[VIDÉO] Libération de la parole

"Mon P’tit Loup" : le livre de Nicolas Puluhen qui brise les tabous de l’inceste

  • Publié le 14 janvier 2023 à 16:19
  • Actualisé le 14 janvier 2023 à 17:13

A La Réunion, chaque année, des dizaines et des dizaines de personnes sont malheureusement victimes d’inceste. L’inceste, ce sont les relations sexuelles entre proches parents. Nicolas Puluhen l’a vécu, lorsqu’il était encore enfant, à l'âge de cinq ans. Pour le raconter et pour encourager les autres victimes à libérer leur parole, l'homme aujourd'hui âgé de 51 ans, livre cinq récits dans un ouvrage, "Mon p'tit loup" pour pouvoir en parler. 188 pages, pour aborder ce fléau sous différentes formes. Rencontre avec l'auteur (Photo : ef/www.imazpress.com)

E : Vous avez annoncé la sortie de votre œuvre Mon p’tit loup. C’est votre premier livre. Présentez le en quelques mots.

NP : « Mon P'tit Loup », c’est un ouvrage que j’ai écrit par rapport à mon histoire. Il comporte cinq récits dont deux récits réalistes, et trois récits fictifs. Le premier étant le récit moteur de l’histoire, qui parle de ma vie de ce que j’ai vécu. Il est intitulé « Lutter pour vivre ». C’est le premier récit où j’ai essayé de retranscrire la vie d’une victime, où je parle de moi à la troisième personne. Je n’ai pas été capable de l’écrire à la 1ère personne. Il n’y a pas de nom, pas de lieu, pas d’époque. C’est quelque chose d’intemporel comme le sujet.

https://www.youtube.com/watch?v=6Z3x5eeNTdU

E : Comment avez-vous écrit ce livre ?

NP : Depuis six mois que j’ai commencé à écrire ce livre, j’ai dû m’immerger dans tout ça. Au moment où je l’ai écrit, je l’ai rédigé au passé. Des personnes qui ont lu mon livre, m’ont conseillé d’écrire au présent et donc j’ai tout repris c’est-à-dire ce que j’avais déjà réussi à sortir, et j’ai tout repris. J’ai totalement étoffé le récit qui m’a en fait ramené à des choses que j’avais oublié. Le fait d’écrire au présent ça m’a ramené dans la situation où il y a des nouvelles choses qui sont venus, qui ont fait que je les ai écrites et j’ai mis des mots sur des choses qui était juste des ressentis. C‘est un exercice vraiment incroyable.

E  : Dans ce livre vous abordez le sujet de l’inceste, dont vous avez vous même été victime. Comment cela vous est-il arrivé et comment avez-vous vécu avec ce fardeau ?

NP : Mon histoire est tristement banale. C’est l’histoire d’un gamin, une famille aimante classique avec des parents normaux, des oncles normaux et un cousin normal qui abuse d’un des petits cousins dans le grenier, le jour de Noël, quand l'enfant à cinq ans et que cet enfant c'est moi et que ça dure deux ans.

 

https://www.youtube.com/watch?v=oroT5CEoOAY

Je ne suis pas sorti d’affaire du tout. Quand on est violé en étant enfant, on est cabossé à vie, on peut aller mieux ; on doit aller mieux si on le décide pour ses enfants, pour sa famille mais il faut que l’entourage ait cette tolérance de se dire qu’une personne qui a subi ça à décider de décrocher, d’être seule. Et moi c’est mon cas, par moment j’ai besoin d’être seul. Je n’ai pas envie de parler. Par moment, je n’ai pas envie de parler et quand je suis seul, que je suis isolé je n’ai pas besoin de faire semblant d’aller bien. Ce que je vis là, ce que je raconte je pense qu'il y a que ceux qui l’ont vécu qui peuvent le comprendre et c’est le même schéma pour tout le monde. C’est les addictions, une tristesse, on est cabossé, on n’est pas bien. Et il faut pourtant avancer.

E  : Vous avez 51 ans, vous avez été victime d’inceste il y a près de 46 ans. Pourquoi avez-vous décidé de sortir du silence ?

NP : J’étais arrivé à un stade où je n’avais pas le choix. Il fallait que je trouve encore une autre solution pour essayer d’aller mieux. Les années passent, je crois que je vais mieux quand je vois les copains ; quand on est ensemble ça va. Mais dès que je me retrouve tout seul avec mon mal être, il est là, à vie. C’est terrible à dire. On est condamné à vivre, c’est-à-dire que l’agresseur au pire va être condamné à quelques années de prison, voir si ce n'est pas du sursis, voire même jamais condamné du tout comme dans mon cas où il n’a jamais fait un jour de prison, et il n’en fera probablement jamais. Par contre la victime, elle, est condamnée à vie. Elle prend perpète. Il n’y a pas une journée où je ne pense pas à ce qu’il m’est arrivé. Alors après ce que je suis en train de vivre aujourd’hui je n’avais pas du tout prévu ça. J’ai fait un livre, j’ai écrit et commencé à présenter mon ouvrage. Et là on vient me chercher pour parler parce qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui témoignent, qui souhaitent s’exposer comme je le fais.

Je n’ai peur de rien, vraiment il n’y a rien qui m’effraie. Je n’ai absolument pas honte. Je le fais pour les autres mais je me rends compte aussi qu’il faut que je me préserve de tout ça, parce que je ne suis pas « blindé » non plus. Ce que je suis en train de faire, ça peut aussi m’ébranler. Il faut que je fasse attention à moi. Je suis prêt à donner mon témoignage pour aider mais je pense qu’à un moment donné va falloir que je prenne un peu de recul.

L’un des objectifs de ce livre c’était de pouvoir exorciser ce qui m’étais arrivé. C'est bon ce cap il est passé, pour moi maintenant il faut que je vive avec cette mise à nu, que j’ai commencé à faire. Ma crainte c’était ce qu’allait en penser ma famille. Mes proches. Ma crainte entre guillemets parce que après tout moi, j’ai assez souffert. Pour faire ce que je veux aujourd’hui, je n’ai pas de reproche à avoir, j’en ai pas eu d’ailleurs. Ça m’a permis de discuter avec mes parents. La vertus que je vois dans cette démarche là aujourd’hui c’est d’accompagner, d’inciter les gens à parler et de se dire : "tiens lui finalement il est debout, il a réussi sa vie." Parce que j’estime que j’ai réussi ma vie. J’ai une famille heureuse. J’ai des enfants magnifiques, en bonne santé, brillants, j’espère ne pas être étranger à tout ça. Même si ça n'a pas toujours été facile tout ça, parce que vivre avec moi ça n'a pas toujours été facile. Vivre avec une victime qui souffre surtout quand elle ne parle pas, aujourd’hui, ils comprennent pourquoi j’ai pu être comme ça à un certain moment de ma vie. Je veux que ma parole serve à d’autres. C’est déjà le cas. Il y a déjà des gens qui m’ont appelé. Je veux modestement apporter ma pierre à l’édifice ; je ne veux pas changer les lois, je ne veux pas changer le monde, puisque ce qui m’est arrivé, ça arrivera encore après à plein de gens. Mais ce qu’il faut, c’est balancer les institutions. Je parle de l’église mais aussi l’école coranique, le monde du sport qui subit ça de plein fouet aussi, depuis des années. Je pense que chaque victime qui se sent forte va pouvoir agir dans ce domaine. Et moi ces gens là le font très bien. Si j’ai la force de continuer, j’essayerai de convaincre des artistes d’apporter leur pierre à l’édifice avec leur talent d’écriture, en créant des chansons qui pourraient devenir des "p'tit loup". Et c’est des messages comme ça que je voudrais passer. Je voudrais que ces gens qui ont un talent incroyable puisse écrire sur le sujet. J’espère que un jour, ce message là sera entendu par ces personnes, que j’aurai la force de pouvoir leur faire part de mon projet comme j’ai eu la chance de le soumettre à Pierre Perret.

Malgré ce qui m’est arrivé quand j’étais enfant, je reste persuadé que j’ai une bonne étoile et je vais essayer de la faire jouer.  

E : Quels sont les messages que vous souhaitez faire passer ?

NP : Le premier déjà c’est que s’il y a des victimes qui voient ce reportage quel que soit leur âge, il faut qu’elles se dépêchent d’en parler. Mais on ne peut pas les forcer à en parler. Dès qu’on se sent prêt, faut en parler à des gens formés, à des gens qui sont prêt à vous écouter, à vous aider. L’autre message : s’il y a des personnes qui peuvent s’exprimer quelque soit leur art, en peinture, en écriture, en chanson, dans tout ce qu’on veut, franchement ça fait du bien. Moi je n’avais jamais écrit de livre avant ; à la base je le fais que pour moi. Donc les personnes peuvent faire ça. Écrire pour eux-mêmes. Le faire lire à quelques proches c’est juste énorme.

E: Pourquoi ce nom « Mon P’tit Loup » ?

NP : Je me suis inspiré de la chanson « Mon P’tit Loup » de Pierre Perret, écrite en 1979. Il a par ailleurs lui-même écrit la préface de mon livre. C’est une chanson, comme il l’écrit dans sa préface, de grande consolation. Une consolation universelle, qui, je crois, que n’importe qui, qui a vécu une souffrance enfant écoute cette chanson ne peut pas être indifférent. Ça parle à tout le monde, c’est une chanson qui console. Les mots sont justes. S’il a mis trois ans à l’écrire,  c’est qu’il a voulu quelque  chose d’absolument parfait. C’est le cas. J’ai la chance d’avoir ce livre qui va sortir. Je suis encore sur un nuage après cette histoire. Il m’a fait cet honneur, juste la veille de Noël. Mon histoire à commencer en 1977, à Noël, et en 2022, à Noël, j’ai ce cadeau de Pierre Perret.

E : L’association EPA (Ecoute moi, protège moi, aide moi), avec la page Me Too Inceste 974, portent et mettent notamment en avant ce livre. Quels sont les retours que vous avez déjà eu lorsque la sortie prochaine du livre a été faite ?  

NP : L’association EPA avec la page Me Too Inceste 974, leur téléphone sonnent beaucoup en ce moment. Il se trouve que quand il y a quelqu’un qui s’exprime comme je le fais qui se met à nu, ça rend les choses concrètes. J’ai même des personnes de mon entourage professionnel qui m’ont félicité pour ma prise de parole et d’autres qui me disent que j’ai eu le courage de le faire. Ça incite les gens à parler. C’est autour de nous ; on est entouré de personnes qui ont vécu ce genre de traumatisme. Ça peut leur arriver une fois ; après y a des cas qui ont duré, où là c’est un autre problème. Moi ce n’est pas le pire des cas ; j’ai rencontré des victimes qui m’ont raconté leur histoire, qui sont à pleurer. Je me sens presque chanceux dans mon histoire.

Propos recueillis par ef/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

- Les conseils de l'association EPA à destination des victimes -

Suite à la sortie de ce livre l’association Ecoute moi, Protège moi, Aide moi (EPA), exprime sa joie que « enfin une personne ait pu parler de ce qu’elle a vécu. Enfin, il y a quelqu’un qui a le courage de libérer la parole. Il y avait déjà eu des pièces de théâtre par exemple mais là il y a quelqu’un qui va dans les médias. Ca incite les victimes d’inceste de partir au combat comme on dit. C’est pour nous comme une locomotive. C’est une main de victime, qui va entraîner toutes les autres victimes derrière. C’est quelque chose qu’on met en avant pour amener d’autres à en parler », explique Jessy, présidente de l’association EPA. Ainsi, depuis l’annonce et la médiatisation autour de la sortie prochaine du livre « Mon P’tit loup », la page Me Too Inceste 974 a déjà reçu une dizaine de témoignages de victime d’inceste à La Réunion. Ils sont ensuite partagés sur la page, mais cela reste anonyme. Comme le conseille Jessy, « la personne victime d’inceste doit tout de suite porter plainte. Il est possible qu’on (ndlr association, organisme, avocat) l’accompagne, dans le respect de la personne. Il y a certaines personnes qui libèrent la parole à plus de 60 ans. La plainte va ensuite traitée par le parquet qui va calculer la prescription si c’est le cas. Beaucoup de victimes se disent « l’affaire est prescrite par ce que ça fait longtemps ». Il faut quand même aller déposer plainte car la personne accusée, elle peut très bien avoir commis le même sur d’autres individus... »  

Autre conseil également, si vous êtes victimes ou que vous souhaitez parler du sujet plusieurs associations, aides juridiques existe. Vous pouvez également contacter le 119. Ce numéro d'appel est destiné à tout enfant ou adolescent victime de violences ou à toute personne préoccupée par une situation d'enfant en danger ou en risque de l'être, rappelle le gouvernement sur le site servicepublic.fr.

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