Seule en scène, Zabou Breitman raconte en cinq nouvelles, des micro-scènes toutes plus anecdotiques les unes que les autres, de la vie de Dorothy Parker, cette grande plume de l’Amérique du début du siècle dernier. Entretien (photo DR).
C’est l’histoire de cette femme de caractère et d’esprit, auteure, journaliste, poète américaine et plume les plus influentes du début du XXe siècle dont vous aviez déjà interprété quelques nouvelles en 1982. Pourquoi y aller à nouveau une quarantaine d’années plus tard ?
En effet, en 1982 j’avais joué des morceaux de ses nouvelles et son état d’esprit m’avait déjà marquée à l’époque. Ses textes me sont toujours restés et j’ai ensuite entamé plein de recherches sur sa vie, sur l’époque dans laquelle elle vivait à savoir cette période de la prohibition où on interdisait tout au peuple américain, mais aussi le vote des femmes, etc… Plus tard, en 2020, je suis tombée sur l’histoire de ses cendres oubliées pendant 48 ans dans un meuble de bureau et je me suis dit que même après sa mort, elle continue à faire parler d’elle de manière complètement dingue tout en demeurant ce personnage fantasque et sombre à la fois, qui sort des sentiers battus et que j’adore.
Alors oui, quarante ans après, le jeu et l’interprétation ne sont pas les mêmes. Ils ont évolué et avec le temps et la maturité, je comprends mieux ces choses qui descendent directement au cœur et que je prends plaisir à retranscrire pour aller toucher l’intime des spectateurs tout en étant très dévoilée car seule sur scène pour incarner cet esprit vif.
D’ailleurs pourquoi Dorothy et non Dorothy Parker ?
Tout simplement parce qu’il s’agit d’un spectacle en tête à tête avec le public pour lui permettre d’en apprendre davantage sur une femme unique, très engagée et libre à la fois. Parker était juste le nom de son mari. Je souhaitais une mise à nue de Dorothy tout en légèreté et connivence et pour ce faire, être seule sur scène était pour moi indispensable. J’aime aussi l’idée d’être artisanale en étant moi-même aux manettes pour le réglage du son et des lumières notamment.
Était-ce aussi une volonté de lever le voile sur un personnage fantasque peu connu en France et encore moins ici à La Réunion…
À part quelques personnes en France, ils ne sont en effet pas nombreux à connaître réellement Dorothy. Et je trouve super de se dire qu’il y a des précurseurs et des visionnaires pour parler de quelqu’un qui n’est plus pour le - ou la - faire revivre. D’ailleurs, plein de gens m’ont dit avoir acheté des bouquins et des nouvelles de Dorothy Parker. Pour ceux qui n’aiment pas lire, la nouvelle a cet attrait de ne pas monopoliser l’attention pendant des heures et on y apprend plein de choses sur le contexte et sur un personnage inconnu du grand public. J’aime transmettre ça. Et même après 80 représentations, c’est toujours magique de voir la réaction des spectateurs, notamment des jeunes qui en sont dingues.
Dorothy Parker était contre la misogynie, l’antisémitisme, l’homophobie, la xénophobie… Elle exécrait les inégalités en somme. Est-ce ce qui vous a plu en elle ?
Carrément, j’adore son caractère ! Cet esprit vif que personne n’emmerde, qui va très vite, qui répond du tac au tac, un électron libre doublé d’un grand talent d’écriture, et une immense poétesse. Replacé dans le contexte de l’époque, c’est drôle mais transposé à la société d’aujourd’hui, les thèmes sont malheureusement toujours d’actualité !
Auteur interprète, metteur en scène, actrice… Vous êtes un vrai couteau suisse. Vous retrouvez-vous un peu dans Dorothy Parker ?
Couteau suisse c’est pas mal d’autant que je ne me sépare jamais d’un petit tournevis et de deux clés à laine (rires). Plus sérieusement, elle est dingue, c’est une alcoolique déchaînée au comportement autour-destructeur, c’est aussi une femme de lettres brillante et sarcastique. Mais je ne pense pas être comme elle, même si on se rejoint sur des thèmes comme la parité ou sur le fait d’être libre de dire ce que je veux et qu’on ne m’interdit rien…
Si vous deviez résumer le personnage en une phrase ?
« La situation est certes désespérée mais pas grave », c’est un peu ça Dorothy Parker.
- Qui est Dorothy Parker ? -
Née en 1893 dans le New Jersey et décédée en 1967, Dorothy Parker est une grande plume du New-Yorker durant l’entre-deux guerres, mais aussi pianiste, critique littéraire, pour Vogue, puis Vanity Fair, poétesse, nouvelliste, reconnue par une bonne partie de l’intelligentsia américaine de l’immédiat-après Grande Guerre alors qu’elle est âgée d’à peine 30 ans. Celle qu’on surnomme « The Wit » (la futée), est un couteau-suisse à la fois drôle et caustique, surtout lorsqu’il s’agit de ses contemporains, sur lesquels elle porte un regard sans concession et qu’elle étrille de sa plume acérée. Exceptées quelques collaborations à différents scénarios dans les années 1930-1940 – pour La Vipère de William Wyler ou Cinquième Colonne d’Alfred Hitchcock –, elle disparaît rapidement des radars, jusqu’à sa mort à 73 ans, dans sa chambre d’hôtel, avec son chien et une bouteille d’alcool pour seule compagnie et en ayant légué tous ses biens au mouvement de Martin Luther King qu’elle n’a jamais rencontré.
- À propos du spectacle -
En se basant sur cinq nouvelles de Dorothy Parker, Zabou Breitman conte les doutes, les errements et la solitude de l’autrice. Sur un plateau austère, au départ seulement peuplé de projecteurs, la comédienne retrace avec brio le parcours d’une figure hors norme avec en filigrane l’histoire de l’Amérique de la première moitié du XXe siècle : la prohibition, l’essor du capitalisme, du darwinisme et de la consommation de masse ou l’émancipation des femmes.
Dorothy d’après les écrits de Dorothy Parker, avec Zabou Breitman, au théâtre Luc Donat, vendredi 9 décembre et samedi 10 décembre, 20 heures
vw/www.ipreunion.com/redac@ipreunion.com