Le milieu associatif alerte sur le manque d'accompagnement

Expulsion, interdiction de territoire : fausses solutions à un vrai problème de violence

  • Publié le 31 janvier 2022 à 03:00
  • Actualisé le 22 janvier 2025 à 15:05

Les violences urbaines survenues à Saint-Benoit ont fait la une de l'actualité dernièrement. Dans d'autres communes de l'île, notamment au Tampon, à Saint-Louis, ou encore à La Possession, les forces de l'ordre alertent aussi sur une augmentation des violences. Pour tenter d'y mettre un terme, expulsion des familles concernées, interdiction de séjour sur les communes, ou encore coupure des aides sociales ont été avancées comme solutions. Mais du côté associatif comme juridique, ces options sont loin de faire l'unanimité (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

"Ce dont on a besoin, c’est d’une politique associative ambitieuse, de personnels formés, pour pouvoir prévenir plutôt que guérir" estime Jimmy Bègue, directeur de la Maison des associations (MDA) de Saint-Benoit, située à Bras Fusil. En première ligne face à des jeunes livrés à eux-mêmes, les associations de terrain sont souvent démunies.

"Nous faisons face à des coupes budgétaires continues, que ce soit à Saint-Benoit ou dans le reste de l’île. Fini les sorties à la mer, à la montagne, les activités proposées sont de plus en plus rares. Les jeunes ne sortent plus du quartier, ne voit pas ce qu'il se passe à l'extérieur. Résultat : nous n’arrivons plus à oeuvrer de la même manière pour les jeunes, qui finissent par s’associer à des personnes souvent plus vieilles et commettre des délits. Ces jeunes sont livrés à eux-mêmes" regrette-t-il.  

"On ne peut pas nier qu’il y a un problème bien sûr, mais ces jeunes ne se sont pas retrouvés ici par hasard ! C’est le résultat de politiques inefficaces, un manque de moyens et de formation : à vouloir à tout prix baisser les coûts, on finit par fragiliser le tissu associatif" détaille le directeur de la MDA.

Sur place, c’est surtout la présence des forces de l’ordre qu’on peut finalement observer. La gendarmerie estime, au-delà de la répression, faire aussi un travail pédagogique pour instaurer une communication avec la population. "Nous sommes en contact constant avec les élus, les associations, les médiateurs, l’Education nationale…afin d’instaurer un dialogue. Mais la pédagogie a ses limites" détaille la gendarmerie.  

- Les associations alertent -

Bien évidemment, lorsque les violences atteignent les niveaux observés à Saint-Benoit dernièrement, la réponse ne peut être que juridique. Mais quel travail est réellement réalisé pour tenter de comprendre la racine du problème, et donc de prévenir ces violences ? "Les violences d’aujourd’hui sont le résultat de l’échec de nos politiciens à s’emparer du problème" estime Audrey  Coridon, directrice de l’Académie des Camélias, un lieu d'accueil et d'accompagnement pour les jeunes du quartier de Saint-Denis.

Elle observe un nouveau "phénomène de bande" avec une "montée en puissance de la violence", qui touche désormais la population de façon totalement aléatoire et gratuite. Du côté de la gendarmerie, si elle admet que les agressions récentes portent à s’inquiéter, on réfute cependant le terme de "bande". "Il y a toujours eu des oppositions, principalement à l’égard des forces de l’ordre, bien qu’il y a effectivement des événements plus réguliers ces derniers temps, mais on ne peut dire que nous sommes à un nouveau degré de violences" temporise-t-elle.

Un regard qui ne correspondrait pas à la réalité du terrain pour les associations. "Je pense que les forces de l’ordre sont plus pragmatiques, c’est leur pratique quotidienne de faire face à la violence. Mais quand on croise tous les secteurs, on note vraiment un phénomène nouveau" s’inquiète Audrey Coridon.  

"Cela fait plusieurs années désormais que les éducateurs, les médiateurs, les associations tirent la sonnette d’alarme. Et si rien n’est fait, le problème se sera étendu à toute La Réunion dans les cinq prochaines années" assure-t-elle. "On laisse des jeunes, qui arrivent parfois seuls depuis Mayotte, livrés à eux-mêmes, avec des codes différents, installés dans ce qu’on appelle des zones blanches sous-développées en matière de travail social. Les premières victimes ce sont eux" ajoute-t-elle.  

- Des actions envisagées mais inefficaces -

Si des actions en justice sont inévitables, il reste cependant peu probable qu’expulser des familles, interdire de territoire ou s’attaquer aux aides sociales changent quoi que ce soit. Au lieu de guérir le problème, cela ne fera finalement que le déplacer. En Métropole déjà, des actions de la sorte ont déjà été décidées, sans grand succès jusqu’à maintenant.

"Le mal est profond, il ne s’agit donc pas de le traiter par la stigmatisation ou par des actions "one shot". Il est profond parce que nous avons laissé la place vide dans la rue : absence d’éducateurs de rue, abandon de l’éducation populaire, légèreté des gouvernances vis – à – vis du principe de citoyenneté…" note d’ailleurs l’avocat Ali Mihidoiri.

A noter d’ailleurs qu’expulser des familles ne se fait pas aussi facilement, tout particulièrement si les dégradations ou agressions n’ont pas eu lieu dans les locaux du bailleur social, sauf convention particulière comme cela a été fait à Nice.

"En avril 2021, la mairie de Nice avait fait voter une convention avec le parquet de Nice et la préfecture des Alpes-Maritimes permettant à Côte d'Azur Habitat d'être informé de la condamnation pénale d'un locataire ou d'une personne vivant à son adresse et d'enclencher une procédure" rapporte en effet Le Figaro. Un dispositif qui n’est, pour l’heure, pas appliqué à La Réunion. Quand bien même ces locataires devaient être expulsés, la loi imposerait de les reloger. Encore une fois, cela ne ferait que déplacer le problème.

Le maire de Saint-Benoit a aussi réclamé la possibilité de "saisir la Caisse d’allocations familiales en cas de suspicion de fraudes lorsque cela concernera des familles déjà défavorablement connues des forces de l’ordre". Comme la CAF elle-même l'indique, "la lutte contre la délinquance n’entre pas directement dans son champ d’intervention propre en matière d’action sociale", bien qu'il soit effectivement possible pour l'édile de signaler une suspicion de fraude. Mais encore une fois, quel résultat concret cela apporterait-il, à part plonger dans la misère des familles déjà précaires ?

- Plus d'associatif, moins de répressif -


Patrice Selly a souligné à plusieurs reprises que les jeunes impliqués dans les violences étaient "d’origines mahoraises et comoriennes". Si les associations font le même constat, elles pointent cependant du doigt le réel problème : la précarité extrême à laquelle ces communautés sont confrontées, dans leur île d’origine ou à La Réunion, et le manque de repères une fois ces derniers arrivés dans l’île.

"Le manque de pouvoir d’achat et le manque de considération sociale ajoutés à l’absence d’emploi, au décrochage parental et à l’échec scolaire sont des ingrédients du désordre urbain" rappelle justement Ali Mihidoiri. A Mayotte, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté. A La Réunion, ce taux est de 39%, et ce depuis des années, sans amélioration à l’horizon.

"Les associations, les communes et l’Education nationale doivent créer un réel tissu associatif, nous devons être en capacité de proposer des opportunités d’entrée sur le marché du travail (par le biais de services civiques par exemple), insuffler l’envie de découvrir de nouveaux horizons" martèle Jimmy Bègue. Des propositions qui nécessitent toutes un réel financement.

A ne parler que de répressif et de surveillance, l’Etat et la commune de Saint-Benoit détournent finalement les yeux du plus important : comprendre les raisons de ces violences, afin de les éviter à l’avenir.

as/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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3 Commentaires
SOMANKE
SOMANKE
3 ans

Enfin une vision plus sérieuse du mal être de notre jeunesse. Un point seulement à éclairer : on parle " d'effet de bande " ce qui suppose une organisation structurée par un leader. Cela peut arriver mais rarement.J'y vois pour ma part un " effet de groupe ", pas structuré mais composé de jeunes (ou plus âgés) qui se reconnaissent parce que leur voyage dans la vie est sans chemin et sans destination. " L'effet de groupe " me paraît beaucoup plus grave, parce qu'imprévisible, que " l'effet de bande " prévisible.On imagine difficilement ce que peut faire un désespéré.Notre responsabilité est immense envers ceux à qui notre société a ôté toute vision d'avenir.

Tout le monde est d'accord la prévention
Tout le monde est d'accord la prévention
3 ans

de cette délinquance ne fonctionne pas !Cela fait des années que de l'argent est gaspillé sans aucun résultat !Seule une répression réelle, une justice implacable, des expulsions réalisées sont susceptibles de ramener l'ordre dans ces quartiers en rupture de république !

JF
JF
3 ans

Et personne ne pointe du doigt l'état ' Sarkozy a voulu cette départementalisation, Hollande et Macron l'ont ignoré en y mettant pas les moyens. Aujourd'hui Mayotte est rongé par un mal qui se nomme IMMIGRATION NON CONTRÔLE, Précarité, pauvreté entraine des violences , des bandes à l'instar des gangs. L'insécurité sur cette île est inténable. Que fait l'état '''' des mesurettes.... La départementalisation qui devait fermer le robinet de l'immigration Mayotte Reunion a eu tous les effets inverses. Les Mahorais viennent en grand nombre sur l'île, y envoi leurs marmailles, ses mêmes marmailles qui ont grandi dans la violence des bidonvilles. Si il y a bien une île dont l'identité est la plus éloigné de celle de la France c'est bien Mayotte, tous ses phénomène d'inadaptation ne se résoudrons pas pas la répression, ni la haine. Que font nos élus ' Personne n'interpelle l'état sur la situation Mahoraise qui se répercute sur la Réunion ' Comment faire que les Mahorais se sentent bien chez eux ' qu'ils aient des logemenst décents, un travail, du médical, des écoles dignes, etc .... Que fait l'ETAT sur cette île '''''''''''