Le mandat de Paul Vergès à la tête du conseil de surveillance d'Air Austral semble sur le point de se terminer. L'assemblée générale de la compagnie aérienne se réunira le mardi 28 septembre. C'est à cette occasion que l'ancien président du conseil régional pourrait être débarqué de son fauteuil de président. Didier Robert, président de la Région, fait le forcing pour que ce scénario se concrétise. "Et compte tenu de sa position, notamment du point de vue économique, on voit mal quel actionnaire d'Air Austral acceptera de voter contre lui et au bénéfice de Paul Vergès" commente l'un des actionnaires.
Un premier élément de réponse à cette question devrait être apporté le vendredi 24 septembre lors de la réunion du conseil d'administration du principal actionnaire d'Air Austral, la Sematra. Pour rappel, cette structure est composée de plusieurs actionnaires. Le conseil régional y est majoritaire avec 50% des parts, vient ensuite le conseil général avec 30%, la chambre de commerce et des partenaires privés se partagent les 20% qui restent.La Sematra détient 46,57% des parts de la compagnie aérienne. Le reste de l'actionnariat se partage entre des partenaires privés, 19,32%, les banques, 14,45%, les salariés de la compagnie, 12,90% et la caisse réunionnaise de retraites complémentaires, 6,75%. Au titre de sa majorité actionnariat principal au sein de la Sematra, le conseil régional occupe donc une place prépondérante dans l'actionnariat de l'entreprise.
À noter toutefois que ni la Sematra ni le conseil de surveillance n'ont en principe vocation à définir la stratégie économique de l'entreprise. Cette fonction, primordiale pour la pérennité de la société est exclusivement dévolue au directoire de la compagnie, dirigé par Gérard Ethève, fondateur de l'entreprise.
Le conseil d'administration de la Sematra s'est déjà réuni ce lundi 13 septembre. Une réunion réglementairement obligatoire avant celle de l'assemblée générale de la compagnie aérienne le vendredi 28 septembre. Bien qu'invité, Didier Robert n'a pas assisté à la réunion, mais il a fortement demandé, et obtenu, qu'une nouvelle assemblée soit convoquée pour le vendredi 24 septembre. Il l'a lui même annoncé le soir même dans "Devant La Réunion", l'émission de Radio Réunion. "Il a été voté une résolution pour la tenue d'une autre réunion du conseil d'administration de la Sematra. Je veux qu'une position soit adoptée à l'occasion de l'assemblée générale d'Air Austral le 28 septembre 2010. Il y une décision à prendre sur le mode de gouvernance (de la compagnie aérienne)" disait-il au micro de Sophie Person. Sur un ton très solennel, il ajoutait "la Région doit être respectée".
Une manière très claire de confirmer sa volonté de prendre en charge la présidence du comité de surveillance d'Air Austral et donc d'évincer Paul Vergès. "La Sematra est l'actionnaire principal d'Air Austral et le conseil régional est l'actionnaire principal de la Sematra. Dans ces conditions on voit mal comment Didier Robert accepterait de laisser Paul Vergès continuer à occuper le siège de président du comité de surveillance de la compagnie" explique un chef d'entreprise actionnaire d'Air Austral. "Dès lors il va faire le forcing pour lui faire quitter son poste. C'est pour cela qu'il veut une nouvelle réunion du conseil d'administration de la Sematra. Il veut être certain qu'elle se prononcera pour une éviction de fait de Paul Vergès" poursuit le chef d'entreprise.
Selon la stratégie déployée par Didier Robert, le moyen de parvenir à ce résultat se décline en au moins deux possibilités. La première consiste pour Didier Robert à obtenir - par le biais de la Sematra -, de l'assemblée générale d'Air Austral du 28 septembre que le nombre de fauteuils au conseil de surveillance soit porté à 12. Dans un deuxième temps, il se fait élire à ce douzième siège et dans la foulée au poste de président du conseil de surveillance. L'actionnaire ne croit guère à ce scénario. "Sauf à supposer qu'un accord soit passé pour éviter à l'ancien président de la Région d'être éjecté, on voit mal pourquoi Didier Robert s'accommoderait de la présence de Paul Vergès en tant que 12ème membre. Car pour ramener le nombre de membres du conseil à 11, il faudra obligatoirement organiser une autre assemblée générale d'Air Austral. C'est possible, mais la man?uvre est inutilement compliquée" estime le chef d'entreprise.
La seconde possibilité lui semble plus plausible. Lors de l'assemblée générale d'Air Austral le 28 septembre - toujours par le biais de la Sematra -, Didier Robert peut demander que le conseil de surveillance soit recomposé et que le nombre des membres soit maintenu à 11. L'assemblée générale devrait faire droit à cette demande, en toute logique puisque la Sematra est actionnaire majoritaire de la compagnie aérienne. Didier Robert sera candidat et on peut supposer que les membres actuels du conseil de surveillance le seront également. "Ils seront donc 12 à briguer 11 fauteuils. Le nombre de voix au sein de l'assemblée générale d'Air Austral étant proportionnel au nombre de parts détenues par les actionnaires, le sort de Paul Vergès sera scellé" analyse le chef d'entreprise actionnaire de la compagnie. "La démarche est somme de bonne guerre. C'est en tant que président du conseil régional et donc en tant qu'actionnaire majoritaire de la Sematra que Paul Vergès a été élu président du conseil de surveillance. Pourquoi en serait-il autrement pour Didier Robert" note encore l'actionnaire.
Il n'existe pourtant aucune obligation juridique à cet état de fait. Un précédent de taille a d'ailleurs eu lieu. Pierre Lagourgue a été président du conseil de surveillance de 1992 à 1998 alors qu'il n'était pas président de la Région, mais simple conseiller. "Le contexte était différent et surtout lorsqu'il accédé à ce poste il était membre de la majorité alors dirigée par Camille Sudre" tempère un actionnaire de la Sematra. "Nous ne sommes plus dans le même cas de figure. Il faudrait que Paul Vergès, qui est un grand homme et une figure incontournable de la politique locale, le comprenne" ajoute-t-il. Il indique ensuite "plusieurs membres du conseil de surveillance le lui ont clairement dit lors de la dernière réunion de cette instance. François Caillé, Maximin Chane Ki Chune, Ibrahim Dindar, Guito Narayanin, tous ont dit M. Vergès vous avez été un grand président mais vous devez passer la main puisque les électeurs ont désigné un autre président pour la Région".
Guito Narayanin, chef d'entreprise, actionnaire de la Sematra et d'Air Austral, confirme. "J'ai beaucoup de respect pour Monsieur Paul Vergès. Il a été un grand président. Mais les élections sont passées. La population ne comprendrait pas qu'il s'obstine à rester au conseil de surveillance. Il doit laisser la place à Didier Robert, qui, je l'espère, saura être un aussi bon président que Monsieur Vergès". L'homme d'affaires estime ensuite que la politique ne doit pas avoir droit de cité au sein de l'entreprise. "Air Austral est une entreprise qui marche bien, qui fait du bénéfice. On ne peut pas la laisser se transformer en rond de combat de coqs. En tant qu'actionnaire je ne l'accepterai pas".
La déclaration est explicite. D'autres actionnaires devraient sans doute être sur la même position. "Il faut bien appeler un chat un chat, le vote a lieu à main levée, qui peut croire sérieusement par les temps de crise économique qui courent qu'un chef d'entreprise, une banque va se mettre à dos le conseil régional en votant pour le maintien de Paul Vergès" jette froidement un observateur économique.
Reste le cas Nassimah Dindar. Donnée par le Journal de l'Île il y a quelques jours comme ayant basculée dans le camp de Didier Robert, et étant donc favorable à l'éviction de Paul Vergès, la présidente du conseil général et présidente de la Sematra a indiqué par communiqué " démentir formellement ces supputations". Une façon de dire qu'elle conserve sa confiance à Paul Vergès. "Mais sa marge de man?uvre est quasiment nulle" estime le même observateur économique. "Elle est présidente de la Sematra, certes, mais elle n'est pas majoritaire. La voix du conseil régional est prépondérante, d'autres actionnaires se joindront à cette collectivité pour évincer Paul Vergès. Dès lors, poursuit-il, "Nassimah Dindar peut accepter cette décision tout en précisant qu'elle ne s'y associe pas à titre personnel. Elle peut aussi dire qu'elle ne peut tolérer cette prise de position et démissionner". L'observateur économique remarque que "cela serait dangereux car c'est alors la présence même du conseil général au sein de la Sematra qui risque d'être remise en cause et l'édifice bâti pour le meilleur fonctionnement possible d'Air Austral commencerait à s'effriter" commente-t-il.
Paul Vergès tiendra une conférence de presse ce jeudi. Il devrait être question d'Air Austral. Il y a quelques jours dans les colonnes du Journal de l'Île, il disait : "je ne tiens pas particulièrement à m'accrocher à la présidence du conseil de surveillance d'Air Austral". Questionné sur sa position vis-à-vis de Didier Robert, il répondait : "je lui propose qu'on se mette d'accord sur l'essentiel, qu'on mette de côté nos divergences politiques et que l'on montre à l'opinion que l'on est capable d'agir dans l'intérêt supérieur de la Réunion. Air Austral ne doit pas faire l'objet d'une bataille politique". C'est tout ce que souhaitent les dirigeants techniques de la compagnie aérienne. "Il est largement temps que cette situation se décante. Nous avons besoin de stabilité pour continuer à avancer" indique ainsi Alain Abadie, secrétaire général d'Air Austral
Mahdia Benhamla pour