Tribune libre de la Plateforme réunionnaise

Manifeste pour une Réunion résiliente : la gestion post-Garance

  • Publié le 7 avril 2025 à 15:48
  • Actualisé le 7 avril 2025 à 15:51
Manifeste pour une Réunion résiliente : la gestion post-Garance

Le cyclone Garance a mis en évidence les profondes fragilités auxquelles est soumise La Réunion. Ce manifeste a pour objet de proposer une série de solutions issues des réflexions diverses menées par les collectivités qui ont été en première ligne ainsi que par les citoyens engagés qui se sont réunis lors de la Conférence Péï du 26 Mars 2025. (Photo: La Plateforme réunionnaise)

Les premières réparations d’urgence ont permis, non sans difficulté, de rétablir progressivement l’alimentation en eau potable, en électricité, les réseaux de télécommunications, la remise en circulation des routes et des transports, le nettoyage de tous les déchets.

Néanmoins, un immense chantier s’annonce. Il nous faut impérativement tirer les enseignements de ces phénomènes extrêmes ! 

Après Belal, Chido et aujourd’hui Garance, notre bassin indiaocéanique a connu des météores destructeurs, laissant derrière eux un paysage de chaos, des dégâts considérables et une population meurtrie.

Nous le savons, ces phénomènes météorologiques vont se reproduire et s’intensifier en particulier du fait des dérèglements climatiques.

Face à ces constats, nous devons mieux protéger notre territoire et sécuriser nos populations. La protection des Réunionnaises et des Réunionnais est aujourd’hui une
priorité collective. 

Or, nous avons pu avoir l’impression d’un manque de préparation à l’urgence. Nous pensons notamment à la nécessité de retravailler la gestion de crise : infrastructures de crises plus résilientes (centres d’accueil, PC sécurité, etc... ), services d’urgence, coordination des différents acteurs...

L’heure est désormais à la reconstruction : logements, réseaux routiers, entreprises, exploitations, équipements publics...

Qu’ils s’agissent des réseaux d’eau, d’électricité, de communication, qu’ils s’agissent des logements, à la fois dans leur qualité et dans leur quantité, qu’ils s’agissent des infrastructures, qu’elles soient routières, de prévention des risques d’inondation ou de glissement de terrain, des écoles, des bâtiments publics comme des entreprises, les Réunionnaises et les Réunionnais ont été directement ou indirectement très durement touchés et l’ensemble des collectivités œuvrent encore pour un retour à une situation acceptable pour tous.

Les enjeux et défis sont nombreux et il est essentiel qu’ils soient abordés avec une vision de long terme au regard des perspectives de croissance démographique et d’une volonté d’une plus grande résilience du territoire réunionnais et de ses habitants, ainsi que de contribuer activement à l’inscription prioritaire des voies et moyens nécessaires à celle-ci.

Résilience de notre gestion du cycle de l’eau, des risques d’inondation à la production d’eau potable et à l’assainissement Garance a été le révélateur de la complexité de la situation de la gestion de l’eau, tout au long de son cycle, sur notre île. Nous devons admettre le caractère exceptionnel de notre situation. 

Celle-ci ne se résume pas à des records de précipitations qui se combinent à une géographie très particulière, mais également à une urbanisation (actuelle et future) qui doit absolument prendre en compte ces éléments.

Nous pouvons considérer que nous avions été relativement épargnés jusqu’à présent mais que le défi se dresse aujourd’hui devant nous.

Garance nous impose de concevoir et surtout de mettre en œuvre un Grand Plan Ravines du sommet des montagnes au battant des lames avec l’ensemble des acteurs, ruisseaux par ruisseaux, ravines par ravines pour lequel l’État doit prendre toutes ses responsabilités.

L’État est aussi appelé à s’engager avec les moyens financiers nécessaires sur la question de préservation du trait de côte tout autour de l’île où, au-delà des prescriptions à respecter, des aménagements coûteux sont aussi indispensables. 

En matière de capacité des territoires à absorber les eaux pluviales et à nourrir les nappes phréatiques, l’objectif de réduire l’artificialisation des sols redevient une priorité.

Enfin, pour sécuriser l’alimentation en eau potable de l’ensemble des familles et des entreprises réunionnaises, nous devons engager un grand chantier de développement et de consolidation des infrastructures. 

Il y a, en effet, une impérieuse nécessité à garantir une plus grande efficacité des réseaux de distribution au regard des risques climatiques, juguler le gaspillage, disposer d’une plus grande qualité de l’eau et s’assurer de l’interconnexion des réseaux pour pallier les défaillances partielles éventuelles.

Par conséquent, la création d’un fonds national pour la préservation du cycle de l’eau apparait inéluctable.

Résilience de nos productions et distributions énergétiques

Si des progrès significatifs ont été réalisés dans le domaine énergétique, avec 56,6% d'énergies renouvelables dans notre mix électrique en 2023, notre dépendance aux ressources énergétiques importées reste massive : 88,6% en 2023. Cette situation nous rend vulnérables et nous devons privilégier le recours à des énergies renouvelables locales.

Le deuxième enseignement majeur de Garance est que nous devons rapidement sécuriser notre réseau de production et de distribution d’énergie avec la nécessité d’être en capacité de gérer l’ensemble du système localement.

Nous préconisons une révision rapide de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) pour prendre en compte les enseignements de Garance et le risque
d'occurrence de phénomènes plus puissants et que l’ensemble des choix stratégiques soient questionnés : concentration de la production ou répartition ?

Réseaux aériens ou enterrés ? Lieux de stockage et puissances ? Dispositifs en mode dégradés ? Compétences et capacités d’intervention technique à développer localement ?

Nous souhaitons donc une plus grande transparence et une meilleure association des acteurs locaux concernant la programmation des investissements d’EDF SEI
(Réseau de transport électrique - HTB- qui a été lourdement endommagé notamment sur le Nord-Est). Nécessité d’augmenter les crédits d’État du CAS-Facé pour accélérer notamment l’enfouissement et la sécurité du réseau électrique (HTA-BT).

Une table ronde s’est tenue le 15 mai 2024 au Sénat sur ces sujets à l’initiative de la Sénatrice Audrey BÉLIM.

Résilience de nos habitats et de l’aménagement du territoire : un modèle à repenser

Notre aménagement du territoire et notre habitat ne répondent pas suffisamment aux défis climatiques, démographiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés. 

Le manque de cohérence dans les politiques d'aménagement fragilise notre capacité à construire un territoire résilient face aux risques climatiques.

Il nous faut engager dans les meilleurs délais un programme de réhabilitation des logements existants et les infrastructures publiques (et notamment les écoles) afin de les rendre plus résistants aux aléas climatiques.

À ce titre, un programme "Bâti réunionnais durable", valorisant les savoir-faire traditionnels et les matériaux locaux, adaptés au climat tropical, devra être porté en collaboration avec l’École Nationale d’Architecture de La Réunion et les acteurs de la profession.

Deux spécialités semblent être en défaut actuellement localement : la construction des toitures et leur étanchéité et pour l’habitat collectif, la sécurité des ascenseurs et des sous-sols.

Il s’agit pour autant de ne pas oublier la situation de crise du logement qui s’intensifie année aprés année et participe au développement d’un habitat informel et fragile. Il est essentiel que l’ensemble des acteurs concernés travaillent aux fondamentaux de cette crise et que nous soyons en capacité de répondre à l’importance d’une demande prévisible de plus de 172.500 logements pour les 25 ans à venir selon la DEAL en 2025.

Cela suppose pour les années à venir : de partager un projet concerté et responsable d’aménagement de notre territoire qui prenne en compte l'ensemble de nos besoins en termes d’habitats, d'économie, d’autosuffisance alimentaire, ressources et énergie, mobilités...) à moyen terme.

Nos ambitions environnementales et climatiques devront aussi être prises en considération d’engager une stratégie de renouvellement des quartiers et des villes réunionnaises vers des modèles plus résilient face aux risques climatiques mais aussi en capacité de répondre à une nécessaire densification de revoir la gouvernance et les outils de l’aménagement de notre territoire pour s’assurer de la qualité de la mise en oeuvre de notre projet local de promulguer la proposition de loi de la sénatrice Audrey Bélim relative à l’encadrement de loyers et à l’adaptation de l’habitat Outre-mer adoptée à l’unanimité le 5 mars 2025.

En matière d’aménagement, la question des mobilités reste centrale avec unimpératif : assurer la continuité des déplacements sur l’ensemble de l’île, y
compris en cas de catastrophe naturelle. 

Des zones de l’île sont d’ores et déjà sinistrées en la matière : nos cirques, Cilaos et Salazie, les Hauts de façon globale mais aussi certains axes majeurs qui sont très exposés aux éléments et qui pourraient connaître des périodes longues de non utilisation.

Nous connaissons et avons connu ces épisodes et savons comment cela pèse sur nos vies et notre économie.

La sécurisation de nos moyens de déplacement doit être une priorité. Toutefois, cette priorité ne doit pas faire oublier le sous équipement notoire de notre île en termes d'infrastructure de transport adaptée aux spécificités géographiques et urbaines de notre territoire qui permettraient de limiter l’importance du trafic routier et son impact environnemental et social.

Résilience de notre économie et de nos emplois

Le chômage reste élevé, touchant environ 18% des actifs en moyenne en 2024 et près de 32% des jeunes de 15 à 29 ans en 2022. Ce taux structurellement élevé reflète l'incapacité de notre modèle économique à créer des emplois pérennes et adaptés aux compétences locales. 

En parallèle, nous devons continuer le travail de formation pour pouvoir doter les entreprises de ressources humaines en lien avec le territoire.

La défaillance record des entreprises en 2024 ainsi que les dégâts causés par Garance, que ce soit dégâts physiques ou impacts directs et indirects, soulignent la fragilité de nos acteurs économiques, constitués pour l’essentiel des très petites entreprises.

Nous proposons un Plan de Résilience Économique en généralisant les aides d’ingénieries et financières pour améliorer les capitaux propres et la trésorerie des très petites entreprises et des entreprises des secteurs stratégiques, ainsi qu’un accompagnement à l’investissement des entreprises dans le cadre de la transition écologique et du changement climatique.

La situation de l’emploi local présente un tel déficit structurel qu’il est indispensable de renforcer nos politiques de parcours d’insertion pour que les Réunionnais, et notamment nos jeunes, puissent acquérir compétences et expériences leur permettant d’occuper les emplois créés dans les différents domaines.

Résilience de notre agriculture au service de la sécurité alimentaire Notre agriculture traverse une crise profonde. La production de canne à sucre, produit phare de l'île, a chuté de 15% en 2024, plafonnant à 1,13 million de tonnes.

Le dérèglement climatique, la réduction des surfaces cultivées et les revenus insuffisants des agriculteurs compromettent notre capacité à nous nourrir.
Une importation des produits agricoles trop importante à des prix souvent anormalement bas fragilise notre agriculture et nous expose à des pénuries si les chaînes d’approvisionnement venaient à être rompues.

Il est donc essentiel d’opérer une double révolution par la diversification de la production locale répondant directement à notre consommation, le développement d’une industrie agroalimentaire réunionnaise et à la mise en place de circuits courts régionalisés et sécurisés.

Résilience de notre patrimoine naturel

Notre patrimoine naturel exceptionnel, reconnu mondialement, est menacé par diverses pollutions, dont l'accumulation de déchets dans les espaces naturels.

Cette situation met en péril notre biodiversité unique et compromet l'attractivité de notre territoire, tant pour ses habitants que pour les visiteurs. Nous devons donner les moyens aux acteurs actuels de la lutte contre les invasives et de restauration des milieux naturels terrestres comme marins.

Un constat s’impose et persiste : nous devons être en capacité de nous préparer, de faire face et de nous réparer à l’occasion de tels événements climatiques, ceci en comptant principalement sur nos propres forces et compétences.

Alors que l’ensemble des collectivités est au travail pour relever le territoire, il en ressort une impression de ne pas être associés aux politiques générales.

Nous demandons à nouveau une méthode de co-construction efficace car la colère monte chez une partie des familles. Nous devons construire ensemble la feuille de route réunionnaise. 

C’est pourquoi nous demandons à nouveau une réunion de la Conférence Territoriale de l’Action Publique élargie à l’ensemble des collectivités et aux citoyens. Il s’agit d’appeler notre intelligence collective pour imaginer une plus grande protection du territoire réunionnais et de ses habitants et de contribuer activement à l’inscription prioritaire des voies et moyens nécessaires à celle-ci.

À ces fins, nous devons, impérativement et rapidement, disposer d’une loi-programme que nous appelons de tous nos vœux, car celle-ci doit être à la hauteur des enjeux et défis de La Réunion d’aujourd’hui (vie chère, parcours d’insertion, système de santé...) et de demain. Cette Conférence Territoriale de l’Action Publique élargie apportera sa contribution au prochain Comité Interministériel des Outre-Mer auquel nous souhaitons participer.

Dans l’attente, nous avons engagé au sein de la Conférence Péi, auprès de plus d’une centaine de citoyens, de représentants associatifs, syndicaux et politiques, une démarche de réflexion collective pour un projet réunionnais par et pour les Réunionnais. 

Cette démarche qui a déjà permis de dégager un constat, une vision et des ébauches de solutions, se poursuit au sein d’une plateforme numérique avec la volonté de s’élargir à court terme à toute la population.

Une première ambition se dégage de cette première phase : alimentation, énergie, eau, habitat, mobilité, économie et patrimoine naturel.

La durabilité en sera une exigence prioritaire. Face aux défis climatiques et environnementaux, notre modèle de développement doit impérativement s'inscrire avec cette volonté. 

L’accompagnement de l’État, tant en ressources que financièrement, est essentiel pour garantir la réussite de cette démarche et en faire un démonstrateur d’une relation vertueuse et respectueuse de l’État et de ses territoires d’Outre-mer.

Éricka Bareigts, ancienne ministre, maire de Saint-Denis, 1ère secrétaire fédérale du Parti socialiste
Maurice Gironcel, maire de Sainte-Suzanne, responsable du PCR
Olivier Hoarau, maire du Port, président d’Ansanm
Patrice Selly, maire de Saint-Benoît, président de Banian
Christophe Estève, référent Place publique Réunion
Geneviève Payet, secrétaire régionale les Ecologistes - EELV
Audrey Bélim, sénatrice
Philippe Naillet, député

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1 Commentaires
Romuald
Romuald
5 mois

"Le chômage reste élevé, touchant environ 18% des actifs en moyenne en 2024 et près de 32% des jeunes de 15 à 29 ans en 2022. Ce taux structurellement élevé reflète l'incapacité de notre modèle économique à créer des emplois pérennes et adaptés aux compétences locales."

C'est pourquoi tous ces beaux parleurs ne préconisent pour la jeunesse et les moins jeunes sans emplois... que des contrats à durée déterminés tels que PEC, CIE, CAE ou Emplois Jeunes dont sont tant friands les patrons de La Réunion parce qu'ils cumulent tous les avantages en leur faveur : pas d'emplois pérennes et donc pas besoin de licencier et de verser aux licenciés des indemnités de perte d'emplois, polyvalence à outrance pour le SMIC et la plupart du temps à temps partiel !

Comme disait Marx, le capitalisme a besoin d'une armée de réserve (les chômeurs) dans laquelle il peut piocher à volonté en cas de besoin de nouvelles forces de travail et aussi pour lui permettre d'exercer une pression permanente, sur les salaires en général, un chantage aux travailleurs qui réclament des augmentations salariales.

Les sous signés ne luttent pas contre le chômage, ils se comportent comme des larbins du patronat auquel ils ne demandent rien de particulier, sinon que de préserver "la paix sociale" si utile à la bourgeoisie pour mener ses affaires en toute tranquillité, et leurs propres privilèges, à savoir leurs postes d'élus.