Artiste majeure de l'océan Indien, Nirveda Alleck expose "Appartenances" à la galerie du TÉAT Champ Fleuri jusqu’au 21 octobre. Une exposition qui questionne la notion même d'appartenance à travers des histoires partagées et la création identitaire. (Photos : vw.www.imazpress.com et DR)
Votre exposition s’intitule « Appartenance », un renvoi à la notion d’identité ?
L’identité créole n’est pas nécessairement le cœur de ma recherche qui est davantage tourné vers l’utilisation de la représentation des gens dans le passé, comment ils étaient étudiés, séparés, ségrégués. Lors de mes recherches sur la période de l’esclavage, je suis tombée sur les premières photos d’anciens esclaves à l’Iconothèque de La Réunion. En les étudiant de plus près, je le suis rendue compte qu’elles représentaient soi-disant des esclaves alors que l’esclavage était déjà aboli. En réalité, on a fait posé des personnes emprisonnées, c’était donc faussé depuis le début. Et c’est ça qui m’interpelle dans le sens où après l’abolition, on a continué à soumettre les gens, à les mettre dans des cases, à leur dire quoi faire et c’est pareil dans l’actualité. Dans certains pays et même dans des petits villages de Maurice, le sentiment de servitude perdure toujours. Mon objectif est d'aller au-delà de la simple exploration de l'identité créole, en interrogeant la façon dont les identités se construisent dans des contextes de colonisation, de déracinement…
Parlez-nous de ce projet « Continuum » démarré en 2006. Nous sommes en 2022, il a pris tout le temps de mûrir…
Le projet a démarré en effet pendant une résidence en Afrique du Sud en 2006, et depuis il a évolué avec des sujets de différents pays (Maurice, Liban, La Réunion, le Mali, les USA et les Chagossiens exilés). Ma démarche a été de chercher des gens d'autant de localités et cultures différentes et de les réunir dans un même espace sur un pied d'égalité. S’agissant d’Appartenances, mon travail sur les anciens esclaves a démarré en 2019, quand j’étais en résidence à la Cité Internationale à Paris.
La Réunion, Maurice mais aussi les Chagos… Une façon de ne pas oublier ?
Oui parce qu’en tant qu’artiste, c’est un devoir de mettre en lumière la réalité des faits. À Maurice, on ne parle pas des Chagos tous les jours mais uniquement quand il y a un fait d’actualité. Or, si on n’en parle pas, ils vont tomber dans l’oubli. Je me dois donc de garder tout cela vivant.
S’agissant de La Réunion, en quoi vous inspire-t-elle ?
Je suis venue plusieurs fois à La Réunion pour des résidences et des expositions. La première en 2009 lors de la Biennale organisée par l'Ecole des Beaux Arts, qui m'a permis d'échanger avec les gens d'ici et de mieux comprendre comment s'entrelacent nos histoires communes. Je m'y sens à la fois chez moi et en même temps ailleurs, comme une voyageuse.
Peinture, vidéo, installation, performance… votre champ d’intervention est vaste. Mais au fil des années, l’humain semble être devenu un objet de réflexion central…
L’être humain est selon moi l’être le plus complexe qui soit. Souvent on dit de l’artiste qu’il vit isolé dans sa bulle alors que moi je regarde constamment autour de moi. Ce qui me définit, c’est toujours l’autre qui constitue mon sujet parce que quand je le comprends, je me comprends mieux moi-même.
Pourquoi l’omniprésence du bleu dans vos œuvres ?
Cette couleur représente pour moi la fragilité de la porcelaine qu’on ne sortait à l’époque que pour les grandes occasions. Plus artistiquement, c’est la façon dont l’histoire a été écrite, la manière dont on l’interprète et la dessine qui est particulièrement fragile.
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-Un troublant continuum historique et culturel-
Enseignante et plasticienne née à Maurice en 1975, Nirveda Alleck est l’une des figures importantes de l’art contemporain de l’île sœur. « Appartenances » passe la réalité actuelle de l’archipel mascarin au scanner post-colonial pour faire apparaître sur la toile un troublant continuum historique et culturel. Dans des tableaux au minimalisme contrôlé, elle peint avec un réalisme précis des personnages et des scènes de tous les jours, puis ajoute à ses compositions des motifs, des éléments de décor, des trames inspirées des gravures anciennes. Elle reproduit ainsi un effet de collage qui donne à ses images une profondeur nouvelle, un monde de non-dits, suggérant qu’une histoire complexe hante encore nos vies ultramodernes.
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« Le passé a son importance »
Impossible de ne pas être attiré par ces visages de l’artiste trônant au milieu de l’exposition. Nirveda Alleck s’en explique : « À travers ces visages de moi, je questionne ma propre présence dans cette masse historique que j’explore. Ces visages surgissent comme pour accentuer le fait qu’on revienne systématiquement au passé au fur et mesure qu’on avance dans la vie. Pour moi, on doit toujours prendre son passé en considération, qu’il soit personnel ou collectif ».
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« Appartenances » à la galerie du TÉAT Champ Fleuri jusqu’au 21 octobre.