Ce mardi 20 décembre 2022 La Réunion va célébrer le 174ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Kabars, défilés, conférences... sont organisés pour commémorer cet événement majeur de l'histoire de La Réunion. Férié depuis 1983, ce jour est aussi l'occasion de faire la fête. Mais comment dénommer cette fête ? Fèt kaf ou fête réunionnaise de la liberté ? Quelle est l'appellation correcte pour dire que La Réunion dans son ensemble célèbre la liberté ? Le débat est ouvert...
Notre peuple est multiculturel. Ses racines sont arrosées par des sources venant d'Afrique, de Madagascar, d’Europe, d'Inde, de Chine... Dès lors le terme de "fèt kaf" pour parler de l'abolition de l'esclavage peut être considérer comme réducteur.
Pour l'historien Prosper Eve, il est important d'établir un consensus autour de ce débat. "Certains disent fèt kaf parce que c'est le seul évènement où les cafres sont mis en avant" estime-t-il. Mais le fait de limiter la fête réunionnaise de la liberté aux cafres est finalement réducteur, précise-t-il. Ce crime contre l'Humanité constitué par l’esclavage a concerné tout le peuple réunionnais. "Chaque communauté de l'île, à cette époque, a été libérée. Le 20 décembre est donc la libération de tous les esclaves, de ceux qui étaient asservis et de ceux qui les asservaient " analyse l'historien. "La Réunion est une île où réside tellement de métissage, c'est une population de mélange, une "population batarsité" déclare Prosper Eve, en citant Danyel Waro. Alors pourquoi réduire la célébration de la fin de l'esclavage uniquement aux cafres ?
- "Important de ne pas s'accaparer l'histoire" -
Thierry Gauliris, leader du groupe Bastèr, n'est pas tout à fait du même avis. "Il est logique que l'on parle de Fèt kaf parce que ce sont les esclaves, des Kaf, qui ont été libérés le 20 décembre 1848" dit-il. L'artiste précise que c'est à la fois "la fête des Réunionnais, puisque nous sommes descendants d'esclaves".
Il ajoute "parfois les gens ont honte de dire kaf, parce que cela signifie aussi que leurs ancêtres étaient au service des Blancs. Mais il est important de reconnaître les choses. Le chanteur souligne ensuite "il est important de ne pas s'accaparer l'histoire de cette composante de notre peuple, de ne pas chercher à la gommer". Il fait notamment référence à une décision prise au milieu des années 1980 par Auguste Legros alors maire de Saint-Denis. "Il voulait que le 20 décembre soit nommé "fête letchi" se souvient l'artiste. "L'important est de ne pas oublier ousa nou sorte, c'est un travail de mémoire, c'est une thérapie de reconnaître ces faits là" dit encore Thierry Gauliris.
Le poète Socko Lokaf est d'un avis encore plus tranché. Il insiste sur le fait que l'on doit dire Fèt kaf et souhaite démocratiser cette appellation afin de "remettre les choses dans leur contexte". Il note qu'aujourd’hui encore le terme kaf est considéré comme péjoratif. “C’est bien de faire la fête mais le lendemain, il ne faut pas oublier notre histoire, notre langue, notre maloya” déclare-t-il en regrettant que le 20 décembre soit un moment de "commémoration éphémère".
Selon Socko Lokaf "au moment où certains renient leur côté kaf et préfèrent se dénommer métisse, dire de la fèt kaf que c’est la fête réunionnaise de la liberté, c’est enlever la lumière mise sur la communauté kaf”.
Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis, préfère élargir le débat. "Que l'on dise "fèt kaf" ou "fèt 20 désanm", l'important est de commémorer l'abolition de l'esclavage, c'est un devoir de mémoire" dit-elle. Elle rappelle que "le 21 décembre 1848, lendemain du jour de l'abolition, il n'y a pas eu d'arrivée soudaine de la liberté…il y a eu et il y a toujours beaucoup de souffrance parce que la représentation du Kaf à cette époque, et encore aujourd'hui d'ailleurs, n'était pas bonne. Il faut travailler pour se défaire les stéréotypes" souligne-t-elle. "Tous les Réunionnais doivent se sentir concernés par cette fête. Nous sommes une société multiculturelle et le multiculturalisme ne veut pas dire nier nos origines, c'est le mélange des origines" commente la maire
- Ne pas faire le choix -
Certains ont de leur côté décidé de n'exclure aucune des deux expressions, à l'image de l'historien Loran Hoarau. A ses yeux, les deux appellations sont bonnes. "Fête de liberté puisque c'est une fête républicaine : c'est la seconde république qui proclame l'abolition. Fèt Kaf parce que c'est la population esclave qu'on libère. On n'a pas a faire un choix". Selon lui, imposer un choix revient "à mettre l'individu en face de sa méconnaissance de l'histoire de La Réunion et de la France".
Enfin, Reine-Claude, professeure de créole considère que le terme "fête de la libération des esclaves" est celui qui convient le mieux. "Nous fêtons la fin du système esclavagiste" insiste-t-elle. Le 20 décembre est une commémoration qui concerne tous les Réunionnais d'aujourd'hui, car "chacun d'entre nous a une part de kaf en lui" termine l'enseignante.
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