fort impact, alors qu’elle pourrait être un vecteur de transition plus équitable : plus de transports en commun et moins d’aménagements coûteux délétères conçus sur le mode de la surconsommation, du plaisir immédiat et de la malbouffe.
En réponse à cette enquête publique sur le projet de Parc du Volcan, EELVR a opté pour un regard critique sur notre fonctionnement sociétal (en lien avec notre histoire, nos représentations forgées dans notre contexte actuel de vie et la crise climatique à laquelle nous devons faire face), dans l’optique d’inscrire sa réflexion au cœur d’une réalité globale et impérative de changement de modèle.
A notre avis, c’est parce que notre société a pris l’habitude de dévitaliser et d’instrumentaliser notre Montagne, qu’il lui est devenu possible d’envisager l’implantation de telles infrastructures contre-nature dans des sites d’une beauté et d’une valeur inestimables !
Pour ces raisons, le parti d’Europe Ecologie Les Verts de la Réunion est défavorable au projet de Parc du Volcan.
Geneviève PAYET
Secrétaire Régionale d’Europe Ecologie Les Verts