Coopérative ouvrière réunionnaise : Jacques Virin, sa fille et un proche, jugés pour abus de pouvoir, blanchiment et recel

  • Publié le 29 septembre 2025 à 13:14
  • Actualisé le 29 septembre 2025 à 20:42
tribunal de saint-denis

Vendredi 26 septembre 2025, le tribunal correctionnel de Saint-Denis a consacré une journée entière à l’examen du parcours hors normes – et des dérives présumées – de Jacques Virin, 80 ans, ancien homme fort de la COR, la Coopérative ouvrière réunionnaise. Avec ses côtés sur le banc des prévenus : sa fille Christine, 47 ans, et Philippe Bénard, 71 ans, un proche de longue date. Tous trois sont soupçonnés d’avoir, entre 2008 et 2011, utilisé les caisses de la COR au profit d’un vaste réseau de sociétés privées. Le préjudice est estimé à près de trois millions d’euros. Le tribunal rendra son délibéré le 28 novembre (Photo photo RB/www.imazpress.com)

Plus de quatorze ans après le dépôt de plainte de la COR, la Coopérative ouvrière réunionnaise, l’affaire revient enfin devant un tribunal. Cette lenteur judiciaire, largement soulignée par le parquet, a alimenté la colère et l’amertume de nombreux dockers qui se disent spoliés par l’ancien dirigeant. Ils étaient encore une cinquantaine à faire le déplacement vendredi, pour rappeler que derrière les chiffres et les montages financiers, ce sont des salariés et coopérateurs qui estiment avoir été lésés.

On se souvient que la COR naît en 1994 de la volonté des dockers du Port de gérer eux-mêmes la manutention, le transit et le transport. Jacques Virin, docker charismatique, en devient le PDG et imprime sa marque. Très vite, il développe l’activité bien au-delà du quai et du port.

Sous sa houlette, une quinzaine de sociétés voient le jour : transport routier (TLR), RSM reprise d’une société de logistique à Mayotte (La SMART), métallurgie (Métal Réunion), association avec une boulangerie industrielle (Domaine du Pain), distribution alimentaire et matériel pour boulangeries (CODIPB). À la tête de certaines de ces structures, sa fille Christine, son gendre ou Philippe Bénard.

- La coopérative des dockers devenue empire privé ? -

Dans les faits, COR, TLR, RSM, Métal Réunion et Domaine du Pain s’entrecroisent au sein d’un maillage où tout converge vers un même homme : Jacques Virin. Témoins, anciens salariés et coopérateurs décrivent un patron "intouchable", mélange de meneur et d’autocrate : "On ne pouvait pas s’opposer à lui, et si on devenait contestataire, la COR se retournait contre nous", a rappelé un témoin cité lors de l'audience.

C’est en septembre 2011, après la révocation de Jacques Virin et son départ à la retraite, qu’un audit est diligenté. Le rapport met en lumière de graves dysfonctionnements : rémunérations indues, octroi de prêts personnels irréguliers (notamment à des pêcheurs du Port, pour un total de 48.000 euros), investissements hors de tout contrôle du conseil d’administration.

Les enquêteurs évaluent les sommes en jeu : 1,33 million d’euros de rémunérations et primes versées à Jacques Virin au-delà de ce qui avait été validé, 330.000 euros indus pour Christine Virin, 124.000 euros de prêt accordé à Philippe Bénard pour entrer au capital de la CODIPB.

 - Des dérives pointées par un audit -

À cela s’ajoutent 124.000 euros détournés via TLR pour financer cette même CODIPB, une perte sèche de 800.000 euros pour TLR, près de 900.000 euros injectés dans le Domaine du Pain finalement liquidé, et une opération fictive autour de SMART à Mayotte permettant, selon l’accusation, un enrichissement personnel. Au total, le préjudice est évalué à près de trois millions d’euros.

Toutes ces opérations ont été menées sans aval du conseil d’administration ni décision d’assemblée générale. "Vous investissez l’argent de la COR qui ne vous appartient pas", a lancé la présidente du tribunal. "C’était dans la précipitation", a répliqué Jacques Virin. Réponse immédiate : "Ça pose de vraies questions sur la façon dont vous gérez les choses."

- Le préjudice est évalué à près de trois millions d’euros - 

Vendredi, le prétoire était plein. Une cinquantaine de dockers, parties civiles, étaient présents, sur la centaine qui se sont constituées. Leur colère n’a pas faibli après quatorze années de procédure. À chaque évocation de prêts irréguliers ou de montants envolés, des exclamations fusaient. "Ils nous ont volé", lâchait l’un. D’autres secouaient la tête en entendant l’octogénaire nier les accusations.

Jacques Virin, bon pied bon œil malgré ses 80 ans, est resté combatif. Il nie avoir tiré profit des fonds de la COR, nie avoir exagéré ses rémunérations, nie avoir soutenu délibérément ses proches avec l’argent de la coopérative. "Je voulais développer la COR, diversifier ses activités", a-t-il expliqué, revendiquant une stratégie d’expansion qui, selon lui, visait l’intérêt collectif. Sa fille Christine et Philippe Bénard se sont également défendus, affirmant avoir perçu ce que leurs contrats prévoyaient ou avoir agi de bonne foi.

- L’accusation fustige "le Président de la République du Port" -

Pour le parquet, les faits traduisent un mélange des genres poussé à l’extrême. "Votre ADN, c’était de décharger des containers. Toutes ces sociétés créées n’avaient rien à voir avec l’objet social de la COR", a martelé l’accusation, citant le cas du Domaine du Pain : "du pain, dirigé par vos proches".

Le ministère public a dressé le portrait d’un patron parti de peu, bon gestionnaire dans un premier temps, mais "ivre de sa réussite", qui a franchi la ligne jaune : "Vous étiez le Président de la République du Port, vous aviez tout le monde dans la main."

L’exemple le plus marquant évoqué par l’accusation : l’achat d’une villa à Saint-Gilles, partiellement financée par des rémunérations indues, pointant des soupçons de blanchiment.

- Des réquisitions limitées par la lenteur de la justice -

Malgré la gravité des faits, le parquet a tenu compte d’une lenteur procédurale exceptionnelle : trois ans sans aucun acte d’instruction, puis deux ans d’arrêt complet au parquet. "Nous en avons tenu compte dans le quantum", a indiqué le procureur.

Les réquisitions se sont donc limitées à des amendes : 50.000 euros pour Jacques Virin, 20.000 euros pour Christine Virin et 20.000 euros pour Philippe Bénard. Un choix qui a surpris dans la salle, où plusieurs dockers attendaient des peines plus lourdes après quatorze années d’attente.

Le tribunal correctionnel de Saint-Denis rendra son délibéré le 28 novembre. Les parties civiles espèrent que la justice reconnaîtra enfin ce qu’elles considèrent comme des années de spoliation.

is/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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