À La Réunion, plusieurs marques font le pari de créer des cosmétiques à base de produits de notre île. Qu'elles soient fabriquées sur place ou dans l'Hexagone, ces initiatives valorisent les matières premières locales. Mais entre contraintes réglementaires, manque d'infrastructure et ingrédients difficiles à obtenir, les difficultés sont nombreuses pour les entrepreneur.es du secteur. (Photos sly/www.imazpress.com)
Créer une marque de cosmétique locale n'est pas une mince affaire. À La Réunion, rares sont les gammes réellement fabriquées sur place. Plusieurs entrepreneuses, telles que Sonya Belchir, Marina Féat-Gultzgoff ou Catherine Pommier s’emploient à développer des produits naturels, ancrés dans l’île, en alliant savoir-faire artisanal, innovation et respect de l’environnement. Toutes ont un point commun : la volonté de valoriser les richesses locales, malgré des contraintes qui freinent leur développement.
- Des matières premières péi mais inaccessibles -
La Réunion regorge de trésors : géranium rosat, vétiver, curcuma, huile de coco, vanille de Bourbon, café Bourbon pointu, huiles essentielles, miel... Autant d'ingrédients prisés en cosmétique.
Mais pour les artisans, ces ressources sont bien souvent hors d'atteinte. Soit parce qu'elles sont produites en trop faible quantité, ce qui peut avoir un impact sur leur coût, soit, parce qu'elles sont directement destinées à l'exportation ou à des industries plus exclusives telles que la parfumerie.
"On adorerait intégrer de la vanille réunionnaise dans notre maquillage ou nos parfums, mais elle est trop chère ou déjà vendue à d'autres", regrette Sonya Belchir, fondatrice de Be So, une gamme de maquillage minéral et de parfumerie artisanale fabriquée au Tampon. Elle utilise notamment de l'huile essentielle de géranium rosat ou de la citronnelle, mais doit se contenter de petits volumes.
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Et le prix reste un frein : "L'huile de coco, par exemple existe à La Réunion, mais elle est vendue en quantité infime et à des tarifs inaccessibles pour une petite entreprise".
Même constat du côté de Catherie Pommier, savonnière à La Possession et fondatrice de Délicathe. Depuis 2017, elle fabrique et vend des savons réalisés en saponification à froid, des cosmétiques solides, des accessoires zéro déchets et des bougies parfumées.
"Je me fournis en sel de Saint-Leu, en miel de Bourbon et en café Bourbon pointu. Mais je ne peux pas me permettre d'acheter certaines huiles locales : soit elles ne répondent pas aux normes pour la cosmétique, soit elles sont trop chères. J'utilise des matières premières locales dès que possible mais j'aimerais étendre ma gamme d'ingrédients péi... Alors à bon entendeur, salut !". Écoutez.
Pour être utilisées dans des produits de beauté, les matières premières doivent, en effet, être validées selon des normes européennes strictes, avec des fiches toxicologiques et des tests coûteux. "Les petits distillateurs locaux ne peuvent pas se payer ces certifications, ce qui fait que de nombreux ingrédients réunionnais ne peuvent être utilisés dans nos produits", déplore Catherine Pommier.
- Un manque d'infrastructure -
Autre frein majeur : le manque de laboratoire et de structures adaptées à La Réunion pour développer des cosmétiques. Marina Féat-Gultzgoff, fondatrice de la marque Omaïdo, a dû faire face à ce problème.
Après avoir travaillé pendant plus de 15 ans dans le développement des filières agricoles en Outre-mer, elle se lance dans les cosmétiques naturels. Elle aurait aimé tout produire localement, mais a dû se résoudre à externaliser sa fabrication en Bretagne. "On a fait le tour de ce qui existait à La Réunion, mais les infrastructures ne permettent pas un accompagnement complet pour le développement de formules cosmétiques réglementées. C’est la Technopole elle-même qui m’a redirigée vers un laboratoire au Havre, car ici, rien n’était possible ", confie-t-elle.
Aujourd’hui, Omaïdo valorise des matières premières réunionnaises comme l’hydrolat de géranium du Le Labyrinthe En-Champ-Thé, le curcuma de la Plaine des Grègues ou encore le sucre réunionnais, mais fabrique ses soins en métropole.
"J’ai fait ce choix pour ne pas renoncer, mais j’aimerais pouvoir produire davantage ici, pour le marché réunionnais. Il faut du temps, de la volonté, et surtout une meilleure structuration de la filière locale", plaide Marina, qui milite aussi pour une juste rémunération des producteurs.
- "Si on n'a pas l'amour du métier, on abandonne vite" -
Face à l'exigence de la réglementation européenne, qui impose des validations longues et coûteuses, les petites marques locales doivent redoubler d'efforts pour exister. "C'est un travail de titan", souffle Sonya Belchir. "Il faut être passionnée ou folle. Ça tombe bien, je suis les deux !" Il faut plusieurs années pour obtenir les autorisations nécessaires, sans retour immédiat sur son investissement. "Ce n'est pas un business lucratif à court terme. Si on n'a pas l'amour du métier, on abandonne vite".
Le développement local est d'autant plus difficile que les grandes marques dominent largement le marché. Pour Sonya, "la cosmétique reste quand même chasse gardée. Tout est fait pour que les petites initiatives aient du mal à percer".
Et même lorsqu'elles réussissent, les perspectives de croissance sont limitées. "Mon atelier est tout petit", explique Catherine Pommier. "Si demain je devais doubler ma production il faudrait déménager. Et puis, je travaille seule donc c'est un autre défi logistique".
Malgré les embûches, les trois fondatrices restent optimistes. Leur motivation : proposer des produits sains, transparents, éthiques et adaptés aux besoins des consommateurs locaux. "Les clients veulent savoir ce qu'ils mettent sur leur peau. Ils veulent du vrai, du simple, du bon", résume la savonnière, fondatrice de Delicathe. Écoutez.
Mais afin que le secteur prenne son envol, un soutien institutionnel plus fort est nécessaire, notamment par le développement de laboratoires, la structuration de la production agricole, ou encore la mutualisation des ressources entre artisans. "On sent un frémissement", note Marina. "Des opérateurs commencent à se rapprocher, à chercher des synergies. Le potentiel est là. Il faut maintenant une impulsion collective".
vg / www.imazpress.com / redac@ipreunion.com
Pour le journaliste : il existe 5 à 10 structures, et 100 à 200 salariés, financés par les fonds publics, dont la mission est de gérer ces infrastructures manquantes.
Il est normal qu'un petit artisan ou agriculteur ne puisse pas investir dans une chaîne de production industrielle accessible à l'ensemble des acteurs régionaux. Ce n'est pas son rôle.
Cela vaut aussi en Bretagne, pour prendre l'exemple choisi. Sauf que la région Bretagne, avec les mêmes structures publiques et les mêmes financements nationaux et européens, a mis en place les infrastructures économiques nécessaires...
Elle ne manquent pas de courage ces femmes ! Bravo!!