Firmin Viry chantre incontestable du maloya, zarboutan de la culture et de l'identité réunionnaise fête ses 80 ans ce samedi 12 décembre au Téat de plein air de Saint-Gilles. Au milieu de sa famille, des ses amis musiciens. Et surtout de son public, celui qui a commencé à danser sur ses morceaux dans les années 50 - au moment où le maloya était interdit car considéré comme trop subversif par une société dite bien pensante. Ce public dansait dans les champs de cannes ou au fin fond des cours. C'est désormais dans les fêtes de famille ou dans les discothèques que les enfants, les petits enfants et même les arrières petits enfants de ce public là dansent sur Valé, Valé. Hommage au Rwa Firmin à travers une biographie réalisée par le pôle régional des musiques (PRMA)
Des champs de cannes à la mairie
Quatrième d’une famille de huit enfants issus de l’union de Monsieur Abufera et de Mademoiselle Viry Anne-Marie, Firmin Viry est né à La Ligne Paradis, le 11 mars 1935. Elevé en grande partie par sa grand-mère, il fréquente très peu l’école, étant dès l’âge de 11 ans confronté à l’apprentissage des travaux des champs. Il charroie des ballots de cannes d’une exploitation agricole vers les usines sucrières de Pierrefonds et du Gol. Ainsi travailleur agricole au service de l’ancien sénateur Léonus Benard pendant 28 ans, il sera également ouvrier à la Sitar, la société des tabacs à La Réunion (1976-1998), cumulant ainsi plusieurs emplois. Ce n’est qu’en 1984 qu’il deviendra responsable d’exploitation agricole d’une propriété sucrière de 5 hectares. Très impliqué toute sa vie durant dans la sphère politique, luttant en faveur ses droits des coupeurs de cannes, il sera même 7ème adjoint à la Mairie de Saint-Pierre sous le mandat d’Elie Hoarau de 1983 à 1989.
Le maloya, une histoire de famille
En 1961, à l’âge de 26 ans, Firmin se marie avec Marie-Céline Lagarrigue, dont les frères ne sont autre que Yvrin et Simon Lagarrigue (Gramoun Dada) et le père Henri L. (1916-2002) dit Baguette, grand moringuèr et joueur de maloya. Outre le fait qu’ils eurent ensemble 6 enfants (Daisy, Mylène, Jacky, Annie-Claude, Pascaline et Jean-Guibert) les familles Viry et Lagarrigue seront dès lors extrêmement liées par la musique. Bien qu’ayant eu une expérience musicale en 1954 dans lorkès maloya, ce n’est en effet qu’à cette période que Firmin se consacrera réellement au maloya. Auteur-compositeur, Marie-Céline est la choriste de la troupe de maloya naissante, de caractère familial et collectif à l’image de la pratique traditionnelle associée au genre.
Le maloya dénonce la misère, les fraudes électorales et les inégalités sociales
De 1959 (date de sa première prestation musicale dans une cour privée de Saint-Denis) à 1976, Firmin peut témoigner de sa pratique musicale qu’il qualifie de clandestine durant une période où le maloya se pratiquait essentiellement à travers le rituel du culte des ancêtres, et de façon festive en misouk, dans les champs de cannes à sucre ou au sein des quartiers populaires. Un décret départemental régissait l’organisation des ces rassemblements festifs maintenant nommés kabar, avant d’avoir été "danse des Noirs", "maloya la case", "maloya la cour".Sans autorisation et cadre bien défini, Firmin comme d’autres joueurs de maloya se sont inévitablement exposés à une réprimande gouvernementale exercée à partir des années 1960, dans les boums du samedi soir qui se transformaient à partir de 23h en kabar. Le maloya dénonçait alors la misère, les fraudes électorales et les inégalités sociales dans un contexte marqué par la survalorisation d’une culture occidentale et une censure à l’encontre de la culture afro-malgache.
Le maloya au congrès du PCR
Le 29 août 1976, à l’occasion du 4ème congrés du parti communiste réunionnais (PCR) qui se tient au gymnase Manès du Port, Firmin et sa troupe familiale se produisent pour la première fois devant un parterre de 3000 planteurs, chômeurs et travailleurs, afin de clôturer l’évènement. Début d’une reconnaissance publique, c’est surtout pour lui et les siens l’occasion de graver sa voix sur un disque 33 Tours, devenu depuis historique, puisqu’il représente la première production vinyle réunionnaise entièrement consacrée au maloya, genre traditionnel, revendicatif et éloigné des versions populaires folklorisées (déjà interprétés par Maxime Laope, Benoîte Boulard, Claude Vinh San… depuis les années 1950).
Ce disque produit par le Parti Communiste Réunionnais témoigne d’un combat pour le droit de citation, car officieusement, le maloya n’a pas accès à la radiodiffusion, ni aux scènes de spectacles, les autorités de l’époque lui préférant le séga. Cependant, "tous les disques se sont vendus, plus ou moins sous le manteau, auprès des militants d’abord puis, de fil en aiguille, chez des gens qui n’étaient pas communistes" confie Elie Hoarau, alors secrétaire du Parti.
Fier de ce succès, sous le label Ediroi, le PCR sortira un deuxième 33 Tours " Peuple du maloya ". Au cœur des mouvements de contestation sociale, politique et identitaire des années 1970, Firmin Viry participe pleinement à la revitalisation musicale du maloya, qui s’illustre notamment par l’émergence de troupes (Troupe La Résistance du Sud, Troupe Fondbac, La Troupe du Foyer du Cœur Saignant, Troupe Roséda, Troupe Lélé…). Son implication active au sein du PCR joua un rôle primordial dans la médiatisation et la reconnaissance du genre musical.
"Valé, valé, nou la antandi lo rwa dann lé bwa"
Le répertoire qu’il véhicule se constitue de maloyas et de romances tels que "Valé, valé" ou "Louxor" (pour ne citer que les plus connus), des chansons issues du folklore régional français qui se sont métissées au contact des traditions afro-malgaches. Si aujourd’hui ces chants font partie intégrante de notre patrimoine c’est grâce à Firmin Viry qui les a érigées au delà de la tradition en les popularisant, leur permettant ainsi de perdurer. A la fois figure historique et emblématique, il est l’auteur et l’interprète de nombreuses compositions et incarne un modèle à suivre pour plusieurs générations de musiciens, une référence en matière de patrimoine.
Sakifo, Nosy Bé...
A la retraite depuis 1998, Firmin assure toujours des représentations dans la zone de l’océan Indien, en métropole comme à La Réunion où tous les 20 décembre il accueille chez lui des milliers de curieux. Considéré comme un lieu de mémoire et de réappropriation historique de tout un peuple, son kabar de la Fèt kaf à Ligne Paradis est, depuis sa reconnaissance des années 1980, l’occasion pour lui de perpétuer annuellement la tradition du maloya, dans son cadre familial et rural.
Parmi ses plus grandes représentations qu’il donna, il faut retenir celles du Festival Sakifo en 2008, du Festival de Musiques Métisses d’Angoulème (10000 personnes, la même année) et celle du Festival de Nosy Bé en 2009, où Firmin chanta face à 22000 spectateurs. Sa dernière tournée date de 2014 : Aux côtés de Marie-Céline et Annie Claude Viry, il participa à la création Breizh Kabar, qui lui permis avec la Kervrenn Alré (bagad et cercle celtique d’Auray en Bretagne) et Saodaj’ de défiler au rythme du maloya au sein de la grande parade du Festival inter-celtique de Lorient.
Décoré par le secrétaire général de l’ONU
En 1998, il reçoit du secrétaire général de l’ONU la médaille Mahatma Gandhi des Droits de l’Homme de l’UNESCO. La même année, le Président Jacques Chirac lui remet la décoration de Chevalier de l’Ordre National du Mérite.
En 2005, il est récompensé par la MCUR par le titre de Zarboutan Nout Kiltir et le 20 décembre 2014, de la médaille de La Légion d’Honneur en reconnaissance de son courage et de sa persévérance. De nombreuses coupes et trophées honorent les activités artistiques et culturelles de ce fervent défenseur du patrimoine.
"A ti kri amoin dimans gran matin"
• Discographie
- 45 Tours A nous même dansère maloya, Mon coy lou, Jackman
- 33 Tours Le maloya, Ediroi - 1976
- 45 Tours Tit Marie balta, Le roi dans le bois, Jackman
- 45 Tours Ti crie a moin anin, Dimanche grand matin, Issa
- Cassette " Sa maloya " - 1990
- CD Ti Mardé – Label Indigo – 1998
- CD Maloya, Ocora - 1999
- CD Maloya, réédition du 33 Tours- MCUR
- CD Mémoir in pèp – Best Maloya - 2006
Un film documentaire réalisé par Luc Bongrand en 2004 retrace son itinéraire : Firmin Viry, sur la route du maloya marron.