Passés de main en main et traversant des générations, les objets d’occasion génèrent désormais un véritable circuit économique. En plein essor, le marché de la seconde main répond aux enjeux actuels : réduction de notre empreinte carbone, recherche d'authenticité par les consommateurs et surtout maitrise du pouvoir d'achat. À La Réunion, ce phénomène - qui autrefois peinait à trouver sa clientèle -, s’installe peu à peu dans notre quotidien et change notre manière de consommer (Photo: sly/www.imazpress.com)
En matière de consommation, les principaux objets que les Réunionnais achètent d’occasion sont l’électroménager et les meubles. Sur Marketplace, Lebon coin, TiTang récup ou encore Emmaüs, les consommateurs parcourent les pages (ou les allées pour Emmaüs) afin de dénicher de bonnes trouvailles.
Marie est une grande habituée d'Emmaüs. Rencontrée un jour d’ouverture, elle traverse d’un bout à l’autre l’entrepôt l’œil affuté. "Ce qui me plaît ici c'est que l’on trouve des choses qu’on ne peut trouver ailleurs et parfois même des choses dont on ne connaît pas l’utilité" déclare-t-elle.
Rempli à ras bord, son panier déborde de vaisselle et d’objets décoratifs. Âgée de 73 ans, elle est bien loin de suivre l’effet de mode désormais génèré par la seconde main. "Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours acheté des produits d'occasion, cela a toujours fait partie de mon mode de vie", nous explique-t-elle.
Des objets d'occasion qui se transmettent de générénation en génération. "Cela fait 27 ans que nous vivons de produits qui doivent être jetés" se rejouit Bernard, responsable du Emmaüs Sainte-Clotilde.
- Une seconde vie pour les vêtements -
En plus de l’ameublement, les vêtements de seconde main sont de plus en plus appréciés à La Réunion.
"Étant la dernière d’une fratrie, j’héritais toujours des vêtements de mes grandes sœurs quand j’étais petite. On se passait les habits d’un enfant à l’autre et c’était logique à l’époque" indique Marie.
Une manière de consommer qu’elle perpétue encore aujourd’hui. Le jour de notre rencontre, elle est toute de seconde main vêtue, de sa canne qui appartenait à son beau-père, à son chemisier déniché dans une friperie en passant par son sac à main récupére dans une benne à vêtements.
Autre moyen de redonner vie au textile, le recyclage.
Jeune créateur de mode écoresponsable, Laurent se rend chez Emmaüs deux fois par semaine. Un moyen pour lui de se fournir en matières premières - des chutes de tissus notamment -, pour ses créations 100% artisanales et recyclées. "A chaque fois que je viens ici, je trouve mon bonheur, il y a beaucoup d’articles qui m’intéressent, sur lesquelles je peux travailler et faire de beaux produits", déclare-t-il.
- Le don, une bonne alternative pour recycler -
Selon les chiffres de l’agence de la transition écologique (une structure du ministère de la transition écologique), une personne utilise en moyenne 12 kilos de textiles et de vêtements par an. Malgré cela qui n’a jamais prononcé la fameuse phrase : "je n’ai rien à me mettre" devant sa garde-robe pleine à craquer ?
Alors que faites-vous-réellement du quart de vêtements que vous ne portez pas et qui s’entassent dans votre armoire, rempli a en ne plus pouvoir fermer les portes ?
Si certains préfèrent les revendre, d’autres optent pour le don. "Chaque année, avant la rentrée, je fais un grand tri de vêtements. Je demande aux filles de vider totalement leur armoire. On fait plusieurs tas : ce qui va, ce qu'elles ne mettent plus, ce qu'elles n'aiment plus et ce qui est trop petit" explique Nathalie, belle-mère de deux filles et maman d'un petit garçon "encore trop jeune pour trier lui-même ses habits" sourit Nathalie.
"On garde ce qui va, et le reste (en bon état), on donne à des magasins solidaires. Cela permet à d'autres dans le besoin de récupérer des vêtements en bon état et nous, de voir ce qu'il manque en termes de vêtements pour la rentrée" ajoute-t-elle.
"Le grand le tri", des dons qui profitent aux magasins solidaires, et tout bonnement aux consommateurs. "Le don est très important chez nous, cela permet de participer à un acte social" explique Bernard responsable de Emmaüs Saint-Clotilde. "Chaque année nous percevons 10 000 dons" affirme-t-il.
Outre les magasins solidaires, plusieurs infrastructures du territoire comme le Trokali du TCO perçoivent des dons de la part des ménages.
Précurseur depuis de nombreuses années en matière de recyclage, de valorisation et de réemploi, le TCO a mis dans ses cinq communes membres (La Possession, Le Port, Saint-Paul, Trois-Bassins et Saint-Leu) des Trokali, des espaces de friperie et brocante aménagés dans le but de réduire les déchets et de créer une économie circulaire et verte.
- Économie circulaire et verte -
Se tourner vers des produits déjà portés, c’est aussi être sensible aux enjeux écologiques. Une prise de conscience écologique qui se fait de plus en plus tôt chez les Réunionnais. "Cela fait quelques mois maintenant que j’achète mes vêtements en seconde main. La seconde main est selon moi l’un des meilleurs moyens pour préserver la planète surtout lorsqu’on sait les dégâts qu’engendre l’industrie de la mode", souligne une jeune cliente d’une quinzaine d’années.
Car l’industrie textile est l’une des plus gourmandes en matières premières et l’une des plus polluantes en fabrication. Selon l’agence de la transition écologique, il faut en moyenne 9.000 litres d’eau pour fabriquer un jean soit l’équivalent de 285 douches.
- De l’occasion à petit prix -
Renoncer au neuf fait du bien à la planète mais aussi au porte-monnaie. Le prix est l’autre "motif d’achat" le plus scruté par le consommateur. A l’heure où l’inflation atteint une hausse considérable, chacun est à l’affut de bon plan pour réaliser des économies. Car selon l’Insee, en 2023 le prix à la consommation a atteint les 4,2 % à La Réunion.
Pour Amandine, maman de deux enfants dont un nourrisson, acheter d’occasion me lui pose aucun problème, au contraire cela lui permet de modérer ses dépenses "Ça ne me dérange pas d’acheter des articles qui ont déjà servi. Dans les magasins les prix sont beaucoup trop élevés pour mon budget, ici les prix sont bien plus abordables" dit la maman venue spécialement à Emmaüs pour des achats nurseries.
"En arrivant à La Réunion j’ai remarqué qu’il n’y avait pas de friperies mais à l’inverse beaucoup de dépôts de vente. Moi qui avais l’habitude de m’habiller en brocante ou en friperie dans l’Hexagone, je ne m’y retrouvais pas en termes de produits et encore moins en termes de prix. J’ai alors décidé d’ouvrir ma propre friperie et mes 20 ans dans le commerce m’ont bien aidé" explique Mélanie responsable de Fripe Paradise Saint-Paul et Saint-Denis.
Dans ses deux friperies, la commerçante propose des vêtements et accessoires à des prix alléchants allant de 2 euros à 80 euros maximun. C'est à ce tarif qu'est vendu, par exemple, un blouson en cuir véritable .
"Chez Fripe Paradise nous proposons des produits à petit prix et surtout de qualité" indique la responsable. "Nous sommes à la recherche de matière noble comme la soie, le coton pour notre clientèle" ajoute-t-elle.
Pour cela les friperies dionysienne et saint-pauloise se fournissent aux quatre coins du monde à la recherche "de pépites".
"Je travaille essentiellement avec des fripeurs professionnels. Ils me dénichent des produits sur des invendus, des fins de série, de la seconde main, des articles datant des années 70-80" précise Mélanie.
Objectif : attirer de plus en plus les jeunes Réunionnais pour qui la seconde main est maintenant un effet de mode.
- Avant c'était la honte, maintenant c'est tendance -
"A l’époque où mes parents m’habillaient en friperie, c’était la honte. Aujourd’hui s’habiller en friperie n’a plus la même connotation, c’est devenu tendance et ce n’est pas le message qu’on veut faire passer" déplore la responsable de Frip Paradise.
Car le phénomène de monde inquiète fortement Mélanie. "Cela nuit à l’image qu’on essaie de donner. On fait de la seconde main dans le but de recycler les vêtements, pour éviter qu’il y ait du gâchis et surtout pour éviter que des enfants à l’autre bout du monde ne teignent des vêtements. Cet effet de mode associé à la seconde main me fait peur. Il y a 20 ans les friperies ne marchaient pas, aujourd’hui les prix sont affolants" soupire-t-elle
Car dans l’Hexagone les friperies sont en pleine expansion. Bien loin de l’aspect écoresponsable et éthique, l'occasion est devenu un véritable business. "Le marché de la seconde main est préservé à La Réunion, car ici le concept est plus au moins nouveau" affirme Mélanie.
- De la seconde main oui mais pas pour maintenant -
Si de plus en plus de Réunionnais tendent à acheter de la seconde main, d’autres en revanche ne jurent que par le neuf. "On cible principalement les adolescents et les jeunes adultes. À La Réunion il est encore compliqué de faire adhérer à la seconde main aux personnes plus âgées. Les gens préfèrent encore acheter du neuf" nous dit la responsable de Rétro Taxi boutique de friperie à Saint-Denis.
Mélanie en revanche reste optimiste, "les gens ont envie de changer de mode de consommation, mais il faut qu’on soit là sur le terrain pour leur expliquer pourquoi on propose des articles d’occasion. Il faut qu’on soit là pour les orienter et les "éduquer" sur cette "nouvelle" manière de consommer" commente la responsable de Fripe Paradise.
"Les mentalités sont en voie de changement, à nous de contribuer à ce changement" termine-t-elle.
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